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Trois ans après
Affaire Kistnen: du «suicide» à l’homicide…
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Trois ans après
Affaire Kistnen: du «suicide» à l’homicide…
Simla Kistnen, à côté d’une photo de son défunt époux, lors d’une cérémonie pour lui rendre hommage, à son domicile, vendredi.
18 octobre 2023. Cela fait trois ans depuis que le corps partiellement calciné de Soopramanien Kistnen, entrepreneur et agent du MSM, a été découvert dans un champ de cannes à Telfair. Il ne portait pas de chaussures et son sac contenant ses documents a été brûlé, lui aussi. La police parlera de suicide… Mais l’express mènera l’enquête. Des avocats sont contactés. Des révélations accablantes sont faites. Confirmation de l’enquête judiciaire par la suite : il s’agit bel et bien d’un homicide… Retour sur cette affaire qui aura bouleversé les milieux institutionnels et politiques du pays.
Le 21 octobre 2020, l’express décortique le décès et l’autopsie de Soopramanien Kistnen, plus connu sous le nom de Kaya, un entrepreneur et agent du MSM qui vivait dans une modeste demeure à Montagne-Ory et qui est porté disparu le 16 octobre. Son corps partiellement carbonisé est retrouvé dans un champ de canne à Telfair deux jours plus tard, soit le 18 octobre. Il ne porte pas de chaussures et son sac contenant ses documents est retrouvé brûlé. L’autopsie, pratiquée par le médecin légiste Ananda Sunnassee le lundi 19 octobre 2020, attribue la mort de Soopramanien Kistnen à un œdème pulmonaire «due to inhalation of fumes/products of combustion».
La police écarte la thèse du meurtre et les enquêteurs évoquent l’état d’ivresse dans lequel se trouvait Soopramanien Kistnen au moment de sa mort. Peu après, la police informe la famille qu’il n’y a pas eu d’acte criminel. Il est également avancé que Soopramanien Kistnen s’est suicidé, avant même qu’une enquête approfondie ne soit menée. Ce que ses proches rejettent catégoriquement et qui les oblige à soulever des interrogations, car selon eux, Soopramanien Kistnen ne buvait pratiquement jamais et malgré son business qui l’avait amené à accumuler d’énormes dettes, il n’aurait jamais songé à se suicider. Mais qui était-il exactement ?
Soopramanien Kistnen serait celui qui aurait présenté Pravind Jugnauth dans la circonscription no 8, lorsqu’il était candidat à l’élection partielle de 2008. Soopramanien Kistnen a aussi connu Yogida Sawmynaden lorsqu’ils étaient tous deux proches du MMM et que Yogida Sawmynaden était candidat aux élections municipales au n°19. Une relation aussi bien entrepreneuriale que politique s’était alors établie entre eux. Lors des élections de 2019, Soopramanien Kistnen était l’agent des trois candidats du MSM au no 8, soit Pravind Jugnauth, Leela Devi Dookun-Luchoomun et Yogida Sawmynaden. Cependant, il a été le plus souvent vu avec ce dernier.
Appels d’offres et menaces
Par ailleurs, il sera révélé plus tard par l’express, dans une enquête publiée le 19 novembre 2020, que Soopramanien Kistnen aurait été approché pour participer à plusieurs appels d’offres, notamment par Yogida Sawmynaden, alors ministre du Commerce. Mais au fil du temps, l’agent du MSM se rendra compte qu’il ne sert en fait qu’à ‘faire le nombre’ en permettant à d’autres d’obtenir les contrats, car il est invité à participer à ces appels d’offres mais se fait toujours coiffer au poteau par un concurrent qui propose parfois un prix un peu plus bas. C’est alors que cet agent de la circonscription no 8 exprime son mécontentement. Il sera menacé, et de son côté fera savoir à plusieurs personnes qu’il a l’intention d’alerter l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) sur ces pratiques...
Pourtant, Yogida Sawmynaden affirmera dans un premier temps, après la découverte du cadavre de Soopramanien Kistnen, qu’il ne le connaissait pas. Il rectifiera plus tard ses propos pour dire qu’il le connaissait, comme tous les agents de la circonscription, et qu’il fallait permettre à la police de faire son enquête. Yogida Sawmynaden assistera également aux funérailles de Soopramanien Kistnen, mais ne s’y rendra que pour quelques minutes seulement.
Autres faits troublants : les champs de canne où se trouvait le corps de Soopramanien Kistnen seront brûlés le lendemain même de la macabre découverte, la police ayant promptement enlevé le ruban jaune délimitant la scène de crime. Contacté par l’express pour savoir si c’était elle qui avait mis le feu, un responsable de la société Mon Désert Alma, propriétaire du champ de cannes, précisera qu’il n’est pas dans les habitudes de la société de brûler les cannes avant de les couper, car cela réduit la teneur en sucre.
Avant sa mort tragique, Soopramanien Kistnen se rendra également compte que Yogida Sawmynaden avait déclaré son épouse Simla Kistnen comme son Constituency Clerk, mais qu’il empochait lui-même les 15 000 roupies mensuelles. À cela s’ajoute le refus des autres bénéficiaires du contrat de lui remettre sa part. Or, le jour de son décès, Soopramanien Kistnen se serait rendu à La Louise pour récupérer 14 millions de roupies. Et plus tard, son corps sera retrouvé à Telfair. À la demande des membres de sa famille, qui voulaient consulter les images des caméras Safe City de la région, la police se contente de dire que toutes les caméras étaient tombées en panne...
Pour faire la lumière sur la mort de Soopramanien Kistnen, une équipe d’avocats, surnommés les «Avengers», et composée entre autres de Mes Rama Valayden et Sanjeev Teeluckdharry, réclame alors une enquête judiciaire, au cours de laquelle plusieurs révélations seront faites.
Enquête judiciaire
Deux ans après la mort de Soopramanien Kistnen, l’enquête judiciaire conclut à un homicide et écarte totalement la thèse du suicide. La magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath remet en question la manière dont la police a mené son enquête et la critique sévèrement en notant que, «the manner in which the enquiry was conducted fell so below what can be considered reasonable that it marks a new level of incompetence».
Elle recommande ensuite qu’une enquête soit menée sur la manière «obscure» dont l’autopsie a été pratiquée. Également mis en exergue : le temps qu’a mis la police pour accéder aux images (automatiquement effacées) de Safe City afin de savoir qui avait transporté le corps de Soopramanien Kistnen à Telfair, et le fait que la police ait envoyé le téléphone à son service informatique, et non au Forensic Science Laboratory, pour analyse. Un autre aspect abordé en profondeur dans le rapport de l’enquête judiciaire concerne les dépenses électorales contenues dans le carnet de l’ancien agent du MSM, à savoir les Kistnen Papers. La magistrate parle aussi des contrats passés durant le Covid.
Quant aux membres du gouvernement, loin de s’inquiéter de ce rapport, ils se sont contentés de faire comme d’habitude. «C’est honteux» qu’un tel document ait pu être rendu public, avait affirmé l’Attorney General, Maneesh Gobin. Depuis, l’affaire suit son cours et va de rebondissement en rebondissement. Le dernier en date : Me Rama Valayden a affirmé, mercredi, avoir reçu des informations indiquant que le fils d’un habitant de Rose-Hill serait impliqué dans le meurtre de Kistnen. «Le père et le fils se trouvent actuellement à La Réunion…»
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