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Portrait

Renousha Busawah se met à nu

26 mai 2024, 20:00

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Renousha Busawah se met à nu

Quinze tableaux de femmes nues s’exhibant sans pudeur dans des postures souvent lascives, de couples enlacés ne formant qu’un ou encore se fondant dans la nature en s’offrant généreusement et totalement… Voilà ce que propose l’exposition de Renousha Busawah, 33 ans, à Lakaz Flambwayan jusqu’au 8 juin. Une jeune femme originaire et résidente de Tagore Lane à Lallmatie, diplômée et «legal assistant» au bureau de l’Attorney General. Des nus pour témoigner de son désir de libérer la femme de ses carcans ; de ses pesanteurs sociologiques ; de briser des tabous ancestraux et enfin pour assumer pleinement, sans complexe, sa sensualité. L’artiste ne fait pas encore partie du courant dominant, mais cette expo ne laissera personne indifférent.

Tous les lundis, Renousha Busawah se rend au Jharkhandinath Mandir de Lallmatie Road pour prier. Elle a le sentiment d’être un peu à la maison, d’y être en paix. Et pour cause, son père lui a toujours dit que son grandpère Benny Madosing Busawah avait été extrêmement généreux et avait aidé à la construction de ce mandir. C’était un personnage connu de toute la région. Il possédait des terres de Lallmatie à Bon-Accueil, y plantait des légumes et n’avait pas la réputation d’être pauvre. Il était le seul dans la région, par exemple, à avoir enn saret bef. C’était l’équivalent d’une voiture à l’époque, un signe de richesse et une référence de posture sociale. Il avait eu sept garçons et cinq filles, ce qui n’était pas inhabituel. Il n’y avait pas encore la télévision et tout le pays n’avait pas encore de l’électricité. Il meurt à l’âge de 80 ans en laissant le souvenir d’avoir été un notable de l’endroit, surtout pour avoir porté, comme toutes les circonscriptions rurales, le drapeau rouge de l’Indépendance. Il est utile de préciser que le village de Lallmatie est surtout réputé pour avoir été le berceau de l’Independent Forward Bloc ; car feu le pandit Basdeo Bissoondoyal prêchait au Swaraj Bhawan (la Maison de l’Indépendance).

Le père de Renousha, Babboo Oumarshankarsing Busawah, le troisème enfant de cette fratrie, devient aussi planteur et vend ses légumes au marché de Flacq. Mais il ne met pas toutes ses tomates dans le même panier : il devient aussi surveillant pour le compte d’entrepreneurs indiens, travaillant 24/7 pour s’assurer que sa famille ne manque de rien. En 1980, il épouse Chamantee Tacoorsing de Poste-de-Flacq qui a 16 ans et qui lui donne son premier enfant à l’âge de 20 ans : Kaminee, 42 ans, suivie de Mashunsing, 40 ans, et Renousha, 33 ans. Mais celle-ci ne devait pas connaître son père trop longtemps, car il décède le 3 février 2003, à l’âge de 49 ans, alors qu’elle avait à peine 11 ans. Il ne lui reste que quelques souvenirs de lui. La famille se retrouve du jour au lendemain privée d’une source de financement. Kaminee, l’aînée, avait, comme par coïncidence, fait acte de candidature comme infirmière. Un poste qu’elle obtient le jour des funérailles de son père et qu’elle va occuper pendant dix ans dans l’unité des soins intensifs à l’hôpital de Flacq. Pour ne pas être en reste, la maman prend un emploi dans une usine pendant quatre ans, le temps que la situation financière de la famille s’améliore.

Surtout, elle n’hésite pas à vendre une partie du patrimoine foncier pour que les enfants puissent continuer leurs études. Renousha se démène pour obtenir un prêt après son HSC afin d’entrer à l’université de Maurice et étudier le droit. Et Kaminee, pour sa part, ne s’arrête pas en si bon chemin ; elle entreprend des études de droit et occupe aujourd’hui la fonction de compliance manager. Après son HSC, le frère est recruté au sein de la force policière où il est aujourd’hui traffic officer. Il est marié, a deux enfants et habite The Vale.

