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La politique du terrain
Allons sur le terrain à la rencontre de vrais gens. C’est l’injonction que s’auto-infligent les politiciens qui veulent briguer les prochaines législatives, ticket d’un parti connu en poche ou pas. Nous assistons, en amont des 1er et 5 mai, à un changement de rythme, à un emballement, un vrombissement des politiques. Qu’on se donne rendez-vous à Vacoas, Rose-Hill, Ébène, Port-Louis ou Grand-Gaube, les actions pour rassembler, rameuter, regrouper sont devenues le lieu commun des mouvements et de la communication politiques. Nos hommes et femmes politiques veulent se montrer inspirés et doivent faire semblant d’écouter et d’être en prise (bien plus) directe aux divers acteurs et actrices de la société ou plutôt de l’électorat pluriel, tout en soignant les relations avec la presse et en forçant une présence sur les réseaux sociaux, surtout si la presse ne leur accorde pas trop d’importance.
Afin de rester vivaces dans l’imaginaire collectif, nos dirigeants politiques demandent à leurs troupes de tout donner afin de gagner la bataille psychologique, essentielle pour remporter la guerre des urnes. Objectif : être tous les jours sur le terrain, dans leur circonscription respective et dans les médias, dans tous les médias si possible. Navin Ramgoolam, Xavier-Luc Duval, Pravind Jugnauth, Roshi Bhadain, Rama Valayden et Ashok Subron, entre autres, ont compris, avec l’expérience des joutes électorales, qu’ «une présence sur le terrain ne saurait avoir de sens sans son écho médiatique».
Pour notre part journalistique, de par notre tournée quotidienne des circonscriptions, nous constatons que le retour en force des politiciens sur le terrain est accentué par le fait que beaucoup, pas tous néanmoins, ont négligé le terrain depuis ces quatre dernières années. Dans un récent TikTok, Bhadain a eu raison d’interpeller l’express sur la liste des candidats probables que nous publions pour chaque circonscription, en suggérant qu’on ne devrait pas uniquement focaliser sur la liste des blocs MSM, PTr-MMM ou PMSD parce qu’il y a d’autres partis en lice, comme le Reform Party (parti qui ambitionne d’aligner 60 candidats).
Face à une fresque politique recomposée et élargie, d’où le risque que le briani l’emporte une fois de plus, les habitants des circonscriptions se montrent coupés des avancées des partis politiques qui tentent tant bien que mal d’innover et de proposer une offre politique différente avec des structures neuves, bénéficiant même des fois d’une assise locale, voire régionale, avec une organisation hiérarchique moins pyramidale. Mais la politique de terrain est une activité longue qui ne se mesure pas en mois ou en années mais souvent en décennies d’ancrage durable.
Cirque médiatique
Le cirque médiatique auquel donnent lieu les invitations aux congrès et meetings de même que les visites de terrain des chefs de parti, PM, ministres et autres leaders politiques devient assez grotesque, surtout que ces partis aiment bien se filmer eux-mêmes, et se mettre en scène et en ligne.
Ces descentes sur le terrain, des visites-express millimétrées, scriptées par des communicants, sont pour la forme. Elles ne peuvent pas rendre compte des échanges sérieux tant pour les politiciens que pour les électeurs. L’objectif (inavoué) n’est manifestement pas de véritablement écouter les votants ; ces incursions de terrain ont pour objectif de faire «passer un message», ou deux. Mais surtout, c’est de faire du bruit, pour réveiller les anciens agents.
Comme journalistes, nous savons pertinemment que la charge symbolique des fonctions de représentation impose certes aux dirigeants politiques certaines présences et certains discours décalés. On devrait saluer leur courage et leur patience pour tous ces dépôts de gerbes ou ces anniversaires interminables à honorer. On les entend souvent dire aux victimes : «Votre douleur, c’est aussi la nôtre.»
Mais attention, l’empathie des politiques ne doit pas être poussée trop loin. Le scepticisme de l’opinion à l’égard de ce type de manifestations devient de plus en plus palpable. Les jeunes de moins de 30 ans qui constituent le gros des indécis n’ont pas envie de suivre les traditions des partis ou des politiciens qui ne veulent pas évoluer. Les visées électoralistes des uns deviennent de plus transparentes pour les autres, «pa pou kapav asté nou ar Rs 20 000». La recette «une poignée de main, un bisou, un selfie, ça fait trois voix» est finie. Demandez à la revenante Roubina Jadoo-Jaunbacus, qui veut changer son surnom de «Kala Prison» et arracher un ticket au no 2, comment elle a dû déguerpir dans le sillage des dernières inondations à Port-Louis, devant la colère des riverains qui dénonçaient son opération de com purement cosmétique. L’ombre des prochaines élections plane désormais au-dessus de tous les déplacements des politiciens.
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La multiplication des visites de terrain peut-elle doper la cote de popularité ?
Notre constat quand nous sillonnons les circonscriptions : les électeurs sont de moins en moins dupes des actions filmées de manière ostentatoire. Au demeurant, ils n’attendent pas des politiciens des actes de compassion (à la sincérité souvent douteuse) mais ils veulent des décisions susceptibles de régler les problèmes ou d’améliorer les situations et leur quotidien.
La cassure du bloc PTr-MMM-PMSD, l’usure du pouvoir du bloc MSM (qui sait qu’il a besoin de sang et de discours neufs) et l’agitation des nouveaux partis semblent marquer un virage dans l’évolution immédiate de notre démocratie. Et l’on pourrait assister, peut-être pas en 2024 mais au-delà, à un rejet des partis politiques traditionnels afin de faire place à une loi pouvant garantir les expressions pluralistes des opinions, et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de notre pays.
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