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Zbigniew Sedzimir, le Polonais

Au nom de tous les siens

11 août 2024, 22:00

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Au nom de tous les siens

Le VTT, une de ses passions.

À 74 ans, ce Polonais de naissance a grandi en pleine turbulence politique. S’il n’a pas connu Gomulka (le père du socialisme polonais) ou encore Edward Gierek (le tenant du socialisme consumériste), il a vécu en 1976 la brutale répression du mouvement ouvrier et, en 1980, il a été témoin de la naissance du syndicat Solidarnosc à Gdansk avec son leader moustachu charismatique, Lech Walesa. Comme tous les étudiants polonais de l’époque, il a participé aux grèves générales et fait de la résistance à la dictature du général Jaruzelski. C’est hors des frontières de la Pologne qu’il a fait carrière et s’est épanoui (à travers le monde) pour venir poser ses valises à Maurice depuis plus de huit ans maintenant. Zbigniew Sedzimir (qu’on appelle affectueusement Zibi) n’a pas connu les camps de la mort (Auschwitz/ Treblinka/ Sobibor) ; encore moins le Ghetto de Varsovie, mais il porte en lui les cicatrices de son pays dépecé, qui a connu le massacre de plusieurs millions de ses compatriotes victimes du nazisme. Il parle en quelque sorte (comme Martin Gray) au nom de tous les siens. Par sa passion de vivre.

Le 13 octobre 2023, tout excité, Zibi enfourche sa gravel bike pour participer au Colin Mayer Tour (VTT) sur un trajet de plusieurs kilomètres de Trois-Mamelles à Cascavelle. Habitué des pistes cyclables, rompu à ce genre d’exercice, parce qu’il en est à sa 3e participation, il fait rapidement partie du peloton de tête et atteint sa vitesse de croisière. Dans une descente abrupte, c’est la chute. D’une telle violence qu’il perd connaissance et se retrouve à l’hôpital. Pas trop de dégâts à constater ; surtout les radios ne révèlent aucune fracture. Son casque l’a sauvé. Mais c’est plus tard qu’il va souffrir des séquelles avec d’atroces douleurs à l’épaule gauche. Ce qui ne l’éloigne pas des pistes de compétition pour autant. Surtout comme photographe pour figer les performances de ses amis de course en bordure de piste.

polonais 2.JPG (Le vélo-remorque pour son fils à Maurice.)

Par la suite, l’on découvre qu’il a des muscles et tendons déchirés et coincés et il souffre d’atroces douleurs. Il profite d’un séjour en Europe, plus particulièrement en Allemagne, pour se faire opérer. À l’hôpital Helios de Wiesbaden, on le prépare pour cette intervention. Sous anesthésie générale. Avant qu’il ne soit acheminé vers la salle d’opération, à demi inconscient, dans une manière de flashback, il revoit son père, philatéliste, dont l’image est un peu floue, lui montrant la photo du timbre Blue Mauritius : «J’étais l’enfant ; il me disait que ce timbre valait une fortune. Il m’avait montré sur la carte où cette île se trouvait. Pour moi, c’était très loin. Mais dès ce moment, je savais qu’il fallait que je vienne à l’île Maurice.» Quelques heures après l’opération, Zibi demandait à quitter l’hôpital en compagnie de son fils au grand dam de son psychothérapeute de 40 ans d’expérience qui a appris par la suite que son patient s’était remis en selle deux semaines après.

Un rêve d’enfant

Il se souvient de ce désir, de ce rêve d’enfant qui s’est matérialisé bien des années plus tard. Plus précisément en 2002, quand il a eu 50 ans. Ce qu’il n’avait pas pu accomplir avec son père, il l’a fait avec son fils, Linus : «Je suis venu avec mon fils, qui avait 4 ans et demi. Mes amis (un couple allemand-mauricien) avaient choisi pour moi un petit bungalow à Palmar. J’ai passé deux semaines avec mon fils en ramassant des coquillages, en construisant des châteaux de sable et en faisant de petites excursions à Flacq, à l’Ile-aux-Cerfs. Dans le campement, il y avait d’autres enfants et notre petit bungalow est devenu une place pour des jeux, car j’avais amené de l’Allemagne une grande boîte de pièces de Lego. Une dame venait chez nous deux fois par semaine pour faire le ménage et pour cuisiner des plats typiques comme rougaille, riz frit, curry, etc. J’ai commencé à découvrir la cuisine mauricienne. Ces deux semaines sont passées beaucoup trop vite. J’ai décidé qu’on ferait ce voyage encore une fois en 2003 et qu’on resterait trois semaines.» Pendant ces vacances, Zibi explore l’île avec son fils et de Trou-d’Eau-Douce à Belle-Mare, à vélo (son fils en remorque) et ils ne passent pas inaperçus.

polonais 3.JPG (En Europe, il ne se déplace qu’en train ou à vélo.)

