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Shabnam Esmael, cheffe d’entreprise

Ses racines lui donnent des ailes

16 juin 2024, 22:00

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Ses racines lui donnent des ailes

Shabnam Esmael, directrice d’une entreprise de sécurité à Maurice et une autre pour le traitement de déchets à Dubaï, actuellement présidente de l’Association mauricienne des femmes chefs d’entreprises, polyglotte maîtrisant cinq langues, issue de plusieurs cultures, témoigne par son parcours et ses convictions qu’il est possible de faire exploser le plafond de verre pour atteindre les plus hauts sommets. Et sans pour autant verser dans un féminisme exacerbé pour pouvoir, sans se disperser, dans la maîtrise des énergies et de la méditation poussée, atteindre ces lieux de lumière pour des rencontres à caractère mystique...

Dans l’avion qui décolle mercredi soir de l’aéroport sir Seewoosagur Ramgoolam à 21 h 50 pour Dubaï, Shabnam Esmael, femme d’affaires, directrice de l’entreprise CQ-TECH, spécialisée dans la sécurité, épuisée par ses activités des dernières 48 heures – elle a à peine – somnole en contemplant avec ravissement ses mains dont les ongles ont été travaillés par une jeune artiste du Nord. Sa fille, Enaam, écouteurs dans les oreilles, est branchée Lana Del Rey et Kanye West alors que Françoise Hardy est décédée ce matin-là. Elle réalise, le cœur gros, qu’Enaam aura 18 ans le 3 novembre prochain et qu’elle partira à Paris, quand elle aura terminé ses études secondaires, pour faire Sciences Po. Shabnam se souvient de cette naissance comme si c’était hier :«Le 1er novembre 2006, j’étais maîtresse de cérémonie pour un gros événement pour l’AMFCE (NdlR, l’Association mauricienne de femmes chefs d’entreprises), enceinte jusqu’aux dents, avec mon gros ventre ; le lendemain étant férié, nous dînions avec des amis et à l’ordre du jour : finaliser le prénom. Ce qui fut fait et à 6 heures du matin, je perdais les eaux, et le soir elle naissait à 20 h 05. C’était à la Clinique Darné. Une petite Mauricienne, à part entière, qui a grandi les pieds nus et à la plage les week-ends.»

cq tech.jpg Photo de famille pour le 15e anniversaire de CQ-TECH.

Elle ne peut s’empêcher aussi de penser à son premier voyage en avion. Du moins le récit que ses parents lui en ont fait. Elle avait à peine un an quand elle avait avalé deux graines de pistaches. De Madagascar où résidaient ses parents, elle avait été rapatriée illico presto à Paris pour une délicate intervention. Depuis, elle prend l’avion comme d’autres prennent le métro. Il faut préciser que Shabnam est née à Tuléar de parents commerçants ; que ses grandsparents, nés dans le Gujarat, en Inde, sont arrivés dans la Grande île en 1920 pour s’installer à Majunga avec son baobab légendaire. Le 11 mai 1965, son père Anwar Anvaraly épouse Goulerose Goulam-Hossen (Rose), d’origine indoiranienne à Tananarive et le couple établit ses quartiers par la suite à Tuléar, la plus grande ville du sud de Madagascar à 951 km de la capitale. Cet éloignement favorise le sous-développement de cette région, la corruption, la misère et la famine. Ce qui provoque une révolte paysanne en 1971 menée par le légendaire sudiste Monja Joana. Une révolte sévèrement réprimée. A partir de là, au pays du «mora mora» (des lenteurs), les événements politiques vont s’accélérer : la révolte va embraser l’île et provoquer la chute de Phillibert Tsiranana en 1972 ; le premier président depuis l’Indépendance en 1960. Les coups d’État sanglants vont se succéder pour porter Didier Ratsiraka (l’Amiral rouge) au pouvoir de 1975 à 1993. Une grande période de turbulences et d’instabilité marquée par une vague xénophobe. Les minorités – celles d’origine asiatique – sont les premières victimes, aussi bien que les Français qui plient bagage. Les étudiants mauriciens, les boursiers de l’Alliance française depuis 1964, quittent aussi le pays. L’université Charles de Gaulle sur la colline d’Ambohitsaina, créée le 14 juillet 1961, ferme ses portes. Transcontinent, l’agence de voyages de notre compatriote Paul France Giraud sur l’avenue de l’Indépendance, met la clé sous le paillasson. Madagascar s’isole pour mieux s’enfoncer dans la dictature, la pénurie et la pauvreté.

formation.jpg Formation permanente.

trois generation.jpg Trois générations réunies...

