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Public Procurement Act : des changements nécessaires

11 octobre 2024, 08:00

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L’un des grands défis, qui nous attend après les prochaines élections, sera la consolidation du Public Procurement Act et de son corollaire, les Procurement Regulations. Les deux textes originaux sont des créations du régime Parti travailliste/Parti mauricien social-démocrate, de 2005 à 2010.

Cette législature aura été de loin le meilleur des mandats réalisés sous Navin Ramgoolam, vraisemblablement en raison de la personnalité de Rama Sithanen, alors ministre des Finances. Sous sa férule, le navire Île Maurice a vogué par-dessus les flots de la crise financière de 2008. Les dérives qui ont amené la défaite travailliste en 2014 coïncident largement avec son départ de ce portefeuille accordé pour des raisons politiques à la suite de la conclusion de la coalition Ptr/PMSD/Mouvement socialiste militant, avec les élections de 2010, d’abord à Pravind Jugnauth, puis après le départ du MSM du gouvernement avec le scandale Medpoint, à Xavier-Luc Duval.

Clairement, il devrait y avoir des éléments sur lesquels la politique ne devrait pas prévaloir : la continuité économique en est une, l’octroi des marchés publics dans un État de droit sans faille, en est une autre. C’est pourquoi, il faut consolider les textes susmentionnés pour rendre plus transparents les appels d’offres publics.

Malgré les retouches apportées aux textes originels, l’ossature demeure encore bonne mais il faudrait extirper ou corriger certains amendements, notamment ceux apportés par le présent régime depuis 2015 et dernièrement dans le sillage du Budget 2024-25. Malgré tout, le cadre demeure assez solide.

Il faut cependant garder à l’esprit, qu’en dépit de la bonne volonté des auteurs de la législation de 2006 à 2008, les magouilleurs auront pu transformer cette législation, conçue au départ comme un exercice de transparence, en vecteur permettant la corruption et le favoritisme. Il est donc important de se dire que la meilleure volonté du monde des législateurs n’est rien sans les hommes et les femmes qui auront la responsabilité d’en appliquer les règles. Ce sont les personnes qui font les institutions et non l’inverse !

Une des leçons à tirer de la pandémie du Covid-19 a été l’aisance du recours à l’emergency procurement, qui fait appel à un fournisseur sans appel d’offres en cas d’extrême urgence, dit le texte. Les unités de contrôle sont alors souvent biaisées et les abus les plus outrageants sont ainsi commis. L’affaire Pack & Blisters, du nom de cette firme, qui nous a escroqués de Rs 476 millions dans la commande de respirateurs défectueux, pendant la pandémie, est l’exemple le plus flagrant. L’affaire Molnupiravir est un autre sournois exemple !

Divers types de procurement methods sont envisagés par le texte de loi. Se pose alors la question de la sélection au préalable des soumissionnaires. S’il n’y a pas de soucis pour le open advertised bidding method, qui est un exercice ouvert tant sur le plan national qu’international, en revanche il faut craindre les abus dès que les autorités concernées auront restreint le bidding method.

Existe notamment le open national bidding, qui exclut les sujets étrangers de l’exercice ou encore le restricted bidding, qui permet à l’autorité publique de n’ouvrir le tender qu’à quelques entreprises qu’elle estime, à sa seule discrétion, capables de répondre à l’appel d’offres; également le recours au dépôt de cotations sous scellés, à la méthodologie particulière, le community and end-user participation, l’exécution des travaux par le service public (departmental execution), lorsque celui-ci estime que les biens, services ou travaux ne sauraient faire l’objet d’un appel d’offres ; encore plus problématiques que l’emergency procurement seront les direct procurements, qui excluent toute compétition (et cela, hors situation d’urgence) et le request for proposals (RFP) lorsqu’une tierce partie soumet un projet à un public body.

Le terme public body est défini généralement comme tout département public, ministère, collectivités locales et autres départements publics, ainsi que les corps paraétatiques et bon nombre de sociétés publiques. Le plafond de l’obligation aux exercices des tenders selon les mécanismes de la loi est indiqué, pour chacun d’eux, dans la cédule du texte de loi.

C’est toutefois dès que ces départements publics commencent à jouir d’une certaine latitude que surgissent les problèmes. Le choix du type de bidding method est le premier des risques à encourir car ce sont souvent des portes d’entrée à tous les abus.

Bien que solidement défini par la législation, le choix de l’une ou l’autre de ces diverses bidding methods ne fait l’objet d’aucun contrôle judiciaire. Ce serait (conditionnel exprès) donc au sein de ces divers départements que le contrôle serait (re-conditionnel) effectué.