Garçon manqué

Renousha fait ses études primaires à l’école Jawaharlal Nehru, à dix minutes de la maison ; mais indisciplinée, la tête dans les nuages, elle arrive systématiquement en retard. Souvent devant la grille fermée, elle n’a d’autre choix que d’enjamber le mur. Il y a un côté garçon manqué chez elle. Pour le secondaire, elle intègre, sur les injonctions de son frère, le Manilall Doctor SSS (Girls) de la région, celuici étant hostile au MGI, exerçant la mixité. Renousha, de la Form 1 à la Form V, obtient régulièrement le premier prix en arts et sports tout en étant la présidente du students’ council. «J’ai été très active sur le plan sportif. Le badminton m’intéressait beaucoup. J’ai appris à en jouer juste en regardant la prof d’anglais évoluer sur le terrain. (NdlR, comme Beth Harmon a appris les échecs dans la série The Queen’s Gambit). Par la suite, j’ai commencé à jouer et à récolter des médailles et des trophées au niveau régional Moka/Flacq», raconte Renousha, qui devient rapidement une référence en matière de badminton en faisant partie du Hans Badminton Club, du nom de Hans Mohabeer, qui s’est beaucoup investi dans ce domaine auprès des jeunes. Elle participe aux tournois et aux Festivals de la jeunesse et, à chaque fois, ramène des trophées qui ornent aujourd’hui ses vitrines. Elle continuera à pratiquer ce sport au niveau universitaire à l’UTM et à l’université de Wolverhampton (Campus Maurice) et ramènera pour les Universiades des médailles de bronze et d’argent entre 2009 et 2013. De plus, sur le campus, elle s’est mise au billard et très vite commence à battre ses partenaires masculins.

Il faut dire que Renousha pratique aussi le volley-ball, et ce, depuis la Form 1, où son agilité lui permet de jouer avec les grandes de la Form V. La boulimie de sport la pousse régulièrement vers le gymnase où elle torture ses muscles en body building trois fois par semaine – et ça continue toujours – juste pour garder la forme. Par la suite, elle découvre le ju-jitsu grâce à son coach, le Dr. Mithilech Abeeluck. Rapidement, elle monte en puissance et atteint la ceinture bleue, la dernière étape avant la noire, en moins de cinq ans. «Une discipline qui m’a appris la résilience et comment me défendre ; mais surtout à canaliser mon énergie ; car étant une Sagittaire j’en ai à en revendre», précise-t-elle. À l’époque, les jeunes de la région fréquentaient le Bon-Accueil Sports Complex gratuitement pour leurs activités sportives. Aujourd’hui, le tarif est à Rs 200 de l’heure. Renousha se rend aussi souvent avec ses cousins à la Rivière Banane. «Nous y allions pour prendre un bain tout habillés. C’était en toute sécurité. La drogue n’avait pas encore fait ses ravages dans la région. Aujourd’hui, pas question de s’aventurer là-bas», dit-elle avec nostalgie de ses souvenirs d’adolescente.

Pour le choix de ses matières en HSC, Renousha se souvient que la famille avait fait pression pour qu’elle prenne les sciences parce qu’il fallait devenir avocat ou médecin. Donc, pas question de choisir la filière arts ; mais plutôt, mathématiques, chimie, physique (matières principales) et sociologie (subsidiaire). Elle découvre ainsi Animal Farm de George Orwell, qui l’aide à mieux comprendre la politique et la sociologie et mieux à la guider dans ses engagements politiques par la suite. Après avoir terminé son HSC, Renousha envisage sérieusement des études universitaires. Comme les moyens font défaut, elle contracte des prêts et dès 2009 se prépare pour son BSc Management with Law et son Masters in Law.

Ses diplômes en poche, Renousha envisage l’avenir avec plus de confiance et de sérénité. De 2013 à 2014, elle est offshore legal administrator au cabinet Erriah où elle fait la connaissance d’Adrien Duval, qui commence aussi son pupillage au cabinet Bucktowarsing. De 2015 à 2016, elle est compliance administrator à Titan Corporate Services et de 2016 à 2018, elle ressent le besoin de rejoindre la fonction publique comme stagiaire au ministère du Travail pour rendre, d’une certaine manière, ce que le pays lui avait donné.

En 2018, elle répond à un appel à candidatures pour être assistante légale au bureau de l’Attorney General. Elle se rend sans complexe à l’entretien d’embauche avec la certitude que son profil et ses penchants politiques ne lui laisseraient aucune chance d’être recrutée. Devant le panel de la PSC, elle se laisse aller. À une question sur les aspirations des jeunes, elle en profite pour se livrer à un véritable réquisitoire sur les lenteurs de la fonction publique. Elle est la première surprise quand on lui annonce, par la suite, qu’elle fait désormais partie du staff de l’Attorney General Office. Elle y est depuis. Mais cela lui a quand même valu un sacrifice : celui d’abandonner de manière définitive les instances du PMSD auxquelles elle avait adhéré avant 2018.

