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Carnet de voyage

Michel Gilbert Deville : De notre île tropicale au froid Svalbard dans l’Arctique

25 mai 2024, 20:00

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Michel Gilbert Deville : De notre île tropicale au froid Svalbard dans l’Arctique

[Photos : Michel Gilbert Deville]

Se rendre en petit voilier dans l’archipel norvégien de Svalbard, qui est entouré de la mer du Groenland, de celle de Barents, de Norvège et de l’océan Arctique, pour faire du trekking sur le glacier de Longyear… Une aventure vécue récemment par notre ancien confrère Michel Gilbert Deville, 53 ans. Depuis qu’il a quitté la presse, il y a une quinzaine d’années, il a fondé Ideos Communications, boîte de relations publiques et de communication. Ce jeune quinqua, sportif et curieux, est en quête de découvertes et d’adrénaline et on peut dire qu’il n’a pas été déçu avec ce périple. Il a bien voulu partager un carnet de voyage avec l’express. Un trip parfait pour ceux qui sont aventureux et qui ont le cœur solidement accroché. Petites natures s’abstenir !

Michel Gilbert Deville confie qu’il a toujours eu le goût de l’aventure et du beau, «un intérêt marqué pour la découverte sous toutes ses formes - sans doute ma curiosité naturelle - et la recherche d’une bonne poussée d’adrénaline, tout en restant prudent.» À Maurice, il pratique régulièrement le VTT et le trekking. Et se dit «toujours partant pour faire de nouvelles expériences saines. Mes voyages, même s’ils ont lieu dans des villes étrangères connues, consistent principalement en de longues balades et marches, à la découverte des lieux, des gens, de la culture, de l’histoire, de la nature, de vieilles pierres…»

Sa première expérience, au-delà du cercle polaire, remonte à quelques années. «C’était un séjour dans le Nord de la Norvège en hiver, avec de la neige partout, des aurores boréales, des sorties en traîneau avec des rennes et des chiens… Déjà là, l’idée d’aller au Svalbard en avion me titillait. Mais faute de temps et de moyens c’était impossible.» Il y a quelques mois, il découvre qu’un petit voilier propose la traversée du Nord de la Norvège jusqu’à l’archipel de Svalbard. «Ce voyage n’a lieu qu’une fois l’an, pour une petite poignée de passagers, qui participent aussi aux activités et au travail à bord. Comme mon anniversaire coïncidait avec ce déplacement, l’occasion était trop belle pour la laisser passer.»

L’archipel de Svalbard l’a toujours fasciné, «pour ses paysages et sa nature sauvages, son histoire liée à l’activité humaine et aux explorations polaires du début du 20e siècle et pour d’autres caractéristiques. Par ailleurs, il abrite la grande réserve mondiale de semences, enfouie dans son sol glacé, et Longyearbyen y est l’endroit le plus au nord de la planète où il y a une agglomération permanente - environ 2 000 habitants dans cette ancienne ville minière à environ 1 300 km seulement du pôle nord. Quand j’ai vu qu’il y avait la possibilité d’aller au Svalbard en fin d’hiver en faisant une traversée sur un petit voilier à travers la Mer de Barents, en vivant l’expérience de la navigation et en y participant - et avec un peu de chance, voir des baleines, des phoques et des ours polaires – pour moi, c’était l’évasion avec un grand E, la possibilité de vivre une aventure dans l’aventure. ‘De dan enn !’, comme on le dit chez nous. De plus, il y a avait une courte escale sur l’Ile aux Ours, une autre terre sauvage et glacée, à mi-chemin entre la Norvège et Svalbard. On y trouve une station météorologique et une station radio permanentes.»

Il a eu du mal à trouver les vêtements appropriés à Maurice. «Heureusement, je sais comment m’habiller pour le froid. Il faut superposer les couches de vêtements - deux ou trois, mêmes fins pour les premières -, en faisant attention à porter de la laine et du polyester sous différentes formes. Malheureusement, on trouve surtout des vêtements en coton à Maurice, et cela se comprend vu notre climat. Heureusement, j’avais des vêtements de voyages précédents et quelques hauts et bas ‘première couche’ de sport en polyester, faits pour les conditions fraîches et que j’utilise notamment à vélo ou pour le trekking en hiver à Maurice. J’ai pu compléter avec un ou deux accessoires en Norvège. Il fallait aussi des vêtements imperméables pour être sur le pont en pleine mer avec les embruns, et dans le dinghy, en cas de débarquement sans ponton. Cela se trouve à Maurice, notamment dans un magasin de sport.»

