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Agriculture
Appel à des actions décisives pour que le thé ne boive pas la tasse
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Appel à des actions décisives pour que le thé ne boive pas la tasse
La Chartreuse produit divers types de thé malgré les défis qui sont présents.
Avec une consommation en constante augmentation et une production en continuelle baisse, le secteur du thé à Maurice est confronté à une série de défis quant à son avenir. Le changement climatique, le manque de main-d’œuvre locale et l’abandon des champs sont quelques-uns des facteurs qui ont affaibli cette industrie florissante du passé.
La production annuelle de thé tourne désormais autour de 1 100 tonnes pour une consommation atteignant 1 800 tonnes. Cette disparité entre l’offre et la demande met en évidence la crise que traverse le secteur. Face à cette situation préoccupante, des entreprises mettent en place des mesures pour revigorer cette industrie. De l’autre côté, des initiatives du gouvernement veulent aussi encourager la production.
Cependant, face à ces mesures insuffisantes pour inver- ser la tendance à long terme, les producteurs privés luttent constamment pour pérenniser cette industrie en cherchant des moyens novateurs de faire face aux défis auxquels ils sont confrontés, tels que l’utilisation de techniques agricoles durables et la recherche de nouveaux marchés d’exportation. Malgré les efforts déployés par le gouvernement et le privé, des planteurs et métayers expriment leur inquiétude quant à l’avenir de ce secteur vital de l’économie. Il semble se diriger vers une mort certaine, en raison de la combinaison de facteurs défavorables.
Pour maintenir en vie ce secteur en déclin, La Chartreuse multiplie ses efforts. Selon Nitish Ramsahye, Brand and Communications Manager de cette entreprise, les facteurs qui entraînent le thé sur la pente descendante sont : le changement climatique, le manque de main-d’œuvre, le vieillissement des agriculteurs, l’absence des jeunes qui s’y intéressent, la valeur faible de la roupie et le vieillissement des plantes. Ces défis ne sont pas sans conséquences pour l’entreprise qui doit trouver des moyens pour assurer que sa production soit soutenable. Ces efforts, poursuit-il, nécessitent davantage d’investissement. L’un des exemples qu’il cite est le désherbage qui se fait manuellement malgré son coût élevé. Des investissements réguliers se font aussi dans formations accordées aux travailleurs des plantations de thé pour assurer qu’aucun produit chimique n’est utilisé. «Cela nous a pris du temps pour qu’on arrive à ce niveau. Cela s’est fait à travers la formation, le soutien des agronomes et l’expertise du ministère de l’Agro-industrie.» La Good Agricultural Practice, dit-il, a aussi été adoptée par l’entreprise.
En dépit de ces défis énormes, la demande du marché continue de s’accroître pour de nouveaux types de thé. Des moyens sont mis en place depuis la production des feuilles jusqu’à la création des thés pour la satisfaire. En ce moment, explique le responsable de La Chartreuse, la consommation moyenne de thé à Maurice est de plus d’un kilo par habitant. Il est donc primordial que ce secteur soit modernisé, transformé et diversifié. Pour attirer davantage les consommateurs, les produits biologiques, les thés et les infusions de La Chartreuse proviennent de plantations contrôlées.
Les infusions et les thés haut de gamme, comme le soutient Nitish Ramsahye, sont de plus en plus recherchés sur le marché local. Une récente réunion en Chine entre une équipe de La Chartreuse et des fournisseurs a permis de dessiner les contours de plusieurs projets qui visent non seulement à augmenter le nombre de produits mais aussi de participer à la pérennité de l’entreprise. Un projet visant à transformer l’usine en un espace accueillant les visites guidées, permettant la découverte de l’univers du thé, notamment à travers des séances de dégustation de thés spéciaux verra le jour. L’entreprise compte également moderniser son parc d’équipements afin d’augmenter sa capacité de production et répondre à une demande croissante.
En parlant de demande, La Chartreuse produit actuel- lement environ 750 tonnes de thé par an, dominant ainsi le marché mauricien avec une part de marché dépassant les 50 %. Bien que ses exportations représentent traditionnellement entre 2 % et 5 % de sa production, elle envisage de consacrer davantage d’efforts à l’expansion de sa présence sur les marchés internationaux.
