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Casernes centrales

Anil Kumar Dip : au coeur d’une galaxie d’impunité

19 juillet 2025, 11:00

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Anil Kumar Dip : au coeur d’une galaxie d’impunité

Entré dans la Mauritius Police Force (MPF) le 11 septembre 1981 en tant que constable, Anil Kumar Dip a gravi patiemment les échelons. Cadet Inspector en 1985, puis inspecteur, il accède au rang de Superintendent au fil d’une carrière méthodique.

En juin 2020, il prend la tête de la Special Mobile Force (SMF). Le 2 août 2021, à l’âge de 60 ans, il est nommé commissaire de police (CP) par intérim par le Premier ministre d’alors, Pravind Jugnauth. Sa titularisation, le 16 février 2022, suscite de vives critiques dans les milieux policiers et judiciaires, où l’on évoque ouvertement un cas de «favoritisme politique».

Anil Kumar Dip suit plusieurs formations à Washington D.C., Genève, Londres et participe à des sommets régionaux sur la sécurité. Titulaire d’un Master en Police Science and Management, il s’entoure d’un cercle de collaborateurs loyaux.

Très vite, il bâtit un réseau de promotions stratégiques autour de lui. Il propulse Farhaaz Mooniaruth au rang d’Assistant Superintendent of Police (ASP) et lui confie la Force Crime Intelligence Unit (FCIU). Yeshdeo Seebooruth, alors sergent peu connu de la Police Research Development Unit (PRDU), bénéficie aussi de ce système.

Lilram Deal, ancien inspecteur à l’Eastern Division, est nommé Assistant Commissioner of Police (ACP), avant d’être arrêté, en juillet 2025, soupconné d'avoir indûment perçu Rs 4,5 millions de Reward Money. Plusieurs officiers, sous couvert d’anonymat, décrivent une règle tacite: «soumission totale ou rétrogradation immédiate». Les récalcitrants étaient mutés ou isolés dans des fonctions peu influentes.

Le Reward Money, initialement destiné à récompenser les informateurs de l’ADSU, devient le cœur d’un système opaque dès août 2021. Dip en aurait élargit l’accès à d’autres unités : PHQ Special Striking Team, Divisional Crime Intelligence Unit (DCIU), SMF, SST. En théorie, les décaissements passaient par une validation tripartite : chef d’unité, Deputy Commissioner, puis CP, avant d’être transmis au ministère des Finances. En pratique, des documents justificatifs étaient, dans certains cas, absents ou fictifs.

Une enquête de la Financial Crimes Commission (FCC) a révélé un circuit de Rs 250 millions transitant par le bureau du CP entre 2019 et 2024, sans traçabilité suffisante.

Le 20 juin 2025, Lilram Deal est arrêté, suivi de l’ASP Mooniaruth et Seebooruth, en juillet. Le modus operandi impliquait des paiements par chèques ou virements à des sociétés liées indirectement à des membres du cercle Dip. Une task force conjointe FCC/CCID tente actuellement de reconstituer ce complexe money trail.

«Moustass Leaks»

C’est dans ce climat déjà lourd qu’éclatent, juste avant les législatives de 2024, les fuites d'écoutes téléphoniques, «Moustass Leaks». L’une d’elles met directement en cause Anil Kumar Dip dans la gestion du décès de Jacquelin Steeve Juliette, mort après une descente de l’ADSU le 4 janvier 2023. La voix attribuée à Dip y ordonnerait que l’autopsie conclue à une mort naturelle et que les preuves soient éliminées. Une contre-autopsie a depuis montré qu'il n’y a pas eu de foul play.

Le nom du fils, Chandra Prakashsingh Dip fait également surface devant la Financial Crimes Division (FCD) de la Cour intermédiaire.

Le 9 avril dernier, il comparaît pour blanchiment d’argent de Rs 25 millions dans l’affaire de détournement de Rs 80 millions de la défunte Bramer Banking Corporation. Le parquet, représenté par la FCC, l’accuse d’avoir utilisé plusieurs sociétés-écrans pour recycler des fonds détournés entre janvier et aout 2011. Dans un ruling rendu le 23 janvier 2025, le magistrat Abdool Raheem Tajoodeen a rejeté la motion de suspension de poursuites introduite par ses avocats.

L’image de Dip se dégrade davantage avec la révélation de biens utilisés à des fins privées. Une enquête révèle que des véhicules de luxe — une Porsche Macan estimée à Rs 6,4 millions, une BMW X6M à Rs 10,49 millions et une Range Rover Velarau au coût de Rs 5,9 M — ont été financés sur le budget de la police, bien qu’utilisés par Dip, son épouse et son fils pour leurs déplacements personnels. Pendant ce temps, certains officiers de terrain devaient, eux, emprunter leurs véhicules personnels pour leurs missions, faute de dotation. Cette injustice a nourri la colère de certains policiers et aggravé les tensions internes.

D’autres plaintes ont été déposées pour harcèlement et abus d’autorité. L’ex-ASP Rajeshwar Moosoohur dénonce des humiliations publiques en novembre 2024 et des menaces de mutation. Aruna Bunwaree Ramsaha, ex-CEO par intérim de la Mauritius Ports Authority (MPA), accuse Anil Kumar Dip de l’avoir «injustement et frauduleusement», suspendue de son poste après avoir été arrêtée en tant que criminelle par la CCID qui l’accusait de complot, le 21 décembre 2022. Sa plainte à la CCID, enregistrée le 18 décembre 2024, vise directement l’ancien CP.

Depuis la démission de Dip, annoncée le 17 novembre 2024, quelques jours après les législatives de 2024, son empire se désagrège rapidement. Des officiers sont dans le viseur de la FCC et de la CCID.

Au-delà des individus, c’est la procédure de nomination du commissaire de police, entièrement dépendante du Premier ministre, qui est pointée du doigt. Des voix plaident pour la création d’un «Independent Police Appointment Commission» et pour la publication obligatoire des allocations du Reward Money.

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