Le couple Anvaraly a trois enfants : deux garçons, Mamod et Salim et Shabnam, la benjamine. Comme beaucoup d’autres, les Anvaraly quittent le pays pour Paris où ils s’installent dans un petit appartement à la rue de la Victoire dans le 9e arrondissement. A l’école, Shabnam ne passe pas inaperçue surtout parmi les têtes blondes. Mais elle n’est pas seule pour autant. Elle a deux amies : une Guadeloupéenne, Helène, et une Française, Magalie, avec lesquelles elle a gardé contact. Le père est sévère, veille au grain et impose une discipline de fer. Ainsi, pendant que les parents travaillent, le père à la préfecture de Bobigny et la mère dans un hôtel à Paris et parce qu’ils rentrent tard, les tâches ménagères sont réparties comme suit : les garçons préparent à manger et font le ménage tandis que Shabnam s’occupe de la lessive et du repassage. En 1984, les enfants regardent Philippe Gildas en clair sur CANAL+. Shabnam vit mal cette période-là, car son père impose le gujarati comme langue à la maison, assortie d’une interdiction de parler français. Elle est au supplice quand ses amies viennent lui rendre visite. Mettre un sari aussi lui donne des urticaires. Son père veut surtout maintenir la tradition et préserver leur culture :«Aujourd’hui, je réalise que c’est ce qui m’a permis d’être ce que je suis et de parler plusieurs langues. Bien plus tard, quand j’ai vu, en l’an 2000, Aishwarya Rai en sari grimpant les marches à Cannes, j’ai été fière d’elle», avoue celle qui vit à ce moment-là une véritable crise identitaire. Shabnam ne sort pas beaucoup.«Une jeune fille musulmane ne sort pas ni en boîte ni même à la piscine ni même après le coucher du soleil. Exceptionnellement j’avais le droit d’aller avec Magalie et sa famille les dimanches en forêt faire du vélo ou en pique-nique.» Etait-elle une musulmane pratiquante ? «Oui, par la force des choses ; mais j’avoue que notre pratique religieuse était très empreinte de culture indienne et du coup, je voyais une grande différence entre la pratique de notre islam et l’islam maghrébin. J’en conclus qu’audelà de la religion, c’est notre culture qui nous définit et nous unit.»

Par la suite, des événements et le froid polaire encouragent la famille à aller voir ailleurs. C’est ainsi qu’elle effectue un retour dans l’océan Indien et au soleil à La… Réunion, où Shabnam rejoint le Lycée Leconte de l’Isle. Mais l’étau sévère du papa ne se desserre pas pour autant. C’est le même régime. Quand elle termine son Bac, pas question de mettre le cap sur Paris. Elle s’inscrit à la fac à l’université de La Réunion pour les langues appliquées et le commerce international. Elle réussit brillamment à ses examens. «J’aimais l’école, les profs m’aimaient bien et c’était une échappatoire que d’étudier. C’était un hobby, vu que je n’avais ni le droit de faire du sport, ni aucune autre activité extrascolaire. Je donnais, après mes classes, des cours de français et d’anglais aux jeunes étudiants et faisais pour les clients de l’hôtel de mon frère le repassage pour avoir de l’argent de poche.» Il faut dire que ses deux frères sont à ce moment dans le domaine de l’hôtellerie.

famille.jpg La famille à Paris.

Entre-temps, Shabnam avait déjà rencontré Ali Esmael. On devine ce qu’elle a dû faire pour que ses parents consentent à ce qu’elle le voit. Elle contracte le nikah, d’autant que la famille Esmael est aussi traditionnaliste que la sienne. Ali est déjà dans le domaine de la sécurité ; voyage régulièrement en France et en Angleterre et connaît bien Madagascar et l’île Maurice. Shabnam habite toujours chez ses parents. D’où la décision de venir s’implanter chez nous. Un saut dans le vide; une parenthèse si ça va mal.

