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Pascal Lagesse

Un poids lourd du monde artistique

13 mai 2024, 13:55

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Un poids lourd du monde artistique

Pascal Lagesse n’est pas un artiste-peintre-écrivain comme les autres. Même s’il ne peut prétendre occuper la galerie des peintres maudits, sa bipolarité de type 2 en fait un créateur fécond du pinceau à la plume avec une imagination plus que débordante. Aujourd’hui, ses sept médicaments quotidiens lui permettent d’être en équilibre sur le fil du réel et de l’illusion, lui assurant ainsi des créations (presque thérapeutiques) dans la sérénité et la tranquillité de ses proches. Et contrairement à Maître Jacques, dont il a incarné le rôle dans sa jeunesse, il porte trois casquettes artistiques.

Au cinéma, Pascal Lagesse aurait été Marlon Brando dans Apocalypse Now, Orson Wells dans Falstaff, ou Gérard Depardieu dans Maigret, et surtout, Obélix dans la bande dessinée. Tous ont en commun une imposante stature. Cela lui posait problème à l’école, victime qu’il était de cruelles moqueries dans la cour de récréation de l’école primaire Lorette de Vacoas et ensuite au collège Saint-Esprit : «Les mauvais moments à l’école, il y en a eu presque toutes les semaines, car étant en surpoids, j’ai beaucoup souffert des moqueries et d’insultes. Le gros semble gêner les gens bien-pensants. Heureusement qu’il y avait mes copains ; je les ai gardés jusqu’aujourd’hui et nous nous voyons très souvent ; ils sont Daniel Quevauvilliers, Ricky Roussety, Michael Marie, Raymond Duvergé, Niven Moodely, Thierry Gilot, Mathieu Rivet, Didier Masson et Joel Curé. Ils ont toujours été là pour moi et je les aime de tout mon cœur.» Il faut dire, pour les besoins de la comparaison, qu’il pesait environ 87kg en 1989 (ayant perdu 47kg) pour atteindre un pic de 155kg, et que sa balance accuse aujourd’hui les 143kg. Il ne suit aucun régime estimant «qu’il n’y a pas de pire invention» ; mais il concède qu’il consomme beaucoup de blé, qu’il a réduit de deux tiers son assiette et qu’il pratique la marche.

Bref, aujourd’hui à 56 ans (il est un enfant de l’Indépendance – naissance le 7 août 1968), Pascal est bien dans sa peau et nullement à l’étroit ! «Mais ma vie, dit-il avec humour, aurait pu être de courte durée, car j’ai failli mourir à 19 jours d’une sténose du pylore et sans l’intervention des Drs Avrillon et Maigrot, les zafer étaient cuites avant d’avoir été peintes.» Noelle et Yvan, ses parents, le font baptiser par le père Furlong à l’église de la Visitation à Vacoas. Un choix qui s’imposait parce que le même prêtre avait béni leur union le 16 juin 1964 dans la même église. Son parrain n’est nul autre que son frère aîné (Olivier, 66 ans, aujourd’hui retraité), âgé alors de 10 ans et né d’un premier mariage de son père avec Geneviève Lamalétie, décédée très jeune. Un baptême donc qui n’aurait pu se faire sans une dérogation de Mgr Margéot à l’époque. Sa marraine, Marie-Jo Randabel, avait 27 ans, tenait son filleul de 3,5 kg dans les bras. Elle vit aujourd’hui à Darwin en Australie.

Pascal grandit dans la chaleur de sa famille à Phoenix avec sa mère, Noëlle (la sœur d’Yvan Martial), comptable, puis directrice chez General Construction (82 ans aujourd’hui et en bonne santé), et Yvan Lagesse qui a passé toute sa vie à la Mauritius Commercial Bank et qui, de dactylographe qu’il était (le 11 janvier 1956), grimpe au fil des années au 10e étage pour devenir General Manager.

