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Dr Ameenah Sorefan : «La démence n’est pas un signe normal du vieillissement»

21 septembre 2024, 21:24

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Dr Ameenah Sorefan : «La démence n’est pas un signe normal du vieillissement»

Dr Ameenah Sorefan, géronto-psychiatre, spécialisée en démence et en Alzheimer.

Aujourd’hui c’est la Journée mondiale de la maladie d’Alzheimer, forme la plus commune de la démence. Bien que cette maladie soit mieux connue de nos jours, il y a encore des tabous et la stigmatisation qui y sont associés. D’où la décision de l’Alzheimer Association of Mauritius, rebaptisée depuis peu Association Alzheimer & Dementia Mauritius, présidée par le Dr Ameenah Sorefan, géronto-psychiatre, d’organiser une marche, suivie d’une conférence-débat pour mieux faire connaître la démence et ses différentes formes et expliquer qu’il ne s’agit pas d’un signe normal du vieillissement.

Pourquoi avoir choisi de rebaptiser l’association que vous présidez depuis six ans ?

C’était important de le faire parce que la démence est un terme générique désignant un ensemble de maladies neurodégénératives et progressives du cerveau, qui engendrent des problèmes cognitifs, soit une perte de la mémoire récente, la désorientation, la confusion, des troubles du langage, de l’apprentissage, impactent la prise de décision et occasionnent des problèmes de comportement neuropsychiatriques. Tout cela tombe sous la bannière de la démence. À l’époque on parlait de sénilité.

À quel âge peut-elle apparaître ?

Elle peut se présenter à n’importe quel âge, bien qu’elle soit plus commune chez les personnes âgées. Plus l’âge augmente, plus la démence augmente. Chez les 60 ans, elle affecte une personne sur 100, chez les 65 ans, c’est une personne sur 50 et ainsi de suite. Et elle s’accroît dans le monde. La forme de démence la plus courante dans 50 à 60 % de cas est de type Alzheimer. Ensuite, il y a la démence vasculaire, qui peut se déclencher après une thrombose, une congestion ou un accident vasculaire cérébral. La troisième forme de démence est la mixte qui associe l’Alzheimer et la démence vasculaire. Puis il y a la démence fronto-temporale, qui affecte le lobe frontal et le lobe temporal. La démence Lewy Body affecte le cerveau à sa base et ressemble à la maladie de Parkinson. Il y a aussi la démence due à la consommation excessive d’alcool et de substances psychoactives comme les drogues synthétiques et qui affecte des personnes jeunes. J’ai vu en consultation des personnes de 35 à 40 ans souffrant de cette forme de démence. Les petits accidents récurrents au cerveau peuvent occasionner la démence et dans le monde, aujourd’hui, les spécialistes viennent avec un cahier des charges pour empêcher les enfants de pratiquer la boxe ou le rugby sans protections adéquates. La démence peut aussi être accélérée par des infections telles que le Covid-19 et le VIH/Sida. La démence génétique, autre forme de démence, est faible et elle est à moins de 5 % chez les personnes présentant une démence de type Alzheimer. Elle commence vers l’âge de 50-55 ans. Je n’ai vu que deux ou trois cas de démence génétique en consultation. Mais ce qu’il faut se dire c’est que la démence est présente chez l’individu dix ans avant que les symptômes n’apparaissent.

Quels en sont les signes précurseurs ?

Il y a la perte de mémoire récente par rapport à un évènement important, comme par exemple, oublier qu’on a marié son enfant, il y a quelques mois. L’apprentissage devient difficile. On ne trouve plus ses mots. Que je vous rassure, se souvenir du visage d’une personne mais ne pas se rappeler son nom, ce n’est pas de la démence. Un autre signe précurseur est la désorientation, du genre ne pas se rappeler la route que l’on emprunte depuis des années, ne pas savoir où tourner pour aller chez soi, ne pas s’arrêter aux feux de signalisation etc. Il y a aussi des changements de personnalité que l’entourage devrait noter. La personne souffrant de démence ne peut plus faire des choses qu’elle faisait quotidiennement autrefois. Il y a un ralentissement dans ses activités. Sa routine est perturbée. Par exemple, elle peut se réveiller en pleine nuit pour aller cuisiner. De joviale qu’elle était, une personne souffrant de démence peut avoir des sautes d’humeur, ne plus vouloir socialiser et préférer s’isoler. La personne souffrant de démence fronto-temporale fera montre d’une agressivité verbale et physique brutale. Tous ces signes arrivent un à un. Quand l’entourage note ces changements, il faut aller consulter un professionnel de santé pour voir s’il s’agit bien d’une démence ou pas.

En quoi consiste le diagnostic de la démence et de la maladie d’Alzheimer que vous pratiquez ?