Il serait mieux que de tels recours, dès qu’ils s’écartent du open bidding method, soient précédés d’une application par-devant le juge des référés en Cour suprême, avec donc une demande d’autorisation ex-parte par voie d’affidavit, juré par le responsable du département public concerné.

Rappelons-nous que nos juges ont souvent eux-mêmes été d’anciens fonctionnaires du Parquet, ayant donc conseillé les divers ministères et départements publics et qu’ils sont donc au fait des complexités de tels marchés publics. Il ne s’agit donc pas de gens nés de la dernière pluie que l’on puisse facilement berner.

Il faudrait alors que le département demandeur ou sollicité par une RFP, justifie le recours à un tel type de bidding method selon les critères de la loi en vigueur et explique notamment le choix des soumissionnaires, avec le détail de leur expérience du marché concerné, tout comme de l’opportunité de cette demande. En fait, par une telle réforme, nous élèverions notre Cour suprême au rang d’une authentique Cour des Comptes, ayant le pouvoir de jauger de l’utilisation de nos fonds publics comme d’ordonner l’ouverture d’enquêtes, lorsqu’ils décèleraient des choses foireuses.

Cela ne prendrait jamais que peu de temps (deux à quatre jours) de délais supplémentaires dans la préparation des tenders mais assureraient non seulement une plus grande transparence à l’exercice mais aussi aux responsables publics la protection du verdict de la Cour, une fois qu’ils en auraient obtenu l’autorisation (sans parler de les mettre à l’abri de pressions politiques).

Évidemment, il faudrait aussi que les responsables viennent ensuite rendre compte du résultat de cet appel d’offres, une fois conclu. Toujours par voie d’affidavit pour justifier du choix ! A discuter, s’il faut permettre au juge de censurer l’appel d’offres ou pas ou de référer la question au l’Independent Review Panel (IRP), soit l’un des organismes crées sous la législation.

Dans l’affaire Pack & Blisters, il n’y a toujours pas de retour positif face à une compagnie qui, outre de nous avoir escroqués, a été créée peu de temps avant l’appel d’offres en question. Le contrôle judiciaire préalable, qui serait introduit veillerait à ce que le recours aux petits copains soit, sinon impossible, du moins grandement mis en difficulté.

Évidemment, une fois autorisé, l’appel d’offres, quel que soit le mode de bidding method, pourrait toujours faire l’objet d’un challenge par les non-preferred bidders par devant l’IRP, qui est l’organisme d’appel prévu en ce sens par la loi.

A ce niveau, il faut noter une autre méthode pour contourner les efforts de transparence de la législation, soit l’annulation de l’appel d’offres, après que l’IRP a censuré l’octroi du marché au profit du bon copain. L’IRP n’a malheureusement pas les pouvoirs d’attribuer d’office le tender au next best responsive bidder. C'est, valeur du jour, la prérogative du public body qui a initié l'appel d'offres.

Il faudrait donc octroyer de telles prérogatives à l’IRP, à charge pour lui de statuer lors de son verdict sur l’opportunité (ou pas) du maintien de l’appel d’offres, pour éviter son annulation pour cause de soi-disant disparition de son utilité.

Il faut savoir que les audiences devant l’IRP se déroulent en situation d’urgence, soit en l’espace de quelques semaines tout au plus pour ne pas paralyser le fonctionnement du service public.

En outre, chaque fois qu’un soumissionnaire verrait le bid, qui lui a d’abord été attribué, lui être retiré pour non-respect des procédures, il devrait être automatiquement confronté à une procédure de suspension ou d’interdiction de soumettre un quelconque bid à l’avenir. Cette procédure existe déjà mais l’automaticité du déclenchement de telles procédures, en pareil cas, n’est pas prévue. Actuellement c’est le directeur du Public Procurement Policy Office, personnalité nommée avec deux assesseurs pour trois ans par le Président de la République, sur avis du PM, après consultation du Leader de l’Opposition, qui dispose de la prérogative de suspendre ou d’interdire un soumissionnaire. A sa seule discrétion !

Aucune procédure n’encadre sérieusement de telles sanctions, avec une audience non publique et il n’existe d’appel que le seul moyen de la Judicial Review. Or, la prise de telles sanctions devrait bénéficier d’une publicité complète et l’appel devrait être possible en Cour suprême, non par le biais d’une Judicial Review, qui fait la part trop belle à l’organe public prenant la décision (il peut y avoir jusqu’à cinq ans de suspension) mais par la voie classique d’un appel laissant à la Cour le pouvoir de révision de la sanction.

Et il serait mieux que l’audience de demande de suspension ou d’interdiction se tienne par-devant l’IRP et non pas qu’elle soit déterminée par des mandarins de la Fonction publique.