Il faut dire que Yvan Lagesse jouit d’une belle notoriété et pas uniquement comme banquier. Tous ceux qui l’ont côtoyé parlent de sa gentillesse, de sa disponibilité (comme prononcer des discours de mariage régulièrement) ; mais surtout de son sens de l’humour qui le pousse, entre deux rapports financiers, à écrire trois ouvrages humoristiques, dont Comment vivre à l’île Maurice en 25 leçons. Yvan Lagesse meurt en 2012 à l’âge de 75 ans. Avec plusieurs réalisations à son actif : la modernisation de la MCB, sa régionalisation et il est surtout le fondateur de la MCB Scholarship Foundation et du Blue Penny Museum, mais aussi comme l’un des architectes du Caudan Waterfront.

Né en 1936 comme Bernard Pivot, décédé lundi dernier, dont l’émission Apostrophes n’échappait pas à la vigilance de Pascal. Yvan était un fan de Bernard Pivot qui ne ratait aucune de ses émissions à l’époque et qui continuait, par nostalgie à le regarder sur You Tube ou sur le site de l’INA. Fermons la parenthèse. Toutefois, selon Pascal, «Papa était très simple dans sa vie de tous les jours. Il n’était pas intéressé par le faste. Il venait d’une enfance très modeste et n’avait jamais oublié cela. Il avait un sens de l’humour extraordinaire et une érudition sans pareil. Je pense que ses trois garçons ont hérité de son sens de l’humour.»

Autre membre de la famille qui a marqué Pascal, sa grand-mère Marcelle, écrivaine (La diligence s’éloigne à l’aube/ Mont Limon), chroniqueuse et femme de grande culture : «J’ai eu des moments de partage extraordinaire avec ma grand-mère Marcelle que nous appelions mère-grand. Depuis 1983, nous étions voisins à Phoenix et j’ai passé des heures avec mère-grand à parler peinture, écriture et surtout, histoire de Maurice. Elle était une femme avec un très fort caractère et une grande détermination. J’admirais cela en elle.» Tout cela pour dire que Pascal a vécu dans un environnement intellectuel fécond, qui a aiguisé sa sensibilité, alimenté son inspiration et façonné son univers artistique.

WhatsApp Image 2024-05-13 at 10.54.19_fed9d666.jpg Yvan Lagesse, ex-banquier avant-gardiste et auteur de trois livres humoristiques, dont Pascal dit avoir hérité «le sens de l’humour».

C’est ainsi que son enfance se déroule normalement et sans encombre à Phoenix (aujourd’hui entre le Centre Culturel Indira Gandhi et la Loge maçonnique), pratiquement comme tous les enfants de l’époque : «Mes amis s’appelaient Michel Thomas et Pascal Mamet. Ils étaient tous les deux au couvent de Lorette de Vacoas. Ensuite, j’étais proche de mes cousins Joël et Valérie Curé. À la télé j’adorais Bonanza, Le Saint, Voyage to the bottom of the sea et Les envahisseurs. Un de mes repas préférés était mashed pomme de terre dans du pain. Maman nous emmenait à la messe, mais je n’ai jamais aimé me lever et m’asseoir sans cesse. Je pensais que le prêtre atteignait le summum de l’indécision.»

Au secondaire, après quelques essais infructueux en biologie en Form 5 avec Carlo de Souza (pour faire comme son frère Renaud, aujourd’hui gestionnaire de portefeuilles), il se réoriente vers le dessin en HSC pour lequel il décroche un A. «Les profs qui m’ont marqué sont Octave Pascal qui m’a offert l’occasion de faire du théâtre ; Cyril Leckning qui m’a dit que j’avais le talent de pouvoir un jour écrire ; Erwin Utchanah et Linda Prayag qui m’ont beaucoup aidé pour le dessin», se rappelle-t-il encore.

Les trois prédictions (qui n’étaient pas celles des sorcières de Macbeth) se sont avérées exactes : il est devenu peintre et écrivain. Et il a joué en 1989 dans le spectacle Son et Lumière, les 1001 Fées de Philippe Houbert à La Citadelle, un rôle féminin comme un autre dans Alice au Pays des Merveilles. Grâce à Octave Pascal, son prof de français, il a joué Maître Jacques dans L’Avare, dans Les Fourberies de Scapin, Topaze ; et ensuite dans Le père Noël est une ordure et Le dîner des cons au Théâtre de Port-Louis et au Plaza respectivement.