Entreprise familiale

C’est en 1995, après son mariage, que le couple Esmael décide de bivouaquer à Maurice pour installer l’entreprise la CQ-TECH, spécialisée dans le domaine de la sécurité high-tech. C’était pour deux ans seulement. Presque trente ans plus tard, la famille est toujours là, agrandie, avec son domicile au sein de la forêt Daruty dans le Nord, où Shabnam fait régulièrement son jogging dominical. «Nous avons été les pionniers de l’alarme sans fil, un produit européen, bien avant que le portable ne soit inventé. Aujourd’hui, nous avons diversifié nos produits et sommes un one-stop shop de la sécurité high-tech, soit alarme, la vidéosurveillance, CCTV, clôtures électriques, portails automatiques et contrôle d’accès», nous dit Shabnam.

shabnam.jpg Shabnam à La Réunion.

Si cette entreprise peut se targuer d’être devenue incontournable en matière de sécurité après la galère pendant des années, justement pour avoir quelque 25 000 abonnés – foyers et entreprises confondus –, elle s’enorgueillit avant tout d’être une belle aventure humaine vécue jusqu’ici non avec des employés, mais avec des membres d’une famille plutôt. Aujourd’hui ils sont à 60 mais ceux de la première génération sont toujours là : Jérôme Desvaux de Marigny depuis 1995, Catherine l’Amiable depuis 27 ans, Vanessa Cunee 27 ans, Ayesha Balkee 20 ans et Sandrine Marie 12 ans. Le décès de Gilles Thomas, un de ses directeurs pendant plus de 17 ans, a plongé l’entreprise dans une grande tristesse.

Cet enracinement commercial a permis à Shabnam de s’imposer dans une profession habituellement dominée par les hommes et d’élire domicile à Maurice avec sa famille. A ce titre, l’on pense toujours, par nombrilisme, que c’est facile de venir vivre chez nous ; que l’intégration coule de source. Certains, hélas, galèrent pour se faire une place au soleil mauricien à l’instar des Esmael, qui bossent comme des dingues. «Cela nous a pris 10 bonnes années simplement parce que notre priorité était de bosser pour nous en sortir. Pas le temps ni l’argent pour socialiser, pour faire la fête. On mangeait au Don Camillo, des pâtes, vers 21 heures ; puis au lit pour être debout tôt le lendemain.» Style local de métro, boulot, dodo. C’est bien plus tard que le couple commence à sortir, quand la situation s’est quelque peu stabilisée : «Nous allions les week-ends au Secrets, après avoir dîné au Nirvana à Cap-Malheureux, puis ce fut l’époque des Enfants Terribles ; mais aujourd’hui, beaucoup de soirées entre amis ; nous nous sommes assagis.» Une intégration est un phénomène lent. Elle est facilitée avec le partage d’un patrimoine surtout d’une langue. «Il faut dire que nous nous sentons plus Mauriciens qu’autre chose. Les Mauriciens sont gentils, chaleureux et accueillants mais en même temps grégaires, c’est-à-dire qu’ils restent entre eux et cela nous a pris du temps pour être intégrés réellement. Le fait de parler créole a été un atout. Je l’ai appris lorsque je construisais ma maison, avec les ouvriers et les maçons avec lesquels deux ans durant, je passais mes journées entières à surveiller le chantier.» grand mere.jpg La grand-mère de Shabnam, qui vient de l’Inde.

Toutefois, ce n’est pas tout le monde qui peut se flatter du ‘pédigrée’ de Shabnam, véritable femme de confluences, femme-passerelle, au rond-point de plusieurs cultures, issue de plusieurs racines : iranienne, indienne, malgache, française, polyglotte de surcroît, maîtrisant le français, l’anglais, l’espagnol, l’hindi, le créole. Ce qui a favorisé grandement son intégration dans les îles est aussi sans conteste la diversité de ses goûts culinaires : «Je pense incarner le vrai mauricianisme ; j’aime à dire que je suis plus Mauricienne que les Mauriciens par mes origines, mon mélange culturel, mon exposition professionnelle et par ce que je mange: du coup je suis absolument à l’aise partout, dans un mariage ou devant un film indien, une cérémonie religieuse musulmane, une conférence comme celle de Fréderic Lenoir ou bien un concert local et un film américain ! Nous mangeons fusion, soit un poulet traditionnel iranien au safran, avec un gratin dauphinois accompagné de salade et des gâteaux Divali ! Tout estapprécié chez nous, petit clin d’œil à La Réunion où nous avons appris à cuisiner et mangeons une bonne rougaille de morue (non ! pas saucisses !) avec riz et grains.»* Ce qui lui a permis de s’épanouir dans le melting-pot local.

