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Deodass Meenowa et sa famille

Les enracinés de Camp-La-Boue

7 juillet 2024, 22:00

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Les enracinés de Camp-La-Boue

Ce n’est pas souvent que le nom de toute une famille est ainsi associé à un village. Celui des Meenowa trouve ses racines dans le village de Camp-La-Boue (devenu Vallée-du-Paradis en 2013) depuis 1910 quand le grand-père de Deodass est venu s’y installer pour acheter des terres et pour fonder une nombreuse famille. Depuis, de père en fils, tous sont attachés à cette terre familiale (pour l’élevage et pour l’agriculture) qu’ils n’ont jamais quittée afin de perpétuer la tradition. Ce n’est pas pour autant qu’ils sont devenus des laboureurs. Tous les Meenowa de Camp-La-Boue ont fait des études ; sont devenus des professionnels (médecins/enseignants/ infirmier/directeur) ; mais se salissent quand même les mains comme gentlemen farmers. Deodass Meenowa, retraité depuis 2020 après avoir été Principal Veterinary Officer pendant 40 ans, se la coule douce et se prépare le 17 août prochain à aller applaudir sa fille Yashwini (médecin) sur les planches du MGI dans le rôle d’Armande dans «Les Femmes Savantes» de Molière. Une famille, les pieds dans la boue et la tête dans les nuages.

La rue principale du village de Camp-La-Boue (Montagne-Longue) est en effervescence en ce matin du 30 juin 2024. Le clan Meenowa, une grande famille de la région, notable, et d’autres habitants du quartier, célèbrent avec des offrandes et des prières la reprise de la récolte de la canne à sucre. Une fête annuelle, plus connue comme le Bahaaryah Puja, de remerciements à Dieu, tenue en open air, en dehors du mandir, ou lieu de culte, en présence d’un prêtre officiant de l’Arya Samaj. «Ceci marque le début de la récolte de la canne à sucre, et on prie pour que celle-ci se passe bien, et que tout le monde en bénéficie», dit-on au village. L’offrande, (c’est-à-dire, le prasad) est partagée à tous ceux présents à la cérémonie et même aux passants. Les randonneurs de Netwalking. mu, revenant des cascades de Ruisseau Rose, ont même eu droit aux friandises. Tout le village est partie prenante de cette fête car tous sont propriétaires de terrains (au départ pour l’élevage) devenus ensuite à vocation agricole. Deodass Meenowa est né à Camp-La-Boue, le 31 juillet 1955. Son père Teeluckdharry Mohun Meenowa y est né aussi en 1911 (décédé à l’âge de 86 ans) et sa mère Radeek, née Lutchmun, à Eau-Coulée en 1921 est décédée à l’âge de 95 ans. Le couple a eu pas moins de sept enfants. Deodass est le 6e enfant de cette fratrie de 7 (six frères et une sœur). Il est le cadet après Ram (Horill), ancien éducateur à l’école primaire, ensuite Deputy headteacher (85 ans) ; Amrith (Rishiduth) éducateur à l’école primaire, ensuite Deputy headteacher ; Beediawtee Meenowa, (femme au foyer), décédée en 2010 ; son fils Rabin porte toujours le nom des Meenowa, étant adopté par son grand-père ; Anand (Beeckram), éducateur au Soondur Munrakhun College de Montagne-Longue ; Dharmanand (Dhunnunjoy), infirmier en charge à Manchester où il a élu domicile et Jugduth, éducateur au Cosmopolitan College de Plaine-des-Papayes. Le père lui-même a été planteur, éleveur et agriculteur ; assistant volontaire à l’école primaire de Congomah, très connu et très actif dans social et enfin membre du Village Council de Montagne-Longue. «L’on raconte que papa faisait le parcours d’ici à la foire de Vacoas, avec sur la tête, des paniers de mangues mûres : baissac, ou maisons-rouges, très connues et appréciées des gens de la ville», se plaît à dire Deodass pour dire que la vie à l’époque n’était pas si facile. C’est dire aussi que cette famille est enracinée depuis le siècle dernier dans ces terres. Et qui, pour l’heure, sous le seul nom de Meenowa, ne compte pas moins d’une quarantaine de membres. À cela, pour que le compte soit bon, il faut ajouter gendres et belles-filles.