Accorder plus de terres aux planteurs
À cause la fragilité du secteur, Nitish Ramsahye suggère qu’il est crucial d’accorder plus de terres aux planteurs pour cultiver le thé. Parmi ses suggestions figurent, entre autres, un projet de financement pour aider ces derniers à mécaniser les champs à un taux préférentiel, la création des plantes plus résistants au changement climatique, des engrais organiques, la formation de la nouvelle génération, la création d’une agence focalisée sur le thé. De plus, pour favoriser le développement du secteur, il demande l’augmentation des salaires pour pallier la hausse du coût de la vie, la réduction du tarif du carburant et de l’électricité, le contrôle ou la minimisation des augmentations des prix des fertilisants de plus de 300 %.
Face à l’usage des mains pour certaines activités, la technologie prouve également son importance pour assurer le développement et la compétitivité de l’entreprise. Il cite la mécanisation de la cueillette de thé et l’application des fertilisants. L’utilisation de l’intelligence artificielle pour l’optimisation des ressources, et la création des plantes robustes à travers la recherche scientifique capables de s’adapter au changement climatique.
Grace Qiu, responsable de Kuanfu Tea.
Chez Kuanfu Tea à Dubreuil, le secteur a du potentiel mais reste confronté à de grands défis. Pour Grace Qiu, responsable de l’entreprise, les facteurs qui freinent le développement de l’industrie sont, entre autres, le vieillissement des planteurs, l’absence des techniciens spécialisés dans la prépa- ration du thé, l’accroissement du coût de la main-d’œuvre, les coûts de consommables, des mécanismes dépassés dans la production et l’augmentation des prix des produits de base. Face à ces défis,Kuanfu Tea a pris des mesures, impliquant des investissements substantiels. L’une des initiatives est d’emmener à Maurice des maîtres spécialisés de la production de thé de Chine pour contribuer à la recherche et au développement. Dans ce cadre, la technologie et l’innovation dans cette industrie, avance Grace Qiu, sont essentielles. «D’abord, elles peuvent améliorer la compétitivité des produits. Elles peuvent grandement améliorer les performances, la qualité et les caractéristiques particulières des produits, renforçant ainsi leur compétitivité.» L’efficience et la qualité, le comportement du consommateur sont améliorés, et les risques pour l’entreprise sont réduits. De plus, un autre avantage, poursuit-elle, est l’amélioration de la marque. Il est important que les fabricants à Maurice étudient en permanence de nou- velles fonctions et valeurs pour le thé, innovent en matière de tech- nologie s’agissant de la préparation du thé et créent un produit de meilleure qualité pour répondre à la demande internationale. «Il faut donner toute la place à la science et la technologie pour mener des recherches scientifiques approfon- dies pour développer et améliorer les variétés et la qualité de thé afin de parvenir à une gestion standardisée et raffinée de sa production et de son exploitation.»
La comparaison entre le thé produit à Maurice et à l’étranger est difficile. «Il existe de nombreux types de thés, mais la sélection mauricienne est relativement restreinte. Le niveau de la technologie de production est relativement faible et la qualité du thé n’est pas assez bonne pour occuper une place de choix au niveau international.» Qualifiant la technique utilisée dans la production de «behind the developed market», Grace Qiu souligne que son entreprise se focalise plutôt sur une production de haute qualité et se positionne comme une marque de produit agricole mauricien haut de gamme. Sa raison est que Maurice possède une superficie très faible de culture par rapport aux pays étrangers. «Si le thé mauricien veut occuper une place dans le monde ou se faire un nom au niveau international, il faut miser sur des produits de haute qualité et un positionnement de marque haut de gamme. Il est plus important de se concentrer sur la production d’un bon thé que de travailler dur pour produire un lot de thé ordinaire.»
Actions spécifiques pour assurer la durabilité
Pour assurer la durabilité du secteur, Grace Qiu souligne l’importance de garantir les moyens de subsistance des travailleurs et des planteurs de thé. Tous les aspects de la chaîne de valeur, en commençant par la vente au détail jusqu’à la culture, doivent garantir cette durabilité. «Toutefois, à l’avenir, un bon système devrait permettre aux producteurs d’améliorer leurs compétences afin qu’ils bénéficient d’une plus grande autonomie dans la chaîne industrielle.» Depuis 2021, poursuit la responsable, des discussions sur la production de thé biologique sont organisées avec les agriculteurs qui travaillent avec Kuanfu Tea. «La production de thé biologique permet de réduire les besoins en pesticides chimiques, de protéger l’équilibre de l’écosystème du sol et de réduire la pollution du sol et des eaux souterraines. Nous formons les employés et les planteurs de thé des coopératives sur la répartition des qualités de thé afin qu’ils comprennent comment distinguer la qualité des feuilles et comment cueillir des feuilles de meilleure qualité.» Parallèlement, Kuanfu Tea opère en étroite collaboration avec les planteurs pour contrôler l’utilisation des pesticides et des engrais. L’entreprise continue à investir pour réduire les émissions dues au traitement et au transport des feuilles.
