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Un jeu communal qui peut faire mal

11 octobre 2024, 08:30

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Il suffit parfois d’un seul mot, mal choisi, pour que le vent tourne en politique mauricienne. Dans notre île aux multiples sensibilités ethniques et religieuses, les propos à connotation communautaire peuvent propulser un leader au sommet ou précipiter sa chute. Sir Anerood Jugnauth en 1995 et Navin Ramgoolam en 2019 en sont des exemples frappants. Tous deux ont payé de leur carrière des écarts de langage lourds de conséquences.

En 1995, sir Anerood Jugnauth avait évoqué des «démons» à propos des langues orientales au CPE. Ce commentaire avait heurté la susceptibilité d’une frange de l’électorat et catalysé la perte de sa majorité, par ailleurs en proie à une longue usure du pouvoir. De la même manière, Navin Ramgoolam, lors des élections de 2019, était en tête des sondages, mais il n’avait pas suffisamment tourné sa langue dans sa bouche avant d’expliquer le phénomène «katori» à Plaine-Verte. Il pensait déstabiliser son adversaire, qu’il dépeignait comme tellement friand de billets de banque qu’il faudrait lui en faire une tisane avant le grand départ. Au contraire, ce discours, bien évidemment sorti de son contexte et propagé sur le réseau de SMS Pariaz, a largement contribué à son effondrement au n°10 et dans sa quête d’arracher le pouvoir aux Jugnauth.

Ces deux épisodes démontrent que les perceptions communautaires, à Maurice, sont comme des volcans endormis : une mauvaise parole suffit à raviver des braises invisibles et à changer la donne politique, tout en brûlant le tissu social.

Aujourd’hui, l’affaire de la stag party de Grand-Bassin, qui a enflammé la scène politique et vu la révocation du PPS Dhaliah, révèle à quel point ce jeu dangereux persiste. Alors que Maneesh Gobin et Rajanah Dhaliah auraient dû être les cibles de cette polémique, c’est Shakeel Mohamed, potentiel numéro trois de l’alliance de l’opposition, qui en fait ces jours-ci les frais. Son seul tort : avoir partagé une vidéo du scandale sans la visionner, une imprudence assez surprenante pour un homme de son envergure. Le résultat ? Le spectre d’une déstabilisation communautaire a ressurgi, et Mohamed se retrouve à jouer sa carrière politique sur cette maladresse.

Dans ce contexte, il demande à être confirmé comme candidat pour éviter que la polémique ne perturbe l’alliance à laquelle il appartient. Il place Navin Ramgoolam, le leader du PTr, face à un dilemme : l’accepter comme candidat serait risqué, mais l’écarter serait un aveu de faiblesse. La situation démontre une fois de plus comment, à Maurice, les dynamiques communautaires peuvent éclipser les enjeux réels et politiser les plus anodines des erreurs.

En politique, ce n’est pas seulement le contenu des discours qui importe, mais leur réception dans un paysage marqué par des clivages profonds. L’instrumentalisation des sentiments communautaires est une vieille recette de ceux qui cherchent à se maintenir au ou renverser le pouvoir. Le Sun Trust, siège du MSM, en sait quelque chose. Alors que les élections approchent, la stratégie gouvernementale vise à cimenter son électorat traditionnel dans les circonscriptions rurales, là où les sensibilités communautaires jouent encore un rôle central.

Cette gouvernance, drapée dans une rhétorique de développement et de réformes, masque souvent un calcul plus pragmatique : maintenir l’équilibre délicat des castes et des communautés. Dans cette optique, le MSM et le PTr chercheront à renforcer la domination de la communauté Vaish, majoritaire, dans le but de sécuriser un électorat fidèle. Ce projet se traduit par des ajustements ministériels calculés et un discours soigneusement calibré pour flatter certaines sensibilités tout en contournant les critiques.

En fin de compte, le jeu communal à Maurice est un jeu dangereux. Il peut élever un leader au rang de Premier ministre, mais il peut tout aussi bien précipiter sa chute. Et comme toujours, c’est l’électorat, et non les politiques, qui détient la clé de l’équation. Tout cela démontre, une fois de plus, la manière subtile dont l’intrication entre communauté et politique modèle les carrières de nos dirigeants, et révèle à quel point ce jeu d’équilibriste peut, en une seule maladresse, faire basculer le destin d’une élection – et d’une nation toujours en devenir.