C’était avant de partir pour des études de graphic design à Durban. Il pratique beaucoup de sport en cette année 1989, le tennis volley et le badminton alors qu’il avait le physique d’un rugbyman ou d’un Sumo. Mais il perd 47kg en jogging tous les matins et en vélo l’après-midi. Une année studieuse aussi parce qu’il lit abondamment et de manière éclectique – Maurice Druon (Les rois maudits), toute la série Agatha Christie, Pierre Lemaitre, Jonas Jonasson, Yunal Noah Harari, Marcel Pagnol, Eric Orsenna, entre autres. Une vie assez austère car, dit-il, «Je ne sortais pas en boîte car je n’ai jamais aimé ça. Ne buvant pas d’alcool (jusqu’aujourd’hui) j’étais le seul sobre parmi une foule d’excités et en plus je suis très sensible au bruit». En revanche, il écoute en boucle George Brassens, Leo Ferré, Jean Ferrat, Serge Regianni…

À son retour de Durban en 1992, Pascal travaille comme graphic designer freelance, aidé en cela par Michel Coquet de l’imprimerie IPC pour trouver ses premiers clients. Avec cette précision : «Il va sans dire que je ne pouvais pas travailler pour la MCB, car papa ne supportait pas le népotisme, avec raison.» Avec le travail, viennent les épousailles ; deux fois plutôt qu’une, comme son père : la première fois avec Nathalie Randabel le 5 mai 1995 (naissance de deux enfants Marie, 27 ans, et Lucas, 23 ans) ; et la seconde fois avec Carol Lamport, chanteuse et coach vocal, le 12 septembre 2009 (qui lui donne un fils Noah, 17 ans) et qui a fait preuve depuis, d’une extrême patience (selon lui), et dont le père était chef d’usine à Mon Désert-Alma.

Pascal (1).jpg Pascal, son épouse Carol et son fils Noah ses soutiens indéfectibles.

Les chevalets du samedi

Après lui avoir donné pour ses 10 ans en 1978 une tête de cerf qui orne toujours son mur, en 1986, Yvan Lagesse offre à son fils des tubes de peinture achetés chez Poisson, sis à La Chaussée, Port-Louis, quelques cartons toilés et des pinceaux. C’est le début d’une grande aventure avec tout d’abord des paysages et des portraits. Ensuite, les réseaux de son père lui permettent de se frayer un chemin dans la cour des grands. Surtout la possibilité de faire partie des chevalets du samedi. Ici son vibrant témoignage : «Papa était ami au dentiste, ornithologue et peintre France Staub et ce dernier m’invita régulièrement à peindre avec Roger Charoux, Yves David et Serge Constantin. Une belle fourchette de grands peintres. C’est dans ce groupe que j’ai commencé à peindre les samedis. Roger Charoux fut d’une grande gentillesse à mon égard et j’ai passé des heures à le regarder peindre. Ce groupe de peintres a été extraordinaire pour moi et je ne pourrais jamais assez les remercier. France Staub était un peintre très spécial, car il aimait surtout ajouter des animaux dans ses compositions. Mes parents m’ont énormément encouragé à peindre et n’ont jamais insisté à ce que je fasse un autre métier que celui pour lequel j’étais destiné. Sans l’aide et le soutien de maman et de papa, je n’aurais jamais pu faire ce que je fais aujourd’hui. Je leur dois tout et plus encore.»

En novembre 1996, Pascal Lagesse décide de se jeter vraiment dans la peinture avec sa toute première exposition à la galerie Max Boullé avec des paysages de Maurice à l’huile , de grandes aquarelles et pastels et quelques portraits en rubaways, une technique d’illustration acquise en Afrique du Sud. 40 tableaux au total. Il est aux anges : «J’ai le bonheur et la fierté d’avoir un article écrit par le Dr Philippe Forget dans l’express le 21 novembre. Que du bonheur !» À partir de là, en véritable stakhanoviste de la peinture, il enchaîne les expositions en 2000, 2002, 2006, 2014 et 2022.

