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Le secteur privé lesté d’une charge financière d’environ Rs 18 milliards

14 août 2024, 09:00

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C’est un fait : il fallait rétablir le pouvoir d’achat et corriger les distorsions sur le marché du travail suivant le relèvement du salaire minimum à Rs 16 500 et la compensation salariale substantielle de Rs 1 500 à Rs 2 000 versée en janvier dernier. Toutefois, en essayant de rétablir un certain équilibre dans les mécanismes salariaux, le gouvernement, sans doute pris dans le vertige de la campagne électorale, a ouvert une boîte de Pandore.

Il faut savoir qu’au mois de janvier, le salaire minimum a fait un bond, passant de Rs 11 575 à Rs 16 500, soit une hausse de Rs 4 925. Cette politique de nivellement par le bas a donné lieu non seulement à des anomalies, mais aussi à beaucoup de frustrations. Car, d’une part, la frontière séparant la classe ouvrière et la classe moyenne s’est considérablement estompée alors que d’autre part, les diplômés étaient plongés dans la sinistrose, s’interrogeant légitimement sur la pertinence de faire carrière à Maurice. Disons-le franchement : il y a encore à peine deux ans, certaines grosses entreprises payaient moins de Rs 20 000 à des diplômés. Une situation qui est à l’origine de la forte mobilité sur le marché du travail, avec de nombreux jeunes professionnels insatisfaits de leurs conditions de service passant un court séjour dans les entreprises. L’instauration d’un salaire minimum pour les détenteurs d’un diplôme et les Degree holders de Rs 23 000 et Rs 25 000 devrait, hypothétiquement, freiner la mobilité professionnelle et la fuite des cerveaux.

Vu sous cet angle, l’exercice de relativité salariale a eu le mérite de mettre un peu d’ordre dans un capharnaüm provoqué par la politique progressiste et fortement centrée sur le capital humain du présent régime. Mais toutes les disparités n’ont pas été corrigées. Ainsi, les professionnels percevant plus de Rs 50 000, parmi un bon nombre de cadres, sont lésés dans cette opération du fait qu’ils sont rattrapés par les autres catégories socioprofessionnelles. Cette problématique sera certainement prise en considération lors des consultations en vue de la publication du livre blanc sur la réforme des salaires.

Pour résumer, sur un total de 333 380 travailleurs du secteur privé, 197 042 salariés sont concernés par la révision salariale, soit environ 60 % de la main-d’œuvre du secteur privé. Au total, 106 590 employés figurant dans la tranche des salaires de Rs 20 000 à Rs 50 000 bénéficieront d’un réajustement de l’ordre de Rs 2 925. Alors que 90 452 employés touchant en dessous des Rs 20 000 profiteront d’une augmentation variant de Rs 600 à Rs 3 298. Par contre, 100 000 employés au bas de l’échelle resteront sur le salaire minimum. De même, 36 338 professionnels percevant plus de Rs 50 000 sont exclus de l’exercice.

Les grands perdants dans cette opération de réalignement des salaires, ce sont bien entendu les entreprises. Car la note sera extrêmement salée. Rien que pour les employés dans la tranche des salaires de Rs 20 000 à Rs 50 000, le coût du réajustement tournera autour de Rs 4 milliards par an (106 590 x 2 925 x 13). Il faudra aussi compter avec le coût du réajustement pour les moins de Rs 20 000, qui devrait totaliser un peu plus de Rs 2 milliards. Ces charges financières viendront se greffer à la hausse du salaire minimum intervenue en début d’année, dont le coût est calculé à Rs 5,8 milliards par Business Mauritius, et à l’augmentation de la compensation salariale estimée autour de Rs 6,2 milliards. Avec l’empilement de tous ces chiffres, le secteur privé se retrouve lesté d’une charge financière d’au moins Rs 18 milliards. Autant dire que les mois à venir seront compliqués pour les acteurs économiques, à commencer par les petites et moyennes entreprises, qui ne disposent pas forcément du muscle financier pour soutenir de tels coûts. Loin de vouloir jouer les Cassandre, l’on peut avancer qu’il est clair que les conséquences de cette «inflation des salaires» sur les entreprises seront multiples : elles seront limitées dans leur capacité à recruter et à investir et, dans le pire des cas, certaines pourraient se voir contraindre de réduire leur effectif. Il est donc essentiel que l’État, qui a exercé sa souveraineté en fixant les règles du jeu pour la détermination des salaires au lieu de laisser ce processus se faire via les forces du marché, intervienne une nouvelle fois pour accompagner cette fois-ci les entreprises dans cette transition.

D’un point de vue purement macroéconomique, cet exercice de révision des salaires pourrait faire repartir l’inflation contenue à 4,5 % en juin et calculée à 4,9 % pour 2024. Mais le point positif, c’est que l’amélioration du pouvoir d’achat du Mauricien devrait relancer la croissance à travers le levier de la consommation, qui compte pour plus de 75 % du produit intérieur brut.

Cela dit, la boîte de Pandore est ouverte. On avance sur un chemin tortueux.