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Aux sources du «communalisme»

28 juillet 2014, 16:30

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Assimilez, mais ne vous assimilez pas - Léopold Sédar Senghor

 

Il semble, dans certains milieux du moins, depuis que la «réforme» électorale s'est engagée à exterminer le Best Loser System (BLS), que le monde s'est figé. Le «débat» suscité a vite dérivé vers une atmosphère imprégnée de récupération politique, de racolage intellectuel et de surréalisme. Sans que, ni les «gentil (le)s» anti-BLS, ni les «méchant(e)s» pro-BLS ne puissent éclairer et convaincre les sceptiques quant à la pertinence de leurs rhétoriques respectives : «communalisme institutionnalisé» et «réconfort des minorités».

 

Lorsqu’aucun projet de société et son plan d'action ne sont disponibles, toute conjoncture propice à la diversion est une aubaine pour celles et ceux qui bénéficient du statu quo – ici camouflé dans une «2e République». Dans son sillage, communauté, identité, religion et citoyenneté sont simultanément caricaturées tout en se dépouillant de toute notion de complémentarité et d'ouverture.

 

Que des personnes qui partagent des affinités,d’une manière ou d’une autre, tendent à se regrouper n'est en rien inadmissible. Ces affinités peuvent se manifester à travers : le pays d’origine, la classe sociale, les croyances ou non-croyances religieuses, le genre, l’orientation sexuelle, les préférences politiques, artistiques, culinaires ou des équipes de football, la technophobie ou la technophilie, etc. Bref, les possibilités sont aussi peu restrictives que les combinaisons sont multiples. 

 

L'identité demeure un work in progress. Elle est de fait plurielle. Elle se construit à travers des échanges actifs et passifs, des émotions et des désirs. L'identification à un groupe ou une communauté n'est, a priori, pas nocive aussi longtemps qu'elle ne se fonde pas sur un traitement de faveur aux «sien(ne)s», mais sur les mérites de tout (e)s, y compris de l'Autre. En revanche, il n'y a rien de moins stimulant que de rester cloîtré parmi ses semblables. Pire, le risque de renforcement des stéréotypes de l'Autre est énorme. 

 

Notre héritage colonial et le bachotage ne nous prédisposent guère à une introspection rigoureuse et l'einsicht (la compréhension intuitive) de notre vécu. L'ère du Breaking News qui exalte l'immédiateté et brime le recul et le discernement n'aide pas. L'aliénation par récit sexotique est alors un drame national. «Quand cela est l’œuvre d’intellectuels, leur culpabilité n’en est que plus grande», prévient Yvan Martial, ancien rédacteur en chef de l'express.

 

“Communautariste”  l'Autre ? “Communautariste” toi-même !

 

Une alliance entre la démagogie, l’idéologie et le réductionnisme pour façonner notre vivre ensemble polarise encore plus la nation. Postuler que la citoyenneté est exclusive, entre autres, de la religion ou de l'ethnie,  et que revendiquer une identité plurielle c'est établir son «communalisme» ou «communautarisme» (pour une dose de mimétisme mal-inspiré),  relève d'un déni de réalité embarrassant.

 

Une doctrine qui se veut “républicaine” s’est insidieusement infiltrée parmi nous. Il existerait une identité de référence à laquelle tout (e)s citoyen(ne)s doivent souscrire. Une sorte d'épuration identitaire qui ne dit pas son nom. Pour ne pas subir le rejet, les différence sont, par conséquent, intérêt à se faire discrètes ou à disparaître. De plus, la religion serait une “affaire privée”. Sans doute, la foi et les rites ne sauraient être ostentatoires. Mais qu’en est-il des dimensions culturelles et traditionnelles qui se construisent et s’affirment, elles,dans le temps et dans l’espace ?