Il n’a ressenti aucune appréhension au départ, «uniquement l’enthousiasme de la découverte et de l’aventure.» Suivons-le.

[Photos : Michel Gilbert Deville]

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Ton voyage a commencé quand et à partir d’où ?

«J’ai quitté Maurice pendant la dernière semaine d’avril. Voyage en avion jusqu’à Tromso dans le nord de la Norvège. De là, embarquement sur le voilier, en direction du Svalbard pour sept jours de traversée sur environ 1 000 kilomètres, avec une petite escale à l’Ile aux Ours.»

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Vous étiez à combien à bord ?

«Nous étions… 13! Superstitieux s’abstenir ! Quatre membres d’équipage à plein temps et neuf passagers. Nous étions sous la supervision du capitaine et de trois autres membres d’équipage navigants. Trois équipes de passagers, supervisées chacune par un membre d’équipage, ont été constituées. Nous avons ainsi enchaîné les quarts à tour de rôle : quatre heures de veille, de navigation et de préparation des repas, et huit heures de repos. Nous étions donc on duty, parfois de minuit à 4 heures, parfois de 16 à 20 heures, d’autres fois de 8 heures à midi… Pendant les heures de veille, nous avions la responsabilité de tenir le cap à la barre, de manipuler les voiles, de préparer les repas, etc. En cas de besoin, les membres des autres équipes participaient aussi. Il y avait aussi, au début du voyage, des séances de formation aux mesures de sécurité et des simulations de situations d’urgence, pour voir notre réactivité.»

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Quelles sont les dimensions de ce bateau ?

«Environ 21 mètres de long par six mètres de large, et un mât de 26 mètres. La coque et le pont sont en acier afin de pouvoir passer à travers des petits morceaux de glace. Le voilier est aussi équipé de moteurs. Il est également équipé de tout ce qu’il faut en termes de sécurité à bord et pour tout éventuel besoin de le quitter, notamment des canots de sauvetage modernes et des tenues de secours pour le séjour en mer dans le froid. Le gilet de sauvetage était obligatoire quand nous étions sur le pont. Nous n’avons utilisé le moteur que deux fois, en quittant Tromso pour traverser le long fjord afin d’atteindre la pleine mer car il n’y avait quasiment pas de vent, et la seconde fois, pendant quelques heures à deux ou trois jours de l’arrivée afin d’ajouter un peu de vitesse de croisière car le vent était faible.»

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Comment s’est déroulée la traversée ?

«Le premier jour en pleine mer fut difficile. Nous étions sous voile et ce fut le jour où la mer était la moins calme. Avec le roulis et le tangage, plus le gîte du bateau, même si tout le monde avait le pied marin, tous les passagers ont souffert du mal de mer, certains plus que d’autres, le temps que nos organismes s’adaptent. Le jour suivant, ça allait nettement mieux jusqu’à la fin de la traversée. Il y a aussi eu la joie de découvrir la magnifique vue de la côte de l’Ile aux Ours ou du Svalbard, hérissée de monts enneigés émergeant du brouillard, quand nous avons approché. L’autre moment un peu délicat durant le voyage a été la traversée du fjord à l’approche du port de Longyearbyen au Svalbard, notre destination finale. Le dernier kilomètre avant d’atteindre le plan d’eau dégagé autour du ponton était couvert de glace flottante. Heureusement ce n’était pas une banquise solide car autrement, nous n’aurions pu passer. Nous avons mis plus de quatre heures pour parcourir ce kilomètre, en naviguant au ralenti et en serpentant entre les blocs de glace.»

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Des anecdotes à partager ?

«Chaque jour comportait ses anecdotes mémorables. S’il y en a une que tout le monde à bord a retenue, c’est le joke du ‘capitaine fantôme’. L’un des passagers était tellement faible après une journée et une soirée de mal de mer qu’il n’a pas reconnu le capitaine quand ce dernier est venu le voir dans la cabine pour vérifier s’il allait mieux ! Avec la lampe à lumière rouge utilisée par le capitaine pour ne pas déranger et éblouir, le passager l’a pris pour un fantôme. Tout le monde en a ri, à commencer par le passager ! C’était impressionnant aussi de voir l’omniprésence des oiseaux marins. Quelques-uns suivaient le bateau quand nous étions en pleine mer, se posaient sur l’eau glacée, et des centaines d’autres autour des falaises de l’Ile aux Ours.»