Deodass se souvient de ce letan lontan : «Maman élevait des vaches et fournissait le village en lait frais. Et, nous, en bande, les garçons, nous allions régulièrement chercher le fourrage pour les animaux. Donc, on passait par la rivière, et les petites cascades pour chercher de l’herbe, et de la paille de canne. Papa possédait la charrette sans le bœuf, ce qui veut dire qu’un d’entre nous était toujours à l’avant pour tirer et diriger la charrue !» Il se souvient surtout des jours de pluie, de la boue, des terres produisant tous les légumes en abondance (comme maintenant) et surtout des fruits : litchis, mangues, et que les habitants étaient surtout des laboureurs, qu’ils possédaient des charrettes de bœufs ; ensuite les camions qui arpentaient les champs. Les chemins n’étaient pas goudronnés, il y avait tout le temps de la boue partout. C’est après le passage du cyclone Carol en 1960, qu’on a commencé à asphalter.

Deodass fréquente, comme tous les enfants Meenowa, l’école primaire de Montagne-Longue, maintenant connue sous le nom de Mohabeer Foogooa Primary School et ses études secondaires au collège Soondur Munrakhun de Montagne-Longue. Mohabeer Foogooa avait été élu membre du Parlement lors des élections de 1959, dans la circonscription no 8 de Montagne-Longue alors que le pays comptait 40 circonscriptions. Il avait battu alors Somdauth Bhukory. Il sera réélu en 1963. En revanche, Soondur Munrakhun était inspecteur des écoles primaires de l’île et il a été le père fondateur du collège S.M.C (anciennement connu sous le nom de Long Mountain College). Au terme de ses classes primaires, Deodass frôle de près la ‘petite bourse’ et il atterrit au S.M.C du village, où il est toujours le premier de la classe, le capitaine de l’équipe de foot entre autres, quand il n’organise pas des rencontres de volley-ball.

Le vert paradis de l’enfance

À l’époque, la population était clairsemée au village, d’autant que l’électricité y est arrivée en 1964. Les loisirs étaient rares. «Nous avons eu la télévision, inaugurée à Maurice en 1965, en 1969/1970 chez nous ; on regardait surtout les informations télévisées, et les films en hindoustani. Star Trek, La Petite Maison dans la Prairie, Ivanoe, Mannix, High Chapparalétaient mes favoris», dit Deodass. Mais avant la télé, c’était autre chose. «Marcher de la maison à Camp-La-Boue jusqu’à l’école primaire, à travers les chemins de cannes ; jouer au football, à l’école et au collège. Étant le frère cadet, je n’avais pas le droit d’aller pêcher les camarons, ou nager dans la rivière, puisque les grands n’étaient pas contents de ma présence. On écoutait la radio à la boutique du coin. Le samedi, après le déjeuner, vers les 2 heures de l’aprèsmidi, mon petit frère et moi on buvait du Pepsi très glacé et on savourait les massepains, à la Boutique Coopérative de Mte.-Longue, où papa faisait tout le temps l’audit ! Nous dépensions ainsi toujours nos économies…»

deodass.jpg Deodass Meenowa, son épouse et leur fille.

Les jeunes ne sont pas désœuvrés pour autant dans le village. Outre les activités sportives, ils se rencontrent régulièrement au L.M Students Club, pour participer aux débats en anglais et français et aux quiz. Et puis, grâce à l’initiative de la famille Sibartie, qui avait fusionné le Flacq Bus Service et le Long Mountain Bus Service, «on allait souvent en ville avec nos parents, car on avait la chance d’avoir les bus de Flacq/Long Mountain Bus Service, qu’on prenait près de l’école primaire du village. Donc, on allait facilement au cinéma en ville, et parfois aussi vers la mer de Mont-Choisy et de Péreybère. En parlant du cinéma, les gens qui étaient plus braves, marchaient vers Crève-Cœur pour atteindre St.-Pierre où il y avait le cinéma Naaz».

couple.jpg Une belle rencontre avec le couple Meenowa en ce matin du 30 juin.