Son style évolue, mûrit ; mais en 2001, on lui diagnostique une maladie étrange : «Une dépression récurrente et une bipolarité de type 2 avec laquelle je vis en permanence. Ces maladies ont été diagnostiquées au début des années 2000. C’est une maladie très difficile à vivre pour les gens autour de moi mais j’ai une femme extraordinaire et des enfants très attentionnés. Les médicaments que je dois prendre à vie m’aident à ne pas sombrer dans un état où je me renferme sur moi-même. J’ai suivi une thérapie EMDR (Eye Movement Desensitisation and Reprocessing) avec un psychologue extraordinaire, qui est aujourd’hui un ami et ça m’a énormément aidé à clarifier les choses dans ma vie de tous les jours. Un de mes meilleurs médicaments est aujourd’hui le style Zafer qui m’apaise et me fait beaucoup de bien. Sans cette maladie, je serais peut-être passé à côté des Zafers. Comme quoi, il n’y a pas que du négatif dans la dépression.» Depuis, Pascal Lagesse vit en équilibre entre le monde réel et illusoire grâce à sept médicaments qu’il prend quotidiennement pour qu’il ne bascule pas de l’autre côté et ne plonge pas ainsi dans le désespoir sa famille et ses proches.

La peinture comme thérapie

C’est la raison pour laquelle peindre, écrire deviennent pour lui une thérapie qui lui permet de créer parfois de manière… boulimique. Mais toujours avec modestie : «Je ne connais pas grand-chose dans l’histoire de l’Art et les écoles de peinture. Je suis enn zako dan lapintir et je ne pourrais pas tenir une discussion avec un vrai connaisseur. Quand je regarde les tableaux Zafer, j’y retrouve les compositions classiques du style Roger Charoux, les graphismes influencés par Van Gogh, les pointillés des peintures des Premières nations australiennes, les couleurs du peintre Hundertwasser qu’adore ma maman. J’ai mis le tout dans un shaker et en les mélangeant est sorti le Zafer.»

Le style Zafer est né dans la douleur, dans de grandes difficultés mentales. Les médicaments qu’il prenait alors pour maintenir son équilibre n’avaient plus les effets escomptés. De plus, son expo à Grand-Baie avait été un fiasco artistique et financier. «J’étais sorti de cette expo avec la sensation que c’était la fin de ma vie d’artiste. C’est dans cet état d’esprit que je décide de peindre le premier tableau du futur style Zafer. C’est une vue de la maison coloniale de Saint-Aubin. L’expérience m’a plu et j’ai continué à rechercher dans cette voie. Comme quoi, un bon coup de pied au derrière ne fait pas de mal.»

Depuis, les Zafers se multiplient (500 de 2003 à 2024) et les affaires vont mieux. Zafer peut se définir globalement comme la reproduction de formes géométriques de toutes sortes. «Avec ce style, il ne sert à rien de forcer les choses. La seule chose que je sais en démarrant un tableau est le dessin que je vais tracer sur la toile. J’ignore complètement à quoi va ressembler le tableau à la fin. Ni les couleurs, ni les formes graphiques. Elles me viendront intuitivement et si elles ne viennent pas, je vais regarder Netflix», explique-t-il.

La prophétie de Cyril Leckning

Reste la prophétie de Cyril Leckning, qui lui faisait presque miroiter le prix Nobel de littérature. Pour l’encourager après une dissertation en Form 2 ; mais qu’il n’a pas manqué de prendre au sérieux. En 2018, il publie un livre humoristique, illustré, que n’aurait pas renié son père, avec un titre à coucher dehors dans les hurlevents : Petites histoires qui font sourire peut-être ou qui pourraient vachement plomber l’ambiance. Un livre révélateur de son talent de conteur, doublé d’un sens aigu de l’humour. Deux qualités héritées de son père aussi bien qu’un confort matériel. Mais ce talent explose en fait dans son premier roman avec encore un titre inhabituel : John Berik, detektiv pou ti-dimoun – Cabri, c’est fini. Une exploration de l’île Maurice profonde, dans le calme et la sérénité, culminant dans le bruit et la fureur et dans un violent déluge de feu rédempteur à la manière de Ian Fleming. C’est peut-être là encore une fois l’expression de sa bipolarité créatrice.

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