C’est ainsi qu’il fait la connaissance de Safia qui deviendra sa femme après qu’ils auront nourri une long distance relationship pendant des années. C’est en 2016 quand il prend définitivement sa retraite que Zibi décide de l’épouser et de venir s’installer pour de bon à Maurice. Le fils que Safia a eu d’un précédent mariage, Gerald, a terminé à Toulouse des études d’ingénierie aérospatiale et travaille depuis deux ans là-bas. Son fils Linus termine son double Masters – en mathématiques et en informatique. Linus (24 ans) est le fruit d’un premier mariage de Zibi alors qu’une autre liaison lui avait donné une fille Magdalena (45 ans) qui habite la Pologne, travaille en Allemagne et qui est déjà venue passer des vacances à Maurice. Et qui l’a fait devenir grand-père !

Tous ces souvenirs se bousculent dans sa tête. Wroclaw, la petite ville de sa naissance en 1950 dans une Pologne qui, au sortir de la guerre, connaît encore de vifs soubresauts. Une ville peuplée par des «déracinés». «Comme presque tous les habitants de Wrocław, mon père et ma mère sont venus d’ailleurs.Wrocław (Breslau), la capitale de Basse-Silésie (Niederschlesien) jusqu’au 6 mai 1945, était une ville allemande. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville a été déclarée par les nazis une forteresse (Festung). Plus de 60 % de cette ville a été réduite en cendres lors des combats avec l’Armée Rouge», se souvient-il. Et 15 ans plus tard en 1965 : «J’ai pu toujours jouer avec mes amis dans les ruines des maisons bombardées. Les travaux de reconstruction ont été très longs dans cette partie de la Pologne. Comme il n’y avait pas de traité sur le tracé de la frontière signé avec l’Allemagne fédérale et il y avait là-bas des millions d’Allemands déplacés en 1945 qui réclamaient le droit de retour, on n’investissait pas beaucoup dans la “région ouest” de la Pologne.»

polonais 4.JPG (Avec son fils Linus en Suisse.)

Comme beaucoup de Polonais, le père de Zibi, Zbigniew Witold Sedzimir, aussi né à Lviv, a été contraint de s’exiler car la ville a été, après la Seconde Guerre mondiale, cédée à l’Union soviétique et la population polonaise a été expatriée : «Toute la famille de mon père a été obligée de quitter Lviv en direction de l’ouest avec le strict minimum, parfois avec une valise seulement.» Quant à sa mère, Anne-Marie Sedzimir (née Spika) elle vient de Chorzów (Königshütte), une ville industrielle en Haute-Silésie (métallurgie, exploitation minière) au sud de la Pologne avec un esprit d’indépendance. «Les habitants de cette région ne se considèrent ni comme des Polonais, ni comme des Allemands, mais comme Silésiens», dit Zibi, dont les parents se marient en 1947. Toutefois, ce n’est qu’en 1948 que son grandpère fuit la Pologne communiste où les biens des familles ont été confisqués pour trouver asile à Berlin Ouest. «J’ai une sœur qui est cinq ans plus jeune et qui a fait les mêmes études que moi (électronique, ordinateurs). Après son mariage elle est devenue mère de trois enfants et elle vit en Allemagne», précise Zibi.

polonais 5.JPG (Écolo, il ramasse les ordures à Saint-Brandon.)

Le communisme polonais

En termes d’études, Zibi suit le cursus primaire normal et de 1964 à 1968, un parcours secondaire tout aussi normal. Mais il se souvient que «la Pologne sous le régime communiste, comme les autres pays derrière le rideau de fer, était un pays où la presse indépendante n’existait pas alors que le parti contrôlait tout. Avec une pénurie permanente de produits de consommation (vêtements, produits ménagers, voitures…) et de nourriture comme la viande, le poisson, des produits importés. Un pays en noir et blanc. Le régime était quand même moins dur que celui en Allemagne de l’Est ou en URSS. Les paysans pouvaient avoir de petites fermes privées (jusqu’à 5 hectares de terrain) et il y avait un petit commerce privé (jusqu’à trois employés)», se souvient-il. Malgré toutes les contraintes imposées par le régime, Zibi se donne à fond dans ses études et choisit sa voie : «Après le bac en 1968, j’ai décidé de tenter les examens pour des études d’électronique à l’École polytechnique de Wrocław. Mon choix était motivé par mon amour pour la littérature de science-fiction : voyages dans l’espace, communication par radio et construction d’un cerveau électronique ! À partir de la troisième année, j’ai choisi la spécialisation “les bases théoriques et la construction des ordinateurs”. Le mot “informatique” n’existait pas encore. J’ai terminé mes études en 1973, comme l’un des trois meilleurs diplômés. On m’a proposé un poste et je suis resté à l’école. En 1977, j’ai terminé ma thèse de doctorat sur les langages symboliques de programmation. C’était un sujet important dans le domaine de l’intelligence artificielle.»