Il me faut quatre consultations pour parvenir à un diagnostic. Il me faut tenir compte de l’historique de la famille, du côté médical, soit demander un bilan sanguin, un bilan psychologique, des tests cliniques comme un scan ou une Imagerie à Résonance Magnétique. C’est en fonction de leurs résultats que j’arrive à un diagnostic. Il faut arrêter de banaliser la maladie d’Alzheimer. Cela fait 14 ans que l’association existe et bien que les Mauriciens sont mieux informés à propos de cette maladie, il y a toujours des attitudes mauvaises, des tabous, le déni et la discrimination qui persistent. Et c’est général. Dans le monde, 80 % du public pense que la démence et la maladie d’Alzheimer font partie du vieillissement normal. Or, rien n’est plus faux. La majorité des centenaires à Maurice ne présentent pas les facteurs de risque de la démence et de la maladie d’Alzheimer.

Quels sont justement ces facteurs de risque ?

Il y en a 14. À commencer par la sédentarité. Quand il n’y a pas d’activité physique, il n’y a pas d’activité mentale. Passer des heures devant la télévision, c’est mauvais. Tout comme être constamment devant l’écran du téléphone ou sur les réseaux sociaux. Le Covid-19 a augmenté le nombre de cas de démence, surtout dans les pays ayant appliqué la distanciation sociale. Il ne faut pas rester en place. Il faut faire de l’exercice et rencontrer des gens. Les contacts sociaux sont importants. Le deuxième facteur de risque est le tabagisme et j’ajouterai à cela la drogue. Puis il y a la consommation excessive d’alcool.

Par consommation excessive, vous voulez dire quoi ?

Une personne qui boit de l’alcool trois fois la semaine est une alcoolique. Imaginez si elle boit tous les jours…

Quels sont les alcools les plus dangereux par rapport à la démence ?

Le rhum, le whisky, la vodka, toutes les boissons ayant une forte teneur d’alcool.

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Et les autres facteurs de risque ?

Il y a la pollution de l’air avec les insecticides et autres pesticides, de même que le monoxyde de carbone. C’est pour cela que je préfère rouler en voiture avec les vitres levées. Les blessures récurrentes à la tête doivent être évitées. Les contacts sociaux peu fréquents sont un autre facteur de risque. L’homme est un animal social et il doit partager ses émotions, son ressenti. Puis il y a le faible niveau d’instruction, qui cantonne les gens dans une routine où ils ne socialisent pas beaucoup. L’obésité est aussi un facteur car le cholestérol affecte les neurones. L’hypertension non contrôlée est un autre facteur de risque, de même que le diabète. S’il est vrai que les neurones et les cellules ont besoin d’oxygène, de nutriments et de glucose pour fonctionner normalement, trop de sucre est mauvais. Mais un taux de sucre trop bas l’est aussi. La dépression non traitée est aussi un facteur de risque. Et là, je ne parle pas d’une déprime mais d’une vraie dépression à l’âge adulte ou en milieu de vie. J’ai aussi noté que les personnes souffrant d’un trouble auditif non corrigé développent une démence. Chez 80 % des patients qui présentent une démence et qui sont venus en consultation, il y avait un trouble auditif non soigné. L’insomnie est un autre facteur de risque. Toute personne, même âgée, doit dormir sept à huit heures par nuit. Les troubles visuels non traités sont le dernier facteur de risque. Pour toutes ces raisons, je dis qu’il faut prendre soin de soi. La santé est inclusive. Si la santé physique est importante, la santé mentale l’est davantage. Il faut donc faire tout pour la protéger. En contrôlant les 14 facteurs de risque susmentionnés, on pourrait réduire et même retarder la démence par 45 %. Ainsi, au lieu d’avoir la démence à 70 ans, on l’aurait à 90 ans. Prenez la responsabilité de votre santé cérébrale. Le plus tôt le mieux. Le cerveau doit être toujours actif le matin. Le soir, coupez le téléphone une heure avant le coucher.

Il est beaucoup question de la pratique des jeux cognitifs pour éviter de développer la démence et la maladie d’Alzheimer. Le recommandez-vous ?

Tous les jeux qui font travailler le cerveau doivent être pratiqués. Mais pas que cela. Toutes les activités cérébrales et physiques sont bonnes. Il faut se bouger, aller marcher, nager, se déstresser. Il faut avoir la mental peace, pratiquer le brain yoga, lire, danser. Et si l’on note un symptôme, il faut aller se faire détecter. À Maurice et ailleurs, on attend trop, quand il est trop tard pour le faire. En faisant une détection précoce, si c’est confirmé qu’il s’agit d’une démence et de la maladie d’Alzheimer, il y a des médicaments que l’on peut donner et qui font ralentir la progression de la maladie. L’entourage ne doit pas être dans le déni. Ce n’est pas un vieillissement normal. Il faut savoir que les somnifères augmentent aussi le risque de développer une démence. Il est temps d’agir, de prendre conscience qu’il s’agit d’une maladie du cerveau et que le plus tôt elle est diagnostiquée, le plus tôt on peut la ralentir avec des médicaments et des activités psychosociales.


