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À celles qui portent le monde sans le dire
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À celles qui portent le monde sans le dire

Dans un monde véritablement juste, il n’y aurait point de Journée internationale des droits des femmes. Car la femme n’est pas un événement. Elle est la pulsation constante de nos sociétés, la main invisible qui façonne le temps, le souffle têtu qui porte nos maisons et nos mémoires, la maman qui nous a bercés. Mais nous sommes bien loin de ce monde idéal, où la justice coulerait entre les genres comme une rivière sans berges.
Il y a dans ce 8 mars une amertume qu’il ne faut pas masquer par des bouquets fanés de slogans. Si l’ONU a dû décréter une journée pour les femmes, c’est parce que, des ruelles de Port-Louis aux parlements de Westminster, des ateliers textiles de Dacca aux conseils d’administration de Wall Street, la moitié de l’humanité doit encore quémander sa part de ciel. Ce 8 mars est une pierre jetée dans la vitrine du monde : regardez ce que vous avez fait.
Ici, à Maurice, nous attendons toujours notre Golda Meir, notre Sirimavo Bandaranaike, notre Benazir Bhutto, notre Margaret Thatcher ou notre Indira Gandhi. Pas que pour la galerie. Mais pour qu’enfin, dans les travées du Parlement et au cœur des Conseils des ministres, résonne cette voix singulière qui ne mendie plus la permission d’exister. Pourtant, l’Histoire regorge de preuves que la femme, lorsque le monde lui laisse un interstice, s’y engouffre et y fait éclore la lumière. Ellen Johnson Sirleaf a pansé les plaies d’un Liberia ravagé par la guerre. Angela Merkel a porté l’Europe sur ses épaules sans hausser la voix. Mais ici, la politique demeure une chasse gardée d’hommes convaincus que la testostérone est une compétence sine qua non.
Ne nous y trompons pas. Une cheffe-juge, une speaker, quelques Permanent Secretaries ou CEO ne font pas un printemps. Elles sont les exceptions que l’on brandit pour taire la règle. La majorité de nos sœurs, nos mères, nos filles marchent encore à petits pas sur le chemin bordé de silence et de renoncements. Elles glissent leurs ambitions dans les tiroirs des convenances. Elles s’autocensurent, s’effacent, s’excusent d’avoir des rêves plus vastes que leurs cuisines.
C’est pour elles qu’il faut se battre. Pour celles dont les voix ne traversent pas les murs du pouvoir. Pour celles dont les salaires amputés financent les privilèges des autres. Pour celles qui se heurtent à la peur dans la rue, à l’arrogance dans les bureaux, à l’incrédulité dans les assemblées. Le 8 mars ne devrait pas être un rituel confortable, une occasion de distribuer quelques fleurs en plastique ou en papier mâché. Ce devrait être une journée de colère lucide, une incantation collective pour défaire les mécanismes invisibles qui coincent les femmes dans l’ombre.
Et que l’on cesse de parler des droits de l’Homme. Ce glissement sémantique n’est pas anodin. Il perpétue cette vieille ruse de la langue qui, sous prétexte d’universel, gomme la moitié du monde. La France, pays dit de droits humains, elle-même vacille sur ses certitudes, incapable de choisir entre fidélité aux textes fondateurs et reconnaissance tardive de l’évidence : les droits humains sont l’affaire de tous, parce qu’ils appartiennent à tous.
Ici, comme ailleurs, il faudra faire comprendre que la cause des femmes n’est pas un segment à part de la grande lutte humaine. Elle est la lutte humaine. En refusant aux femmes l’égalité pleine et entière, c’est toute la société que l’on ampute de sa force vive. Olympe de Gouges a payé de sa vie la témérité d’avoir voulu compléter la Déclaration de 1789. Sa guillotine résonne encore dans les silences modernes.
Le 8 mars 2000,l’express avait osé un geste : une édition entièrement réalisée par des femmes. Ce n’était pas qu’un symbole. C’était la preuve par l’écrit qu’aucun territoire n’est interdit aux talents, que l’information se nourrit tout autant d’intelligence féminine que masculine. Aujourd’hui, les salles de rédaction ont gagné en parité, mais la parité n’est pas encore la justice. Il ne s’agit pas de compter les têtes, mais de déconstruire les réflexes qui font qu’une voix grave inspire d’emblée plus d’autorité qu’une voix douce.
Le 8 mars devrait être le prélude à une révolution douce et irréversible. Celle où, enfin, on ne célébrera plus la femme, cette abstraction paresseuse, mais les femmes, dans leur multitude irréductible. Celle où nous cesserons de penser que le progrès pour les unes vole forcément quelque chose aux autres. Car la liberté n’est pas un gâteau à partager. Elle est une mer qui grandit avec chaque vague.
Et si un jour cette journée devenait inutile, si elle s’effaçait dans l’éclat de l’évidence, ce serait le signe que nous aurions enfin compris que l’égalité n’est pas une faveur accordée, mais une dette réparée. Comme le disait Françoise Giroud, journaliste : «La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente.» Nous n’en sommes pas encore là. Mais il est temps d’ouvrir les portes, tout en misant sur la compétence, et non sur le ou les genre.s.
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