Et vint Jean Paul II

1978 : Date historique pour la Pologne et pour les catholiques. Jan Woltya est élu Pape et devient Jean-Paul II. Ce qui permet à la résistance polonaise de se muscler davantage contre l’arbitraire du régime communiste. Zibi s’en réjouit : «Le Pape est quelqu’un qui connaît le système de l’intérieur et désormais il occupe le poste le plus important dans l’église catholique. C’était un encouragement pour tous les opposants au régime.»

polonais 6.JPG (**Ses tableaux lors de l’exposition «Samudra» au Caudan.)

Trois ans plus tard, notre Polonais est envoyé pour des études postdoctorales à Paris V chez le professeur Jacques Riguet : «Un séjour de six mois pendant lequel j’ai appris la langue française, découvert Paris et sa vie culturelle, et surtout rencontré des filles.» Quand il retourne en Pologne, il découvre un pays en pleine ébullition : «Une série de grèves provoquées par une augmentation des prix le 1er juillet s’est étendue à toute la Pologne. À la fin de ces grèves, un syndicat indépendant (du Parti communiste) est né : Solidarnosc (Solidarité).» La moustache de son leader charismatique, Lech Walesa, devient légendaire. Toute la jeunesse polonaise s’enflamme. Le régime réagit avec brutalité : «À l’université, je me suis engagé dans ce mouvement et je suis resté actif jusqu’à décembre 1981, quand le général Jaruzelski est devenu le premier secrétaire du parti et que l’état de guerre a été instauré. Nous avons décidé de faire une grève, comme dans de nombreuses autres institutions en Pologne. Cette grève a été réprimée par les forces de la milice qui sontentrées dans les bâtiments en frappant aveuglément les gens et en détruisant les laboratoires, bureaux et salles de conférences. Les dirigeants ont été emprisonnés. Heureusement, chez nous, il n’y a pas eu de morts comme dans de nombreuses autres entreprises et usines.»

La répression ne faiblit pas. Bien au contraire. Après avoir été mis à l’écart de son université, Zibi craint pour sa vie. Il saisit une occasion qui lui est offerte sous certaines conditions strictes : «En 1982, on m’a dit qu’il n’y avait pas d’avenir pour des personnes comme moi à mon université. Mais une porte était encore ouverte : les universitaires pouvaient aller dans les pays en voie de développement enseigner sur des contrats de deux à trois ans. On obtenait un “passeport de service” qui appartenait à l’État. On devait s’engager à reverser 40 % de son salaire à l’État. C’était le prix de la liberté. Grâce à ma connaissance du français (Paris 1980 !), j’ai eu un contrat à l’École nationale d’ingénieurs à Tunis (ENIT).»

Le soleil de Tunis

Un nouveau chapitre de sa vie s’ouvre enfin sous le soleil de Tunis : «Des années extraordinaires, beaucoup d’amis français, un accès direct aux ordinateurs made in USA (impossible en Pologne communiste), apprentissage de la planche à voile et de la plongée, participation comme figurant dans des tournages de films français (Grand Carnaval, Les Morfalous, Les Pirates, Fort Saganne, etc.), apéros avec JP Belmondo et d’autres (Marie Laforêt, Michel Constantin).» Il vit ainsi dix années d’insouciance avant de mettre le cap sur l’Allemagne où il devait rester pendant presque 30 ans et où est né son fils Linus. Et c’est de l’Allemagne qu’il va découvrir Maurice où il vit depuis plus de huit ans.

polonais 7.JPG (Lors des randonnées, il découvre le pays.)

