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Budget 2024-25

Analyse au scalpel par ReA

10 juin 2024, 18:30

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Analyse au scalpel par ReA

Les membres de Rezistans ek Alternativ estiment que c’est la population qui finance les largesses du gouvernement.

Trois intervenants pour trois grands thèmes : le marché du travail, l’économie et l’écologie. Ashok Subron, Kugan Parapen et Stefan Gua ont décortiqué en détail le Budget 2024-25 et offrent une analyse que personne d’autre n’a faite. Vu sous ces angles, le Budget semble servir plus les intérêts privés que ceux de la population.

Rezistans ek Alternativ (ReA) a organisé une conférence de presse samedi, soit le lendemain même du discours du Budget par le ministre des Finances, Renganaden Padayachy. Ashok Subron a abordé l’effet du Budget 2024- 25 et des Budgets précédents sur le droit des travailleurs mauriciens, droit qui sera réduit comme peau de chagrin, dit-il, avec l’arrivée massive prévue de travailleurs étrangers à la suite de la libéralisation à outrance du marché du travail. Tout en rappelant que l’éligibilité pour l’emploi d’un étranger sous occupation permit est passé de Budget en Budget de Rs 60 000 à Rs 30 000, puis à Rs 22 500. Ces étrangers, dit-il, seront en compétition avec les locaux qui – pour ceux qui le pourront – n’auront d’autres choix que de s’exiler. Il rappelle aussi que le quota d’étrangers a été aboli pour les entreprises dans le freeport, l’ICT-BPO et la bijouterie qui pourront désormais n’employer que des étrangers.

Avis aux experts financiers

Autre mesure dénoncée, celle permettant aux retraités étrangers installés dans leurs Integrated Resort Scheme, Real Estate Scheme ou autres Property Development Scheme de travailler, et ainsi d’entrer en compétition avec les Mauriciens. Ils pourront aussi s’acheter une deuxième propriété foncière. «Cette grey economy qui apporte parfois du grey capital», de l’argent sale. Ashok Subron a parlé aussi de la mesure 163 du Budget qui donnera un permis de travail de dix ans aux experts étrangers en wealth management, family office, virtual assets and virtual tokens. Cependant, ce qu’il n’a pas dit, c’est que cette ouverture sera faite surtout vers l’Inde, mais aussi vers certains pays africains avec qui, a annoncé Padayachy, Maurice signera des Strategic Partnership Agreements.

Pour Ashok Subron, c’est le secteur privé qui a dicté ces mesures de libéralisation qui rendront caducs les «cadeaux» faits aux travailleurs. D’ailleurs, souligne-t-il, «au lieu de venir avec le réalignement salarial promis, Padayachy n’a apporté que des allocations temporaires sous la Contribution sociale généralisée (CSG) et qui n’affectent pas le salaire de base du travailleur». L’expérience et les qualifications des travailleurs locaux, argue-t-il, ne serviront plus car le secteur privé privilégiera l’emploi d’étrangers car moins contraignant. *«Car ces travailleurs étrangers pourront être hired and fired à volonté, n’auront pas droit à la meal allowance, aux vacances au bout de cinq ans de travail, ni aux indemnités de licenciement. On est revenu au temps des coolies.» Il le pense d’autant plus lorsqu’il voit l’amendement annoncé aux Agricultural Workers (Job Contractors’) Regulations, qui permettrait aux seules agences de recrutement privées d’importer de la main-d’œuvre étrangère.

Il se demande dans la foulée si l’employeur d’étrangers contribuera au PRGF (pension portable), au Workfare Program Fund, au National Savings Fund et à la CSG. Autant d’économies pour le patronat qui plomberont encore plus ces fonds. Ashok Subron s’inquiète également de la mesure 136 qui permettra à une entreprise qui n’exporte que 30 % de ses produits d’obtenir un certificat d’exportateur, émis par cet «État parallèle» qu’est l’Economic Development Board.«Cela, alors que l’on sait comment les employés d’entreprises de l’Export Processing Zone sont privés des droits dont jouissent les autres travailleurs.» Tout en soulignant que c’est l’argent public qui sera utilisé pour subventionner la main-d’œuvre étrangère «pour ces entreprises appartenant à» des gros groupes du textile. Il note enfin que désormais ce ne sera plus le ministère du Travail qui émettra des Special Allowance Regulations mais le ministère de Finances «où les lobbies de Business Mauritius et des oligarques sont les plus actifs et influents».

Kugan Parapen dépeint le ministre des Finances comme un illusionniste qui veut faire croire que l’économie progresse et que la prospérité est là. Et de démontrer, chiffres à l’appui, un autre tableau. «Si Padayachy s’enorgueillit en disant que le revenu mensuel moyen d’un ménage est passé de Rs 35 000 en 2017 à Rs 55 000 en 2023, soit une hausse de 55 %, mais en dollars, l’augmentation n’a été que de 17 %.» Tout en rappelant que le dollar est passé de Rs 33,06 en 2017 à Rs 44 en 2023, et que nous importons presque tout ce que nous consommons. «Et si je considère le taux d’inflation de 27 % entre ces deux années et la hausse réelle de 17 % du revenu mensuel moyen, on a subi une baisse du pouvoir d’achat.»