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Le trekking sur le glacier de Longyear est-il périlleux ?

«Je ne peux le dire pour tous les glaciers. Celui de Longyear ne présentait pas de risque car il est stable en cette fin d’hiver, et recouvert de neige. Il vaut mieux être en forme toutefois pour le parcourir car ce trekking implique de faire les trois quarts du parcours en montée permanente, avec environ 800 mètres de dénivelé, sur les pentes du glacier et d’une montagne, jusqu’au sommet de cette dernière. Le glacier n’était pas directement visible en surface : une couche de neige, très dure par endroits, le recouvrait. Nous portions des crampons sur les chaussures de trekking afin d’accrocher la neige et la glace et ainsi marcher sans glisser. Après avoir marché sur le glacier, la fin de la sortie comprenait une visite à l’intérieur du glacier. Une petite ouverture permet de parcourir quelques dizaines de mètres dans des cavernes au cœur du glacier, avec des parois et des plafonds impressionnants, faits de glace contenant de la terre et des pierres de toutes tailles.»

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Les moyens de communication ?

«Le voilier est équipé de radio HF et d’autres équipements de télécommunication, de balises automatiques, etc. Une fois en pleine mer, nous n’avons pas croisé un seul autre bateau ou navire ! Mais nous étions en contact avec d’autres bateaux ou stations, surtout à l’approche des côtes. La navigation se fait aussi avec des moyens modernes : GPS en temps réel, etc. Les cartes marines traditionnelles, avec les contours des fonds marins, sont aussi utilisées, surtout pour passer les fjords et à l’approche des côtes.»

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Se retrouver sur un espace de vie aussi petit avec des étrangers n’est-il pas difficile ?

«Pas du tout. Nous étions un groupe qui ne se connaissait pas mais avec le même état d’esprit : découvrir, vivre une expérience formidable et apprendre. Tous des adultes responsables, qui faisaient leur part du boulot quand il le fallait, qui respectaient l’espace des autres, et qui partageaient un bon esprit de camaraderie. Il y avait à bord, en comptant les passagers et les membres d’équipage, des Norvégiens, des Allemandes, un Néerlandais, un Brésilien vivant aux Pays-Bas, un Espagnol vivant en France, une Croate vivant en Allemagne, un Portoricain vivant dans le Nord-ouest des États-Unis… et moi, le Mauricien. C’était donc cosmopolite et je me sentais comme un poisson dans l’eau.»

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Et le froid ?

«Rien d’insoutenable. La température moyenne pendant le voyage, en mer et au Svalbard, oscillait entre +2 et -3 degrés. Ce ne sont pas des températures extrêmes mais il faut quand même s’y préparer et gérer, surtout pour une personne comme moi qui vient d’une île tropicale. Mais je me suis acclimaté très vite et je savais comment m’habiller. Mon expérience précédente en hiver en Norvège m’avait donné les bons repères. Une des passagères, Katharina, artiste et férue d’aventure (photo publiée avec son accord), ne ratait aucune occasion de nager dans l’eau glacée, aussi bien avant le départ qu’au Svalbard! Il faut aussi savoir qu’à cette période de l’année, c’est le début du jour permanent, quand on est aussi loin au Nord. Le soleil ne se couche pas. Il n’y avait donc pas de nuit, quand on était sur le bateau et quand j’étais au Svalbard. Le corps doit aussi s’adapter à ce rythme ‘anormal’. De plus, nous avions les quarts à des heures variables à bord. Mais je m’y suis vite adapté, heureusement.»

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Les glaciers fondent-ils vraiment ?

«C’est un constat général des scientifiques dans toutes les régions du monde. Le réchauffement climatique est une réalité. Le glacier Longyear a fondu sur plusieurs mètres ces dernières années, a précisé notre guide. C’est un glacier de vallée. Il ne va pas jusqu’à la mer mais la côte est à environ 2 km. Depuis notre point de départ à la sortie de la petite ville, nous avons marché dans l’ancienne moraine, terrain fait de débris de pierres, laissés par le glacier quand il recule, et une petite partie qui est nouvelle, avant d’atteindre les premières couches du glacier lui-même.»