Cheffe

Après avoir refusé systématiquement pendant dix ans, faute de temps, Shabnam Esmael, sollicitée par ses pairs femmes-entrepreneurs, a cédé. C’est ainsi qu’elle a été candidate cette année à la présidence de l’AMFCE, créée en 1986. Elue le 27 mars 2024, elle prend la mesure de la tâche pour satisfaire les «mission statements» de l’association, qui regroupe plus des centaines de femmes entrepreneures : assurer l’empowerment des femmes, promouvoir l’entreprise, travailler avec des banques et des chancelleries pour monter des projets, aider les novices à progresser, organiser des cours de formation en leadership entre autres ou encore participer à des ateliers, comme en avril dernier, sur des stratégies clés pour le recrutement éthique et l’emploi des travailleurs migrants. Et surtout permettre à l’AMFCE de rayonner sur le plan international en participant cette année du 23 au 25 octobre prochain en Australie à la71e édition du Congrès des femmes chefs d’entreprises mondiales, comprenant 120 pays avec un réseau de cinq millions de femmes et à laquelle la branche mauricienne est affiliée, avec en ligne de mire le 72e congrès en Grèce en 2025. Une manière de rendre Mauric visible sur la mappemonde des femmes entrepreneures.

Mais aussi pour Shabnam de témoigner, sans tapage, qu’on peut faire bouger les lignes, vaincre tabous et préjugés, s’imposer par l’effort et la compétence, être canon et faire exploser le plafond de verre. Tel a été son parcours depuis qu’elle a quitté l’université de La Réunion. Et elle n’a nullement l’intention de marquer une pause. «Nous avons des activités sociales et communautaires qui remplissent nos agendas. J’étais au Rotary et maintenant à la présidence de l’AMFCE. Nous sommes aussi souvent aux Émirats arabes unis où nous développons nos activités professionnelles dans un secteur novateur et porteur, la gestion des déchets, soit ce que l’on appelle, waste to green energy ! Une belle façon pour nous de contribuer à sauver notre planète.» Déjà, à peine ses valises posées aux aurores jeudi matin à Dubaï, elle se précipite downtown à son bureau pour sa première réunion de travail. Sa journée s’annonce rude.

Elle n’en a cure. Habituellement, ses journées sont longues et ses nuits courtes. Oiseau de nuit, elle n’hésite pas à envoyer des SMS et des courriels à 2 heures du matin. «J’adore ce moment de la nuit… 2 heures du mat’. Le calme le plus complet. Ilrègne une sérénité absolue. C’est à ce moment que je suis en communion avec moi-même. Mais surtout avec mon créateur.» Beaucoup ne savent pas que Shabnam est une passionnée des neurosciences ; qu’elle s’est gavée des œuvres de Joe Dispenza, Gregg Braden, Bruce Lipton, entre autres, des papes dans ce domaine. Cette passion a fait d’elle un coach en neurosciences. Une science qui lui a permis de se guérir de tous les bobos du passé pour pouvoir ainsi avancer sans être encombrée. «I must admit that I am turned towards the future as I made peace with my past and as much as I cherish the good memories, I am not attached to it. My life has become better with years and still improving. That’s why my focus is forward. I don’t attach that much importance to the past... genre la nostalgie des belles années. Non, en fait pas du tout, car mes plus belles années sont encore à venir. That’s why I tend to leave the past where it is and carry on with life.»

L’on ne s’étonnera pas non plus qu’elle ait trouvé le temps d’étudier le monde des énergies ; qu’elle a déjà atteint des paliers de méditation qui lui permettent, dans des éblouissements de lumière, dans une manière de lévitation de l’esprit, de faire de belles rencontres mystiques.