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Justice

111 affaires en cour numéro 2 à Curepipe

3 août 2024, 15:32

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111 affaires en cour numéro 2 à Curepipe

A la cour de Curepipe, c’est le chantier. En attendant la réparation de l’ancienne cour, seules deux salles d’audience improvisées fonctionnent. Malgré la bonne volonté des magistrats, les affaires s’accumulent. Elles sont renvoyées à l’année prochaine. Mais il y a aussi d’autres raisons pour les retards.

Trois magistrats président la cour numéro 2 de Curepipe. Et au 25 juillet, 111 affaires les attendaient. Mais nous apprenons qu’il y a parfois plus que 200 procès en un seul jour. Les affaires se succèdent à un rythme infernal. La salle est bondée et accusés et témoins attendent leur tour, debout. Il y a tellement de monde que ceux qui sont appelés doivent se frayer un chemin jusqu’à la barre. D’autres attendent dehors et n’entendent parfois pas leur nom. Et lorsqu’ils arrivent avec un léger retard, ils se plaignent : «tro bel lafoul deor.»

Le fameux Antoine Chetty, en costume-cravate, répond présent vers 11 heures. «Où étiez-vous le matin quand on vous a appelé ?» lui demande l’huissière. «J’étais présent depuis 9 heures… » réplique-t-il. La policière en faction, l’Orderly, qui fait écho à l’huissière en appelant à nouveau, fait ce qu’elle peut en criant de toutes ses forces, au risque de devenir aphone.

Il y a tellement d’affaires en cour de Curepipe et cela prend tellement de temps qu’en cours de route, des protagonistes disparaissent. Ainsi, le 25 juillet, on a appris qu’un témoin dans une affaire, un policier-enquêteur dans une seconde affaire et un accusé dans une troisième, sont décédés depuis leurs précédentes audiences.

Pendant ce temps, d’autres affaires ont été réglées à l’amiable entre un plaignant et l’accusé, et la plainte retirée. Le temps qu’a duré la procédure, les deux parties se sont réconciliées. Pour une fois, le retard a calmé les hostilités ! Cependant, le prévenu qui voit une accusation contre lui rayée doit prendre son mal en patience car le dossier est transmis au bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP). Un accusé nous affirme qu’il est venu cinq fois en cour pour s’entendre dire que le DPP ne s’est pas encore prononcé.

L’attente, le 25 juillet, en cour numéro 2 de Curepipe est encore plus longue pour les accusés en détention. Après trois heures assis sur le banc inconfortable, les menottes commencent à leur meurtrir poignets et chevilles. L’un des prisonniers fait, en vain, savoir au policier qui l’escorte qu’il souffre. N’y tenant plus, il hausse la voix pour se faire entendre. On ordonne alors de l’emmener, lui et son compagnon avec qui il est enchaîné, dans le ‘panier à salade’, soit le fourgon qui les ont conduits en cour. Ils pourront en profiter pour aller aux toilettes, boire un peu d’eau ou manger un morceau que les parents auront apporté. Quels sont les délits ? Une dizaine de délits routiers, une vingtaine de poursuites engagées par la municipalité de Vacoas-Phoenix pour construction illégale. Il n’y en avait pas pour la municipalité de Curepipe, du moins ce jour-là. Sinon, la majeure partie des affaires concernent des délits de violence, de vols et d’autres liés à la drogue. Et bien entendu, les cas de violence domestique, une douzaine, rien que pour la cour numéro 2.

  • Evadé avant la sentence

Parfois, des délinquants rusés tentent de profiter des retards et des attentes. Un policier emmène un prévenu devant la magistrate. Le policier explique que la police était à sa recherche depuis plusieurs mois. La magistrate demande à l’accusé : «On vous cherchait depuis l’année dernière. La cour vous avait condamné pour un délit. Et le temps que la cour prononce la sentence, on vous a dit d’attendre en cour. Or, lors du prononcé de la sentence, vous aviez disparu. Quelles sont vos explications ?» Réponse du condamné : «J’ai attendu et attendu mais je n’ai pas entendu mon nom. Je suis parti. J’ai pris du travail à Sébastopol, je n’habitais plus chez moi…» La magistrate n’est pas convaincue : un an de prison ferme ! Le condamné est menotté sur le champ et emmené en prison.

  • Des renvois à mort

Un policier nous raconte comment parfois les procès sont renvoyés volontairement pour gagner du temps. Dans une affaire d’accident de la route à Vacoas, il se rappelle comment la victime est devenue complètement handicapée mais pouvait encore s’exprimer. La défense, bien sûr, voulait le contre-interroger. Des arrangements ont été pris pour l’emmener en ambulance et que le témoin se présente en cour sur une civière. L’avocat de la défense a demandé et obtenu un renvoi de sept mois. La victime est venue encore deux fois en cour pour s’entendre dire que l’affaire a été renvoyée à dans six et sept mois respectivement. A l’appel de l’affaire lors de la quatrième fois, la cour a été informée que la victime est décédée. «L’avocat de la défense», nous dit le policier, «avait remarqué que le témoin était très mal en point. Ne donnant sans doute pas cher de sa vie, il a donc temporisé.»

  • Payé pour renvoyer le procès

Un policier se souvient d’un de ses collègues qui, il y a une vingtaine d’années, avait été suspendu à la suite d’une plainte déposée contre lui. Il avait approché un ténor du barreau pour le défendre. L’avocat lui a proposé de faire étendre sa suspension de deux à cinq ans. Comment ? En demandant des renvois. Et après avoir fait un rapide calcul, l’homme de loi a informé le policier que celui-ci percevra comme salaire Rs 500 000 en cinq ans, et cela sans travailler comme policier mais que le suspendu pourrait faire un autre travail en attendant. Le montant de ses honoraires ? «Je ne vous demande que la moitié des salaires que vous percevrez grâce à moi : Rs 250 000.» Le policier suspendu n’a pas agréé à cette demande.

Subjecting an elderly person to physical ill-treatment

Le nouveau délit de «Subjecting an elderly person to physical ill-treatment» suscite de nombreux procès. Et du travail pour les avocats, bien sûr. Il y avait cinq cas en cour de Curepipe, le 25 juillet. Des policiers nous parlent de l’abus qui est fait de cette loi. «La loi protège nos aînés contre la violence subie de leurs enfants ou petits-enfants. Or, cette loi est tellement vague qu’une victime alléguée, âgée de plus de 60 ans, peut s’en prévaloir. L’accusé sera arrêté et détenu sur le champ.» Pareillement, le policier nous parle des abus sous la Protection from Domestic Violence Act telle qu’elle a été amendée en 2021. «Pour un regard de travers, l’époux sera arrêté sur le champ. La police ne peut et ne veut juger si le cas est genuine ou pas. Elle est obligée de procéder à l’arrestation du suspect ou de la suspecte.»