 

Le degré d'influence d'une culture “étrangère”, “séduisante” et hégémonique, ou non, sur une personne dépend du degré de porosité. Pour schématiser, admettons que la conservatrice ou le conservateur tente de résister, là ou le réactionnaire se replie et tend vers l'affirmation identitaire, là ou le vulnérable et impressionnable s'assimile, là ou le cosmopolite intègre ce qui lui semble bénéfique et rejette ce qui lui semble néfaste.

 

Le cosmopolitisme estime primé dans l'ADN des Mauricien(ne)s. Il existe au sein de la population un vivre ensemble doté de bonne intelligence. Emmanuel Richon nous rappelle le terme qui qualifie avec justesse ce lien enviable : “lakorite”. Ainsi, jauger arbitrairement celles et ceux qui seraient moins Mauricien(ne)s ou plus Mauricien(ne)s parmi tout (e)s les Mauricien(ne)s comporte de quoi attirer les foudres de Frantz Fanon, Ali Shariatiou, Pankaj Mishra (l'héritier de Edward Saïdselon la revue The Economist).

 

Ce qui est inquiétant, ce sont les fissures qui se propagent de moins en moins subtilement dans cette “lakorite” et qui déclenchent des crispations de plus en plus ambiantes. Cette tendance malsaine peut être renversée par l'intermédiaire des institutions avec des dirigeants crédibles qui inspirent confiance, d'un ascenseur socio-économique et d'un reward system qui rejoignent les aspirations des citoyens.

 

Plus la société est pluri-ethnique et pluri-religieuse, plus les risques de conflits et de discriminations existent. Que la présence d'un market-dominant minority peut exacerber. On ne peut ni se permettre d'occulter les risques et les symptômes (e.g. “communalisme”et précarité), ni de fantasmer sur leur éradication, 46 ans après notre indépendance ou même plus. Par contre, on peut les anticiper, gérer et minimiser, et ce, avec des politiques publiques composant avec des statistiques régulièrement mises à jour, des perspectives anthropologiques et neuroscientifiques.

 

Manufacturing Dissent

 

Pour revenir au BLS, c'est une affirmative action pour combler tout déficit potentiel de représentativité, indispensable dans toute démocratie fonctionnelle. Une affirmative action, comme toutes formes de quotas d'ailleurs, sans sunset clause est contre-productive, car elle prive les gouvernements de l'incitation à mettre en œuvre un ensemble de mesures aptes à créer les conditions favorisant l'empowerment et l'adhésion. Plus dangereusement, elle risque d'être instrumentalisée à des fins inavouables.

 

Aujourd'hui, rares sont les gouvernements qui ne soient pas sous l'emprise du Big Business. Parallèlement, la fabrication du consentement (comme déconstruit par Noam Chomsky) autour des politiques, en phase avec la quête de rentes de situation, se charge aussi de diffuser un écran de fumée et d'inventer d'autres pouvoirs de nuisance et des boucs émissaires. L'impact est multidimensionnel et profond.

 

Non seulement le level playing field,incontournable au dynamisme d'une économie, se retrouve sérieusement perturbé, les inégalités se creusent, l'apathie s'installe, la productivité se grippe et on assiste au retour du tribalisme. C'est absolument regrettable que les énergies et les neurones ne soient pas encore stimulés et réunis pour réclamer en masse, notamment, une Electoral Funding Act, une Freedom of Information Act, une limitation au cumul des mandats et une véritable réforme agraire.

La gouvernance par externalisation, par fait accompli, par Drs, Lawyers & Sons, mettant la charrue avant les boeufs, one-track minded, dépourvu du sens de l’éthique et sans empathie nous a suffisamment lésés et sclérosés. Ce serait souhaitable que celles et ceux qui aspirent à nous servir “autrement” de bien saisir tout ce qui se dissimule sous cette tromperie systémique.

 

Et d'élaborer un manifeste libéré de toute posture binaire, sectaire et corporatiste. Dans l'espoir que nous retrouvions vivement notre “paradis”.