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Interview

Palmesh T. Cuttaree: «Dans ma vingtaine d’aquarelles d’espèces endémiques menacées de Maurice, j’ai intégré deux de Rodrigues»

3 octobre 2024, 22:00

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Palmesh T. Cuttaree: «Dans ma vingtaine d’aquarelles d’espèces endémiques menacées de Maurice, j’ai intégré deux de Rodrigues»

Palmesh T. Cuttaree, directeur artistique.

Rodrigues n’a pas été laissée sur la touche dans le projet pour sensibiliser l’opinion publique au risque de disparition d’une vingtaine d’espèces endémiques si rien n’est entrepris pour renverser cette tendance. Pour cette île, le peintre et graphiste de formation parisienne a jeté son dévolu sur le cardinal jaune et la fauvette.

Grâce à votre engagement de peintre et de graphiste, le sort de deux espèces d’oiseaux, qui évoluent dans un environnement propre à Rodrigues, le cardinal jaune et la fauvette de Rodrigues, a été dévoilé au monde extérieur. Dans quel contexte avez-vous pris cette initiative ?

En tant qu’artiste, je suis toujours séduit par notre patrimoine floral et animalier. C’est à la suite d’une exposition au Hennessy Park Hotel, où j’exposais des fleurs et oiseaux de Maurice, que le Dr Vikash Tatayah, Wildlife Foundation m’a fait remarquer que certaines de mes aquarelles représentaient des oiseaux et des fleurs invasifs qui sont des dangers pour nos espèces. Il m’a suggéré qu’il serait plus intéressant de créer un engouement suis alors mis au travail, et après un an, j’ai réalisé une vingtaine d’aquarelles d’espèces endémiques de Maurice, sans oublier d’y intégrer deux espèces de Rodrigues.

Pourquoi ce choix ?

J’ai été fasciné par la parure jaune et rouge orangé près du bec du cardinal rouge ainsi que par ses vols gracieux, dont il semble être le seul à détenir le secret de ce mouvement au rythme des battements de ses ailes. Son chant est mélodieux. Il fascine également par sa simple demeure constituée d’un nid en forme de boule d’herbes sèches, suspendu à l’extrémité d’une branche. Ce passereau – Foudia flavicans – est friand de petites araignées, d’insectes et du nectar des fleurs. En dépit de la manifestation d’une joie de vivre, cet oiseau peine à survivre dans quelques zones forestières, où la flore indigène est menacée par des espèces exotiques envahissantes. Heureusement, cette espèce, qui mesure entre 12 et 13 centimètres, fait l’objet d’un suivi attentif par des ornithologues.

La fauvette – Acrocephalus rodericanus – n’en a pas moins d’atouts. Elle impressionne par son élégance, ses proportions harmonieuses, agrémentées d’une longue queue brune qui frétille lorsqu’elle chante. Son nid, constitué de fibres végétales, est placé dans la fourche d’une branche, à une hauteur pouvant atteindre trois mètres. Cet oiseau est essentiellement insectivore. La population se maintient tant bien que mal avec quelques couples reproducteurs. Des mesures de conservation ont été mises en place pour préserver cette fauvette de l’extinction. Ainsi, la replantation d’espèces indigènes, l’élimination de végétaux introduits, la capture de rats et de chats, ainsi que la sensibilisation des jeunes Rodriguais à l’importance de la conservation apparaissent comme des actions concrètes essentielles pour assurer la survie de l’espèce. Impossible de fuir l’envie de traduire l’effet sur mon âme d’artiste de ces deux cas de déploiement d’énergie en expression artistique propre à l’aquarelle.

Quel était le principal objectif de cette initiative ?

Les visiteurs de l’exposition et la campagne médiatique qui a suivi, avec des émissions thématiques à la télévision et à la radio nationale pendant plusieurs mois, m’ont permis de sensibiliser surtout les Mauriciens aux dangers d’extinction auxquels ces espèces sont confrontées.

Plus d’un an après le lancement de cette campagne pour protéger deux espèces face au risque de leur disparition à Rodrigues, quel en est le bilan ?

