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Révolte des sous-traitants

Des millions d’impayés, Maurice sous la menace d’un tsunami de déchets

25 septembre 2024, 18:00

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Des millions d’impayés, Maurice sous la menace d’un tsunami de déchets

À La Chaumière, hier. Les montagnes de déchets qui s’amoncellent n’ont rien à envier en termes de hauteur aux plus hauts sommets du pays.

Le ministère de l’Environnement : «Le paiement auprès de Sotravic est à jour»

De la plus belle île passera-t-on bientôt à île poubelle ? On ne vous parle pas du scénario revisité du film Wall-E mais bien d’une possibilité qui risque de devenir réalité si rien n’est fait, à en croire des sous traitants spécialisés dans la transformation des déchets solides, liquides et gazeux. La raison : ils n’ont pas été rémunérés depuis le mois de mars – d’évoquer des impayés de Rs 80 millions – et ont tout bonnement stoppé le travail. Du coup, des montagnes de saletés s’accumulent au niveau des waste transfer stations et de Mare-Chicose, menaçant de faire de la concurrence au Piton de la Petite Rivière Noire. Sans compter le fait que les bassins d’eaux usées résultant du traitement des détritus risquent de déborder.

Remontons d’abord jusqu’à la source. Tout commence avec le passage du camion-benne chez les particuliers. Des habitants de plusieurs régions du pays, à Quatre-Bornes notamment, ont remarqué depuis quelque temps que la fréquence du ramassage d’ordures était erratique. Nombreux sont ceux qui s’en plaignent, notamment sur des forums regroupant des habitants. «Parfwa zot pa pase pandan 2-3 semenn. Parfwa zot pa ramas tou sak poubel. Ena fwa dir kamion an pann sipaki. Samem vre problem-la sa?» La ville des fleurs devra-t-elle se résigner à ne plus sentir la rose ?

Le maire, Dooshiant Ramluckhun – toujours joignable, accessible et avenant, soulignons-le –, affirme qu’il ne faut pas pousser mémé dans les orties. «Nous avons 31 camions à notre disposition et plus de 350 personnes qui travaillent au service de voirie. S’il y a un problème, les gens doivent nous appeler au 4548054», lâche l’homme qu’on voit souvent sur le terrain, contrairement à d’autres. «Noumem fer customer care parfwa tou!» Dans la foulée, il souhaite rappeler que l’incivisme demeure un problème majeur. «Lot fwa mo trouv enn paran ek so zanfan. Kouma li fini manz so gato, li nek zet so papie lor sime, paran-la pa dir nanye. Lanvironnman se problem tou dimounn. Me o nivo Quatre Bornes, nou travay kouma bizin. Inn anlev bann gro poubel lor gran rout pou lera ek lisien pa fer dezord me nou fer “gran netwayaz’’ enn fwa par mwa.» A-t-il eu vent des problèmes liés aux sous traitants et à la menace du déferlement d’immondices ? «Non.»

Retour sur la route qu’empruntent les ordures en tous genres. Une fois toutes les saletés collectées, les bennes à ordures les déversent dans ce que l’on appelle des waste transfer stations, des dépotoirs en gros. Il y en a à La Chaumière, La Laura, La Brasserie ou encore à Roche-Bois, celui-ci ayant été la proie des flammes pas plus tard que fin juillet. Un habitant sans doute bien inspiré de la région se demandait alors : «Eski finn met dife ladan par expre pou pa bizin amenn zot Mare Chicose? Zafer-la inn satire.»

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Extrait d’un message datant de juin, envoyé par le «négociateur» de Sotravic aux sous-traitants.

Après les kamion salte, ce sont d’autres types de poids lourds, des semi remorques notamment, qui se chargent de les transporter au centre d’enfouissement de Mare-Chicose, qui en a décidément marre. Souvent saturé, il l’est en ce moment «ziska lagorz», affirment des sous-traitants. «Choke net!» La raison étant que la chaîne de traitement, recyclage et collecte de déchets résiduels a été interrompue pour cause d’impayés, donc.

