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Afrique
À la périphérie de nos ambitions
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Afrique
À la périphérie de nos ambitions
L’histoire de Maurice et de l’Afrique est celle d’une rencontre différée, mais aujourd’hui inéluctable. Le Premier ministre a choisi Addis-Abeba pour son premier déplacement, où se tient le 38ᵉ sommet annuel de l’Union africaine (UA). Mais l’heure n’est pas aux réjouissances. Le menu est lourd, et l’horizon incertain. L’Afrique ne se réunit pas dans l’espoir d’un élan fédérateur, mais face à une série de crises sans précédent.
Le Soudan est déchiré par un conflit meurtrier, l’Est de la RDC s’enfonce dans une guerre aux répercussions régionales, le Mozambique traverse une crise post-électorale, et le Sahel reste gangrené par le terrorisme. À cela s’ajoute l’instabilité institutionnelle : six pays ont été suspendus après des coups d’État militaires. Jamais l’UA n’avait eu à affronter autant de défis, aussi aigus.
Pour Maurice, ce retour vers l’Afrique survient à un moment délicat. Le soutien affiché à Raila Odinga, favori pour la présidence de la Commission de l’UA, témoigne d’une volonté de réancrage. Pourtant, l’Afrique d’aujourd’hui est un continent où les ambitions politiques se heurtent aux réalités sécuritaires et économiques.
Le discours inaugural de Moussa Faki Mahamat, président sortant de la Commission, a dressé un bilan sévère. Conflits armés, divisions régionales, manque de financement : l’UA apparaît affaiblie à un moment où le multilatéralisme lui-même est remis en question par de nouvelles dynamiques géopolitiques. En Afrique comme ailleurs, le temps est à l’incertitude.
L’Est de la RDC incarne parfaitement les contradictions de l’Afrique contemporaine. Riche en ressources stratégiques, cette région est aussi l’une des plus instables du continent. Les tentatives de médiation se multiplient, mais peinent à ramener la paix. Le Kenya, par le processus de Nairobi, et l’Angola, par celui de Luanda, ont tenté de coordonner les efforts. Le nouveau président de l’UA, en provenance d’Angola, devra poursuivre cette délicate mission.
Maurice, par son soutien à ces initiatives, peut jouer un rôle constructif. L’île, forte de son expérience diplomatique et de sa position de carrefour géographique, peut contribuer à une approche inclusive de la résolution des conflits. L’objectif : une Afrique qui parle d’une seule voix, capable de surmonter ses divisions pour affronter ses défis communs.
Pendant que l’Afrique cherche ses solutions, les grandes puissances continuent de rivaliser pour son influence. La Chine investit massivement dans les infrastructures et l’énergie. La Russie avance ses pions sécuritaires. Et les États-Unis, sous l’administration Trump, adoptent une posture pragmatique, recentrant leur politique sur les intérêts stratégiques et économiques.
L’AGOA, cadre d’échanges préférentiels entre les États-Unis et l’Afrique, arrive à expiration. Sa reconduction reste incertaine, mais Washington laisse entrevoir une approche davantage axée sur l’exploitation des ressources stratégiques et l’investissement dans les corridors économiques, comme celui de Lobito reliant l’Angola, la RDC et la Zambie.
Dans ce jeu de puissance, Maurice ne peut pas se contenter d’observer. Notre pays doit adopter une diplomatie agile, multipliant les partenariats tout en affirmant son ancrage africain. Soutenir Raila Odinga à la tête de l’UA, c’est miser sur une Afrique plus intégrée et solidaire, mais c’est aussi choisir une certaine vision du multilatéralisme africain.
Face à la multiplication des crises, l’Union africaine est à la croisée des chemins. Elle doit repenser son modèle de gouvernance, renforcer sa capacité d’intervention et restaurer la confiance de ses États membres. Le vent de fronde qui a soufflé contre Bankole Adeoye, réélu commissaire Paix et Sécurité malgré les critiques sur son absence lors des crises majeures, illustre bien les tensions internes.
L’élection du nouveau président de la Commission sera déterminante. Raila Odinga, par son expérience et sa vision d’une Afrique unie, peut insuffler une nouvelle dynamique. Mais il ne pourra y parvenir sans le soutien actif de ses homologues, et sans une mobilisation réelle des pays membres, dont Maurice.
***
Pour Maurice, le retour vers l’Afrique ne peut se limiter à un alignement diplomatique. Il s’agit d’assumer pleinement son rôle de nation africaine, d’apporter ses compétences et son expertise, tout en écoutant et en apprenant des réalités du continent. L’Afrique, comme le rappelait le grand reporter Kapuscinski, n’est pas une unité simpliste. C’est une mosaïque complexe, où les rapports de force évoluent constamment.
L’île peut se positionner comme un pont entre les différentes visions africaines, entre les blocs régionaux parfois rivaux. Elle peut contribuer à l’émergence d’un leadership africain plus affirmé, capable de faire face aux défis de sécurité, de gouvernance et de développement. Mais pour cela, il faudra plus qu’un voyage officiel. Il faudra une présence constante, une volonté durable d’être partie prenante de l’avenir africain.
L’Afrique, en 2025, ne se laisse plus définir par les regards extérieurs. Elle se cherche ellemême, entre opportunités et crises. Maurice, si elle veut y trouver sa place, devra le faire avec humilité, mais aussi avec détermination. Le temps des retrouvailles est venu, mais il ne s’agit pas seulement de revenir. Il s’agit d’y rester, de s’engager, de construire ensemble.
L’Afrique avance, malgré les tempêtes. Maurice peut marcher à ses côtés, non pas en suiveur, mais en partenaire. Un partenaire lucide, conscient des défis, mais aussi des promesses que recèle ce continent, trop longtemps resté à la périphérie de nos ambitions (communes)...
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