J’ai également fait appel au public à acheter des copies à des prix réduits, en tant que cadeaux d’entreprise ou pour orner bureaux et maisons. Ces œuvres, accompagnées d’étiquettes explicatives, ont aussi pour but d’encourager les parents à en parler à leurs enfants, notre future génération sur laquelle repose la responsabilité de protéger notre biodiversité.

Comment cette campagne pour protéger ces espèces face aux risques de leur disparition devient-elle une prise de conscience dans la durée et non cantonnée aux résultats d’une démarche à court terme ?

En ce qui concerne Rodrigues, j’ai proposé de mettre les copies retouchées et encadrées à disposition pour en démocratiser l’accès et susciter l’intérêt de la population rodriguaise à leur endroit. Il s’agit également de donner une visibilité mondiale à cette richesse du patrimoine de Rodrigues en les exposant dans la boutique hors taxes de l’île à l’intention des touristes qui y passent. Une partie des revenus que rapporterait une telle initiative serait reversée en soutien aux organisations œuvrant pour la préservation de la biodiversité. J’attends un retour incessamment.

Les parties prenantes des secteurs privé ou public de Rodrigues ont-elles été sensibles aux objectifs de cette campagne ?

Grâce à leurs achats, certains décideurs ont déjà pris conscience des dangers d’extinction de ces espèces. Les gens en parlent autour de moi et m’encouragent à persévérer dans le développement de mon initiative. Après avoir conçu et réalisé deux muppets, un gecko et une crécerelle, je vais les animer pour de courtes émissions sur la biodiversité de Maurice et de Rodrigues. Celles-ci seront diffusées sur les réseaux sociaux pour continuer à sensibiliser la population, les enfants surtout. J’ai également communiqué avec les autorités à Rodrigues dans le cadre de cette initiative, pour voir comment cela pourrait se réaliser par rapport à ces deux oiseaux, dans un premier temps, et pourquoi ne pas introduire d’autres espèces à leur demande par la suite.

Rodrigues n’est pas une destination inconnue pour vous. En quelle capacité vous y êtes-vous déjà rendu ?

À part la représentation de la pièce Li de feu Dev Virahsawmy, mon premier contact avec Rodrigues et les Rodriguais a eu lieu lorsqu’avec Mariam Gopaul, consultante de l’UNICEF, assistée par un fils du sol, Fok Seng Ho Tu Nam, j’intervenais sur la créativité avec les enseignants du pré-primaire. C’est à travers les participants et en partageant nos repas, que j’ai découvert l’âme rodriguaise : sa sensibilité créative, son humilité, sa gentillesse… Oui, j’ai visité Rodrigues une dizaine de fois, que ce soit pour des vacances ou des raisons professionnelles, notamment en tant que président du Comité de classification de films et de théâtre. Le principal objectif de ce déplacement visait à parler aux enfants, aux collégiens, aux décideurs et aux enseignants de la classification, des dangers de la pornographie et de la compréhension des visas.

Quels sont les sites ou paysages de Rodrigues que vous auriez souhaité coucher sur le papier du peintre à l’aquarelle que vous êtes ?

Il n’est pas nécessaire de préciser que mon choix irait vers la réalisation d’aquarelles des vues imprenables sur le bleu turquoise de la mer, des tons colorés de la végétation et des portraits capturant les traits particuliers et spécifiques des Rodriguais... Pour cela, il me faudrait quelques semaines là-bas. Pourquoi pas ? Depuis, l’avion, le paysage unique de Rodrigues ne laisse pas indifférent. La période de l’année qui a eu le plus d’impression sur moi, c’est celle qui fait suite à la saison des pluies. Je me suis trouvé face à une île verdoyante et luxuriante. En parcourant l’île, surtout les sites tels que Grande Montagne, Caverne Patate, Port Mathurin, Baladirou, je n’ai pas pu résister à l’impact sur moi de la végétation, de la faune rare, de la richesse culinaire et de la population de l’île. C’est grâce à l’aide de toute une liste d’amis que j’ai pu faire la découverte de la face cachée de Rodrigues. Cette liste inclut bien évidemment, Rogers Philippe dont l’amitié couvre une période de 50 ans et Edouard Doyal, un artiste dont je qualifierai les talents, volontiers et sans hésitation aucune, d’exceptionnels.