L’Alzheimer en chiffres

Il est estimé qu’à Maurice, il y a 14,000 personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et que d’ici 2050, elles seront 25,000. Au niveau mondial, ce nombre est estimé à 55 millions de personnes et d’ici 2050, elles seront 139 millions de malades. Et 75 % des personnes souffrant de démence et de la maladie d’Alzheimer ne sont pas diagnostiquées. Et 85 % des personnes qui en souffrent ne sont pas en mesure d’obtenir un soutien après le diagnostic. La maladie d’Alzheimer et les autres formes de démence sont la septième cause de décès dans le monde. Cette maladie a aussi des conséquences économiques, soit 1 300 milliards de dollars USD. D’ici 2030, ce chiffre devrait passer à 2 800 milliards de dollars USD.


Incollable

Le Dr Sorefan est incollable sur la démence et la maladie d’Alzheimer car cette gérontopsychiatre s’est spécialisée dans ces maladies. De plus, elle se tient régulièrement informée car elle siège sur le conseil d’administration d’Alzheimer Disease International (ADI) et est membre de l’Académie européenne de la médecine des personnes âgées.


Rapport mondial Alzheimer

65 % des professionnels de santé croient qu’il s’agit d’une composante classique de l’âge

En 2019, ADI a commandé une enquête sur la démence à la London School of Economics and Political Science (LSE) afin de cerner les croyances, les connaissances et les attitudes dominantes à l’égard de la démence et de la maladie d’Alzheimer. Ainsi, 68 000 personnes ont été sondées. Cinq ans plus tard, l’ADI et la LSE ont mené une étude de suivi, ciblant quatre groupes : les malades de démence, les aidants, le personnel de santé et le public et 40 000 personnes ont été interrogées. Ce qui a débouché sur la Rapport mondial Alzheimer, présenté officiellement hier.

En matière de connaissances de la démence, en 2024, 80 % du public pense qu’elle est une composante normale du vieillissement alors qu’en 2019, ils étaient 66 % à le penser. Et pire, 65 % des professionnels de santé en 2024 pensent la même chose en comparaison à 62 % d’entre eux, qui le pensaient en 2019. Le rapport note que «le nombre de personnes qui pensent que la démence est causée par un mode de vie malsain est passé à plus de 61 % en 2024, ce qui suggère que les messages sur l’importance de la réduction des risques de démence gagnent du terrain.»

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Si en matière d’attitudes, l’opinion que les personnes souffrant de démence sont dangereuses et imprévisibles, qu’il est important de leur enlever leurs responsabilités familiales afin d’éviter de les stresser et que leur placement dans une maison de soins serait une bonne chose, a augmenté, 80 % des interrogés voudraient passer un test génétique pour connaître leur risque de développer une démence et plus de 90 % des sondés disent qu’il s iraient chercher un diagnostic si un traitement modificateur était disponible. Et plus de 85 % des professionnels de santé ont dit qu’ils seraient encouragés à poser un diagnostic s’il existait un traitement pour prévenir ou ralentir la progression de la démence.

Pour ce qui est des comportements, 88 % des personnes vivant avec une démence disent avoir subi la discrimination en comparaison avec les 83 % qui disaient l’avoir vécu en 2019. Et 36 % d’entre elles ont cessé de postuler pour un emploi ou de continuer à travailler alors que 29 % évitent ou mettent un terme aux relations personnelles intimes, 24 % évitent d’aller chercher de l’aide ou des soins de peur d’être traités différemment par les pharmaciens et d’autres clients, 22 % évitent les banques par peur d’être jugés et 31 % évitent les situations sociales par peur de la réaction des autres. Les aidants aussi changent de comportement vis-à-vis du regard des autres. En effet, 43 % d’entre eux cessent d’inviter des amis par peur de la façon dont ils pourraient traiter le malade, 47 % ont cessé d’accepter des invitations d’amis et de parents, 40 % ont évité de pratiquer des activités sociales et 34 % ne sortent pas en public avec la personne souffrant de démence par crainte d’être mal perçus. Ces réactions montrent «l’impact réel de la stigmatisation publique et structurelle et peut souvent se manifester sous forme d’une discrimination», note le rapport. ADI et l’Association Alzheimer & Dementia estiment qu’il faut attaquer cette stigmatisation sur plusieurs fronts : public, structurel et individuel.