Mauvaise comparaison d’Obeegadoo

L’économiste Kugan Parapen a aussi «démonté» l’argument de Steven Obeegadoo qui a justifié la faiblesse de la roupie en rappelant la dépréciation des devises en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigéria et au Pakistan. «L’Afrique du Sud est en train de vivre ses pires moments depuis la fin de l’apartheid et son économie est un désastre. Le Pakistan a eu une des pires performances économiques au niveau mondial, sans parler de la corruption qui gangrène le pays. Le Kenya et le Nigéria ne sont pas des références en gestion économique, le Kenya, lui, ayant connu la plus grande crise économique de son histoire. Le ministre Obeegadoo semble en fait inclure Maurice parmi les plus mauvais élèves du monde.»

Concernant les chiffres en progression des exportations dont se targue Padayachy, Kugan Parapen rappelle que Statistics Mauritius a pris la liberté d’inclure le flux de devises qui entrent au pays à travers le secteur offshore, faisant le chiffre des exportations des services et du Produit intérieur brut (PIB) exploser en 2022 par Rs 100 milliards. «Or, cet argent que les investisseurs internationaux font passer par Maurice en raison de notre fiscalité légère notamment ne nous appartient pas.» Il estime que par cette «manipulation des chiffres», Statistics Mauritius, avec la bénédiction du ministre des Finances, a surestimé le PIB par 5 % !

Fausse croissance

Justement, pour ce qui est de la croissance économique, Kugan Parapen explique qu’elle est causée soit par l’augmentation des revenus des ménages soit par celle des profits des entreprises. «Alors que le précédent Budget tablait sur une hausse des recettes de la TVA de Rs 61,5 milliards, la réelle hausse n’a été que de Rs 56,1 milliards. En revanche, la Corporate Tax a rapporté Rs 33,2 milliards alors que les prévisions étaient de Rs 28,1 milliards. Ce qui prouve que ce sont les bénéfices inattendus du secteur privé qui ont entraîné la croissance, des bénéfices partagés rien que parmi les actionnaires.»

Au sujet de la fiscalité, l’économiste conclut que c’est ce qui est ponctionné de la population qui est partagé parmi la même population. «En fait, le gouvernement prend de ceux qui ont peu pour donner à ceux qui n’ont pas beaucoup. Mais ne prend pas à ceux qui ont beaucoup. La population réalise que c’est elle qui finance les largesses de Padayachy, largesses qui sont faites pour gagner les élections. Dans une famille, un membre paiera et un autre en bénéficiera.» Pour lui, ces largesses sont financées par les revenus du gouvernement dopés par l’inflation. Et de dénoncer la structure fiscale du pays, une des plus disproportionnées au monde, et qui repose sur les taxes indirectes (TVA, taxe sur l’essence, etc.) et qui représente deux tiers des revenus fiscaux. «Cette fiscalité est adoptée notoirement par les pays qui protègent leurs riches.»

Pour Stefan Gua, même après les désastres de Belal et autres inondations, le ministre des Finances n’a fait aucune provision pour les calamités à venir et ses victimes. «Cela, bien qu’il ait promptement mis Rs 1 milliard à disposition après Belal pour notamment compenser les automobilistes.»

Mais c’est le projet d’extraction de sable pour remettre sur les plages qui l’interpelle le plus. «La mort de nos récifs coralliens et la dégradation de nos lagons sont les causes de l’érosion de nos côtes. Or, avec les mesures annoncées, la dégradation sera encore plus grave.» Il se dit étonné que l’on prenne l’exemple des Maldives alors que c’est une mesure qui vient d’être prise que récemment dans ces îles et qu’il faut attendre plusieurs années pour savoir si elle marche. Par contre, il déplore le fait que l’exemple des Maldives n’ait pas été suivi en ce qui concerne le bannissement des bouteilles en plastique.

«Le gouvernement est juste intéressé à refaire de jolies plages devant les hôtels sans penser au long terme.» Pour lui, il fallait plutôt protéger les dunes de sable et les végétations de nos côtes qui préservent de l’érosion. «Ce sont ces projets hôteliers et immobiliers sur notre littoral comme celui de La Cambuse qui détruisent ces dunes de sables et plantes.» Il se pose des questions sur le Climate and Sustainability Fund de Rs 300 milliards qui sera mis sur pied. «Le secteur privé y contribuera pour 35 %, le reste venant de dons de l’international. Mais ce sera le privé, avec le public, qui gérera cette somme faramineuse.Lisien vey sosis! Pourtant, c’est ce même secteur privé qui dégrade notre environnement, qui bétonne et privatise nos plages.» Tout en se demandant si ce fonds sera géré comme le National Emergency Operations Command (NEOC) qui s’est montré incapable de protéger la population lors du passage de Belal lorsqu’il y a eu morts de travailleurs. «Il n’y avait pas de représentant des travailleurs au NEOC. On sait aussi comment les work access permits étaient émis où c’était Business Mauritius qui décidait de tout.» Il rappelle également comment le secteur privé a «détourné» les immenses sommes données par l’Europe à la fin du protocole sucre. «Et c’est le même secteur privé qui a hérité de 60 % de la production de l’énergie.»