C’est pourquoi il est suggéré que l’IRP soit dirigé par un juriste de grand calibre, style juge à la retraite ou ayant au moins 20 ans de métier comme avocat ou avoué. Actuellement, le critère énoncé pour ses membres (soit un président, un vice-président et quatre autres personnes) fait état de wide experience dans les domaines légaux, administratifs, économiques ou techniques, sans trop de précision sur leur Curriculum vitae. Et c’est toujours le Premier ministre qui a la haute main sur les nominations, qui sont officiellement faites par le président, quoiqu’après consultation du leader de l’opposition.

Autre organisme crée par la législation, c’est le Central Procurement Board (CPB), dont les membres sont également nommés selon le mode susmentionné. La tâche de cet organisme, qui se compose d’un président, de deux vice-présidents et de trois membres est normalement de superviser l’exercice des tenders, selon les normes définies par le Public Procurement Policy Office, d’agir dans la plus grande transparence, de choisir les techniciens qui composeront le panel devant examiner les diverses offres des soumissionnaires et réviser les évaluations du Bid Evalution Committee propre au tender, avant d’approuver l’allocation de l’offre publique d’achat à quelque soumissionnaire.

Ce système de nomination de personnalités d’un tel niveau est plus que dépassé et devrait être globalement remplacé par un mode d’approbation par-devant une sous-commission parlementaire, dont les travaux seraient publics. La composition de la sous-commission serait assurée selon le mode des résultats aux élections et la désignation de ses membres par le speaker, après consultation avec le Chief whip et le whip de l’opposition. La nomination officielle des membres de l’IRP, comme de ceux du Policy Office et du CPB, serait cependant laissée au président de la République. Prestige oblige !

Récemment, avec le dernier Budget, il a été mis en place une Project Management and Contract Administration Unit devant examiner la conduite des public officers ayant traité un appel d’offres, en même temps que faciliter l’exécution et l’application de divers projets faisant l’objet d’un tender. Les pouvoirs de cette unité, dont le personnel sera recruté sur une base contractuelle, sont définis mais semblent bien empiéter sur ceux du CPB. Là où déjà le bât blesse c’est que son chef sera, lui, nommé par le ministre (curieux non?) et non par le mode susmentionné pour le CPB ou l’IRP. Il aura le pouvoir de référer les inconduites relevées des fonctionnaires (public officers) au Sec to Cabinet and Head of Civil Service. Ce dernier aura la discrétion nécessaire pour décider de l’action ultérieure, y compris saisir les autorités policières et/ou le FCC.

Il est assez troublant que cette nouvelle unité soit sous la coupe directe du ministre des Finances, dont les membres seront désignés sans que le leader de l’opposition soit consulté. Même si le mode de désignation actuel semble désuet et qu’il soit recommandé de le confier à une sous-commission parlementaire, ce n’est pas en attribuant une telle fonction au seul ministre que l’on consolidera les arcanes de transparence souhaitée pour une telle législation.

En outre, pourquoi avoir créé ce nouvel organisme, au lieu d’en confier les prérogatives au CPB ? Lequel se penche déjà sur l’implémentation des tenders et a le pouvoir de réviser les travaux du Bid Evalution Committee.

On craint une guéguerre entre institutions, outre d’alourdir un système déjà compliqué et d’aboutir à la paralysie du système au lieu de faciliter son fonctionnement. Pourquoi donc un tel embrouillamini ? Au lieu de rationaliser et mettre un bon ordre dans ce fouillis administratif et légal, la Finance (Miscellaneous provisions) Act de 2024, qui applique les mesures budgétaires, vient au contraire brouiller les choses.

La même Finance Act 2024 introduit aussi, qu’en sus de la procédure d’exclusion d’un soumissionnaire qui était fortement critiquée plus haut qu’un département public, “may exclude (a bidder) from bidding or reject a bid submitted by him in a bidding exercise where he has shown significant or persistent deficiencies in the performance of his obligations under a prior contract with that public body or any other public body”.

Curieusement, ce n’est pas un organe judiciaire ni même parajudiciaire qui décidera de cette sanction ni jaugera ces significant or persistent deficiencies, ce qui est une bonne méthode, voire un prétexte, pour exclure des gêneurs.

Un tel pouvoir devrait pourtant être encadré strictement. Or, il est démultiplié et laissé à l’appréciation de chaque chef de département. Encore une porte aux abus, comme bien d’autres, qu’il conviendrait de fermer !

Il y va avec cette législation de notre État de droit. Il ne faudrait pas rater l’occasion d’une vraie réforme…