La campagne de 1967

Deodass a 10 ans quand la campagne pour l’Indépendance bat son plein. Et Camp-La-Boue n’est pas à l’abri de ces turbulences. Toutefois, Deodass a un souvenir assez flou de cette période. Mais l’on imagine mal son père, un notable influent du village rural, rester indifférent à cette lutte d’émancipation.* «Je n’ai pas trop de souvenirs de cette lutte, sinon qu’on avait un député de l’endroit, et très souvent, papa était sollicité par les villageois, par les réunions tenues sous les varangues.»* En rassemblant ses souvenirs, il se souvient quand même des «vacarmes sonores avec les haut-parleurs sur les voitures, et les chansons très patriotiques (en hindi) ; des réunions, en masse, sur la plaine du collège, ou au centre du village, où sont situés présentement le village hall et l’école primaire». En fait, pour cette élection de 1967, on retrouve, pour la troisième fois, Mohabeer Foogooa élu en tête de liste avec Raouf Bundhun et Raymond Rault sous la bannière de l’Independence Party dans la même circonscription devenue no 4, PortLouis Nord/Montagne-Longue.

pere et mere.jpg Le père et la mère de Deodass : Teeluckdharry Mohun et Radheeka Meenowa.

En 1967, à 12 ans, Deodass n’a pas oublié ce sentiment de peur qui étreint tout le pays à l’époque. «On était très perturbés à cause des bagarres raciales de 1967 et les récits des gens qui arrivaient de Port-Louis ne nous rassuraient guère. Quand même, je me souviens, d’être parti en famille, ou en groupe, très excité, aventurier, vers le Champ-de-Mars en mars de 1968, pour la célébration de l’Indépendance du pays !»

Deodass fait ses études universitaires en Inde à l’Haryana Agricultural University à Hisar de juin 1973 à décembre 1978 pour l’obtention d’un Bachelor in Veterinary Sciences and Animal Husbandry. Ensuite, il complète ses études avec un Masters in Business Administration – International Marketing de Charles Sturt University de l’Australie en 2007. Il prend de l’emploi au ministère de l’Agriculture et des forêts en septembre 1980, comme Veterinary Officer ; part pour une année de service à Rodrigues, de mai 1982 à juin 1983. Il gravit les échelons pour devenir le Principal Veterinary Officer du ministère en 2006, jusqu’en février 2020, date à laquelle il prend sa retraite, après 40 années de service. «L’État a reconnu mes années de bons et loyaux services, et m’a récompensé d’une President’s Distinguished Service Medal en 2020.»
randonnee.jpg La randonnée vers les cascades Ruisseau Rose, au milieu de la nature sauvage.

L’axe Camp-La-Boue/ Triolet En revenant de Rodrigues, Deodass Meenowa se marie le 28 juillet 1985 à Amita Devi Sobarun, une jeune fille de Triolet où d’ailleurs, elle fait ses études primaires. Elle obtient une bourse pour ses études secondaires au Queen Elizabeth College au terme desquelles elle est employée par le collège International de Triolet. Elle termine, par la suite, ses études supérieures au Mauritius Institute of Education et à l’université de Maurice en mathématiques. Jeune épouse, Amita Devi met du temps pour s’habituer à la vie tranquille de Camp-La-Boue.«Oui c’était difficile au départ. Triolet, en comparaison, était une grande agglomération bruyante avec des magasins. Ici c’était tranquille ; ça l’est toujours. Mais je me suis habituée et j’aime ça.»

Deodass et Amita Devi ont une fille, Yashwini, en décembre 1990. Yashwini fréquente l’école primaire Raoul Rivet à Port-Louis. Elle se classe à la 65e place au CPE, et elle est admise au QEC ; comme sa mère. Elle se distingue en obtenant 8 unités au SC, et passe son HSC brillamment. Au SSR Medical College (SSRMC) de Dubreuil, elle complète son diplôme de MBBS (Bachelor of Medical Sciences and Surgery), et travaille à la Medisave Clinic, au Wellkin Hospital, Réduit et aussi comme part-time lecturer au SSRMC. Après une année à l’université de Dundee, en Écosse, elle obtient son MSc en Medical Arts. Elle est présentement employée au ministère de la Santé de Maurice comme Registered Medical Officer. Son parcours exceptionnel comprend aussi l’obtention du 1er prix d’élocution en anglais, lors de la Ramakrishna Mission National Elocution Competition en 1999 ; de la meilleure actrice en anglais pour son rôle dans la pièce Beauty and the Beast lors de la compétition du National InterCollege Stage Play et actuellement, elle joue le rôle d’Armande dans la pièce Les Femmes Savantes de Molière que met en scène Adam Firoz Saumtally et qui sera jouée le 17 août prochain en soirée au MGI. Celui-ci est élogieux à l’égard de Yashwini : «Le théâtre c’est sa passion ; elle joue très bien, sa voix porte loin et elle a une excellente diction.» Elle est mariée au Dr. Vishaan Hasowa de Flacq où elle réside.
jugduth.jpg ** Jugduth Meenowa, le frère de Deodass… de belles retrouvailles après 40 ans avec Arnaud Godère de «netwalking.mu» ; ils étaient en classe au John Kennedy College.**