Libérer ses énergies

Pour la peinture, Renousha Buswah n’est pas tombée dans une «touque artistique» depuis petite. C’est bien plus tard qu’elle éprouve le besoin de peindre. C’était en 2012. Elle devait rendre une dissertation ; elle séchait et il ne lui restait que trois jours. Elle se souvient d’avoir tout abandonné et de s’être ruée sur son canevas pour commencer à peindre. C’est son premier canevas : un cheval. C’était une forme de libération de ses énergies négatives et ainsi elle a pu terminer sa dissertation. Peindre allait devenir une forme d’exorcisme dorénavant pour elle. Et même plus. Après deux créations chevalines, elle découvre que le nu correspond parfaitement à sa personnalité, à son tempérament, à son besoin de mettre aussi son âme à nu ; mais surtout à son obsession de libération pour satisfaire ses tendances féministes. Pas étonnant d’ailleurs, ce tableau en manière de pied de nez d’une femme lascive dans un fauteuil en osier, clin d’œil au poster du film Emmanuelle de Just Jaeckin (1974) d’après le roman éponyme d’Emmanuelle Arsan avec dans le rôle-titre Sylvia Kristel, devenue un symbole populaire du féminisme.

lexp - 2024-05-26T165609.037.jpg À Lakaz Flambwayan de Malenn Oodiah vendredi

Ainsi, malgré les pesanteurs sociolog iques, le poids de l’environnement, la stricte et prude éducation acquise, elle se laisse aller, traverse le Rubicon de la bien-pensance et volontiers brise les tabous pour déverrouiller les esprits et décamisoler la femme de là où elle est encore enfermée par des préjugés machistes et racistes. «Art in my life has brought me a medium to break the taboo of conceptualization of nudity....for me art portrays a lot of breakthrough of emotions... immense turmoil», confie-t-elle. Avant d’ajouter qu’elle est bien consciente des risques qu’elle prend : «I live a life of my full capacity and that can be depicted in my canvas: boldness… transparency; sans rien laisser. À mes risques et périls. Life is to be lived to its fullest.» À ce titre, ses créations de nus, surtout en couple, témoignent de la fusion de deux âmes au nirvana : «Those fusions of male and female bodies have a lot to do with the perfect fusion of two souls in an upper dimension of what I would call pure bliss of love making.»

Courage et audace

Il a fallu quand même du courage et de l’audace pour que Renousha Busawah expose des tableaux, qui sont son univers intime, son jardin secret au grand public. Et c’est Malenn Oodiah, le directeur de Lakaz Flambwayan de Bambous, qui abrite jusqu’au 8 juin prochain sa première exposition. Il la connaît depuis très longtemps et estime que c’est **«une jeune personne avec plusieurs identités – femme, croyante pratiquante de l’hindouisme, profondément mauricienne, ouverte sur les autres cultures. Elle est sensible aux grandes causes de la planète. Au départ, j’avais vu sur sa page Facebook une belle peinture d’elle d’un cheval et puis cette année j’ai vu une autre peinture d’elle sur la page de Pra Bro, nom d’artiste du photographe de tous les artistes Praveen Bhawaneeden, qui m’a interpellé. Ses tableaux célèbrent la femme dans ses rapports intimes à la nature. Elle nous invite à un voyage dans son univers où on découvre la puissance, la profondeur, la beauté, la légèreté et la fragilité. Tant dans la forme que dans le fond, il y a une griffe Renousha».

Malenn Oodiah sait de quoi il en retourne car depuis décembre 2020, c’est la 42e exposition qu’organise Lakaz Flambwayan. Pour lui, «c’est un centre artistique, culturel et intellectuel. Un espace pour les artistes de s’exprimer et faire connaître leurs œuvres dans les différentes expressions – peintures, photographies, sculptures. Près de 150 artistes ont exposé à LaKaz à travers des expositions solo, duo ou en groupe. Depuis son lancement, quelque 15 000 personnes sont venues à Lakaz. Pour son aménagement et développement, Lakaz privilégie le recyclage et la réutilisation des matériaux. Lakaz, c’est une déclinaison d’une vision “vert humain” et moderne du développement.»

Bien que Renousha Busawah ne fasse pas encore partie des artistespeintres du courant dominant et bien que Lakaz Flambwayan soit loin du centre névralgique artistique, l’exposition de ces quinze tableaux ne laissera personne indifférent par son audace, par les tabous qu’elle brise et les frontières qu’elle transgresse aussi bien par son contenu idéologique.

À ce titre, Renousha Busawah deviendra rapidement une référence.