Zbigniew Sedzimir s’adapte facilement à l’île Maurice qui l’adopte. Il connaît la recette : «En arrivant à Maurice comme résident j’ai compris très vite qu’il y a plein de choses que je devais apprendre si je veux faire partie de leur vie. Je me suis inscrit dans différentes groupes d’intérêts : Société d’histoire de l’île Maurice, Société musicale de l’île Maurice, Royal Society of Arts and Sciences ; je suis membre de groupe “Les amies de MWF”; je suis membre de l’ONG Marine Megafauna Conservation Organisation. Dans l’ONG Saint Brandon Conservation Organisation, je suis volontaire pour travailler dans l’archipel (j’y vais encore au mois d’octobre). Je suis les conférences sur la politique et l’histoire contemporaine de Maurice (comme “À table avec…”).»

Par ailleurs, il participe régulièrement aux randonnées organisées par Netwalking.mu pour découvrir d’autres facettes de l’île. «Pour mieux connaître la géographie de Maurice et sa nature (les animaux et les plantes), je participe dans différents groupes de randonnées. Surtout les marches organisées par le MWF et des experts en botanique ou ornithologie.» Il considère aussi qu’il n’y a pas meilleur moyen de connaître le pays qu’à travers sa culture, qui est aussi pour lui une forme d’intégration : «Une forme d’intégration est le soutien que je donne aux artistes mauriciens. Je connais beaucoup de musiciens et de chanteurs. Je leur ai proposé de prendre leurs concerts en vidéo et photo pour qu’il puisse les utiliser pour la publicité (comme sur Facebook) ou juste pour leurs archives. J’ai plus d’une vingtaine de concerts enregistrés : au Caudan, dans la Maison Eureka, au Chateau de Labourdonnais, au Chateau de Villebague, à la Demeure de St-Antoine, à l’IFM, dans les églises (concerts de Noël). Ce “service” a été toujours très apprécié par les artistes.»

Le «halim» de Rose-Hill

Cette intégration ne serait pas complète si le Polonais n’appréciait pas la cuisine locale. «Dans ce domaine, je suis devenu à 100 % Mauricien. J’adore le mix unique des goûts, des saveurs, des épices qu’on trouve à Maurice. J’adore les curry, vinday, brèdes, légumes que je n’ai jamais vus, rougay de poisson salé, fishballs, roti, tipouri, gato pima. Quand je suis en Europe, la cuisine mauricienne commence à me manquer dès la deuxième semaine ! J’ai une liste de snacks qui font un de ces plats particulièrement bien. Par exemple, mon halim préféré est dans Local Cuisine à Rose-Hill, mon meilleur poulet sauté est dans Food Palace à Flacq.»

Les seuls moments où il regarde le pays et les Mauriciens de haut, c’est... du sommet de nos montagnes qu’il escalade régulièrement : Le Pouce – plus de 10 fois – Le Morne Brabant, La Tourelle, Les 3 Mamelles, Brise-Fer, Montagne du Lion, Saint-Pierre, Montagne des Signaux, Les 2 Mamelles. Mais aussi beaucoup de montagnes en Pologne et aux sports d’hiver en Autriche et en Suisse avec son fils. À cela, il faut ajouter les 200 km à vélo qu’il effectue chaque semaine et aussi de nombreuses plongées ici et à Saint-Brandon. Passionné de patins à glace, il a patiné à Tokyo, Shanghai, Johannesburg, Cape Town, New York, Chicago, Jeddah, Riyad, Dubaï, Mexico. «À Jeddah, on m’a même proposé de travailler comme instructeur de patinage !», raconte-t-il.

polonais 8.JPG (La troisième cascade de La Nicolière immortalisée.)

Pendant sa retraite à Maurice, Zbigniew Sedzimir s’adonne à une autre passion : la photographie. Avec son appareil, un «Olympus E-1», en permanence en bandoulière, il ne rate rien ; toujours à l’affut d’une belle image à immortaliser. Avec toute une galerie d’inédits pour enrichir sa plateforme : «Mon dernier employeur dans ma vie professionnelle était Accenture. J’ai eu l’opportunité de participer à des projets informatiques à travers le monde. Pour rapporter un maximum de souvenirs de mes voyages d’affaires, j’ai commencé à prendre des photos. Constatant leur imperfection, j’ai commencé à lire sur la photographie et les photographes. Cela s’est vite transformé en passion. Après ma retraite, je me suis installé à Maurice pour me consacrer pleinement à la photographie. Le site «ZS-Foto-Stories» est une plateforme où je montre mes photos qui me semblent intéressantes. C’est une façon de partager ma passion.» Un partage avec sa participation à une exposition collective au Caudan sous le générique Samudra.