Les bassins de leachate (NdlR, lixiviat, des jus produits sous l’action conjuguée de l’eau de pluie et de la fermentation des déchets enfouis. Ils contiennent une pollution de type azotée – amoniac, NH4 –, de type carbonée – déchets organiques – et des métaux lourds) menacent aussi de déborder à tout moment. «Bann delo nwar-la pou koz enn mari polision sa», indique un sous-traitant, assurant que ce «liquide trouble» pourrait affecter la rivière La Chaux, qui se trouve à proximité, surtout aux prochaines averses. «Bann dimounn ki viv otour pe deza plegne pe dir santi mari pi!» Un autre déverse également sa colère et se retient pour ne pas utiliser un langage ordurier : «Zordi plis ki 200 ti kontrakter avek plis ki 1 500 fami konserne. Pli ki 7 mwa Sotravic pa finn ankor paye. Sitiasion dan pei katastrof, salte pe akimile lor tou depotwar, pe attann pou pran dife; Mare-Chicose delo dan tou basin inn plin, pou koumans afekte Larivyer La Chaux ek tou vwazinaz. Otorite pa pe trouve?» Il faut savoir que ces sous-traitants sont également chargés de récupérer les déchets résiduels et de les rediriger vers des stations d’épuration et bassins de stockage afin de compléter le «cycle» de traitement.

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La situation à Mare-Chicose, où les bassins de «leachate» – lixiviat – menacent de déborder.

D’accord pour la catastrophe «déchétesque» annoncée, mais qui refuse de payer et pourquoi ? «C’est la compagnie Sotravic que ne nous paie plus – nous sommes plus d’une centaine de ‘‘contracteurs’’ dans ce cas – Elle affirme qu’elle n’a pas suffisamment de fonds parce qu’elle n’a pas encore reçu l’argent du ministère…» Le montant dû aux quelque 200 sous-traitants ? Ils avancent le chiffre de Rs 80 millions. Comment cela se fait il ? Lors d’une rencontre avec le ministre des Finances, ce dernier a pourtant affirmé que «de nou kote nou pa dwa enn sou Sotravic». Après six appels – sur la ligne fixe et sur whatsApp – et quatre messages envoyés aux «grands patrons» de Sotravic, nous avons pu mettre la main sur celui qui communique avec les sous-traitants, comme en témoignent les messages qui leur ont été expédiés. Dans l’un de ces messages datant de juin on peut lire : «Please be informed that we have not yet received the payments from the ministry (…)» Au téléphone hier, le «négociateur» a déclaré : «Je ne peux rien vous dire là-dessus de mon côté. Je vais essayer d’obtenir une déclaration de la direction et revenir vers vous.» Ce qui n’avait pas encore été fait à l’heure où nous mettions sous presse, à 18 h 30.

Une source au bureau du Premier ministre fait valoir que ce problème relève du ministère de l’Environnement et qu’il y avait des réunions prévues à ce sujet. Qu’en est-il justement du côté du ministère de tutelle, accusé par des sous-traitants de faire la sourde oreille ? Que fait-il au sujet de cette saleté de problème, ou plutôt de ce problème de saletés ? Nous avons contacté Kavy Ramano à ce propos. C’est une préposée à la division «déchets solides» du ministère qui est revenue vers nous : «Les paiements effectués auprès du main contractor sont à jour au niveau de la solid waste division. Maintenant, on ne sait pas ce qui se passe entre ce dernier et les sous-traitants. Nous avons eu vent des problèmes et avons convoqué ce dernier en urgence aujourd’hui (NdlR, hier, mardi).»

En attendant de connaître les retombées de cette réunion «d’urgence», le ministre affirmait à la mi-août 2024 à nos confrères du Mauricien que «Mare-Chicose est un mal nécessaire». D’ajouter qu’il «n’est pas normal que le pays génère environ 504 000 tonnes de déchets annuellement et que seulement 4 % de ce volume est recyclé (…) C’est un gaspillage des ressources. Des études (…) réalisées ces dernières années ont démontré que 50 à 60 % des déchets sont utilisés pour le compostage. 24 % de ces déchets peuvent également être recyclés, dont 14 % des déchets plastiques.» Kavy Ramano affirmait en outre que d’ici à 2030, «il faut qu’on soit capable de dévier au moins 70 % des déchets de Mare-Chicose vers des centres de tri et de recyclage».

«Ces déchets sont enfouis au centre de Mare-Chicose et il est important de les rediriger», ajoutait le ministre. Pour le moment, c’est l’argent dû aux sous traitants qui s’est enfui quelque part…