Entre yoga et jardinage

À la retraite, Deodass Meenowa remplit bien ses journées. Entre le yoga et le jardinage tous les jours, ses autres activités le comblent. «Je suis membre de l’Association d’Arya Samaj de la région, et du groupe Community Watch. Je conseille gratuitement surtout les éleveurs et les planteurs du village. Je participe pleinement à la campagne de stérilisation des chiens et chats, et surtout pour les gens de la région, en offrant un prix accommodant. Je participe aux activités organisées par la Northern Senior Citizens Association qui a ses assises à Trou-aux-Biches.» Toutefois, il ne cesse de rendre hommage à ceux avant qui ont fait la fierté du village ou de la région : sir Raman Osman, le premier gouverneur-général de Notre-Dame ; sir Ramesh Jeewoolall, de Crève-Cœur, élu à Piton/Rivière-du-Rempart en 1976, qui devient le premier speaker en 1979 (après avoir été speaker adjoint) succédant à sir Harilall Vaghee et le Dr. Atchiam qui avait établi la première clinique au village, suivi du Dr. André. De là, a été établi l’hôpital de Montagne-Longue qui fait la fierté du village.

Deodass mentionne aussi qu’un autre Meenowa a porté fièrement les couleurs de la famille et de la région à… l’Assemblée nationale. Il s’agit de Jai Prakash Meenowa (le fils de son oncle) élu en 1995 au no 7, à Piton/ Rivière-du-Rempart sous la bannière MMM/PTr en 1ère position et en s’offrant le luxe d’envoyer Anerood Jugnauth au tapis ; réélu en 2000 sous la bannière MSM/MMM pour remettre ça en 2005, toujours au no 7 et qu’il mord la poussière en 2010 (sous la bannière MMM/UN/MMSD) au no 6, à Grand-Baie/Poudre-d’Or où il avait été catapulté par une alliance PTr/PMSD/MSM. Toutefois, en 2021, Jai Prakash Meenowa est nommé General Manager du SILWF.

Pour l’heure, Camp-La-Boue demeure toujours un petit village presque inconnu, refermé sur ses 300 habitants, loin du bruit et la fureur de la ville ; bien qu’en 2013, il ait été sous les projecteurs à partir d’une pétition de ceux-ci, pour que ce nom, considéré comme ‘dégradant’, soit changé en Vallée-du- Paradis par le conseil de district de Pamplemousses.

Il est pertinent de poser la question si la Vallée-du-Paradis restera figée dans le temps et se cantonnera à sa vocation agricole exclusivement. Sans que tout changement ne vienne bouleverser la quiétude et la sérénité des lieux. Pour avoir traversé le village par l’unique route qui mène aux champs de canne et de là, à la rivière pour remonter ensuite jusqu’aux cascades, j’ai constaté le parti que le village pourrait en tirer en exploitant justement ses produits frais (fruits/ légumes) qui pourraient être mis à la disposition des randonneurs les dimanches. Sans oublier les jus frais dont les randonneurs sont friands. Cela dit, c’est une idée à creuser.

En attendant, cette randonnée vers les cascades Ruisseau Rose, (bien que casse-gueule car les rochers sont glissants) demeure une piste 5-étoiles dans la nature sauvage qui met à rude épreuve les muscles. Ne pas s’y aventurer sans guide qui ne serait pas muni, de surcroît, d’une corde !