Avantage géographique et pédologique
Afin de pouvoir démarquer Maurice des autres producteurs de thé, Grace Qiu est d’avis que Maurice possède des conditions écologiques naturelles et des ressources variées uniques, ainsi que des avantages géographiques et pédologiques (des sols) particuliers. «L’île Maurice est un pays insulaire formé par des éruptions volcaniques. Afin de mettre en évidence la situation géographique particulière et la structure du sol, nous pouvons faire du thé volcanique de l’île Maurice une indication géographique/marque du pays.»
Grace Qiu croit fortement dans le potentiel de ce secteur. «La raison est que la demande de thé est forte sur le marché international. D’ailleurs, les statistiques de la Food and Agricultural Organization indiquent que la production mondiale de thé est d’environ 7 milliards de tonnes.» Pour profiter de ce marché en développement, en s’en donnant les moyens, le secteur mau- ricien pourra s’en sortir.
Manilall Dhoboj pointe du doigt le changement climatique comme l’origine des maux du secteur
Manque à gagner de 50 % de la production en deux mois
Le secteur est confronté à une menace imminente, selon Manilall Dhoboj, secrétaire général de la Fédération coopérative du thé de Grand-Port/Savanne. Si des mesures concrètes ne sont pas prises, la disparition de cette industrie est inévitable. Le changement climatique est un nouveau défi qui détruit progressivement la production de thé.
En seulement deux mois, les effets du climat ont réduit la production de thé de 50 %. «Notre manque à gagner a chuté de 50 % après les récentes grosses averses de janvier.» Si ce scénario se répète régulièrement, les planteurs et métayers pourraient être contraints d’abandonner. Il regrette qu’après le passage Belal, les usines n’aient toujours pas collecté les feuilles, et la cueillette a continué de chuter.
Ces feuilles, une fois rejetées, sont tout simplement jetées, laissant les planteurs dans une situation encore plus difficile. Selon le secrétaire général, il faut attendre deux mois avant que les planteurs puissent à nouveau cueillir de nouvelles feuilles. Pendant cette période, ils luttent pour maintenir leurs moyens de subsistance. Pour lui, l’effort déployé pour cultiver et récolter ces feuilles semble désormais vain.
Face à un manque croissant de feuilles de thé, les entreprises ont recours aux feuilles provenant d’autres pays, en particulier le Kenya, considéré comme le troisième plus grand exportateur de thé au monde. «Les usines sont obligées d’importer pour satisfaire la demande. Notre consommation locale est de 1 800 tonnes alors que nous ne produisons que 1 100 tonnes. La chute de notre production ces deux derniers mois corsera la situation. Nous n’arriverons même pas à produire les 1 100 tonnes.»
Manilall Dhoboj est d’avis qu’il est impossible que Maurice arrive à produire 1 800 à 2 000 tonnes de thé annuellement car les théiers sont âgés de 100 ans. La main-d’œuvre est difficile à trouver, et les champs sont abandonnés. «Les jeunes ne veulent non plus pérenniser ce secteur. Ce sera difficile pour eux de gagner leur vie uniquement avec la plantation de thé.»
La saison pointe pour la cueillette, qui est de novembre à avril. «Toutefois, avec une diminution de 50 % de la production, nous prévoyons encore une baisse drastique.» C’est dans la période de pointe que la production a grandement chuté.
Manilall Dhoboj craint que ce secteur continue à s’affaiblir. Il explique également que les cultivateurs mettent en terre des graines de thé. «Cela prendra sept ans pour que l’arbre devienne adulte. Nous n’utilisons pas les nouvelles technologies. Cela prendra du temps à récolter les feuilles.»
En ce moment, le nombre de planteurs et de métayers dans le thé est de 1 150. Il chute continuellement. Pour contrer ce phénomène, il avance que des mesures sont prises, notamment le paiement des planteurs à la fin du mois, le transport des feuilles aux usines.
Pour l’année financière qui commence le 1er juillet pour se terminer au 30 juin, le rendement de feuilles ne cesse de baisser. La récolte était de six tonnes par arpent. En ce moment, environ 600 hectares de terres sont sous culture de thé. Un hectare, dit-il, produit 2,25 tonnes de feuilles. L’hiver prolongé, poursuit-il, a tout changé. Auparavant, la cueillette de thé se faisait sur six mois. Mais avec le changement climatique, la période de la cueillette n’est plus la même. Pour lui, il n’existe aucun moyen pour protéger les cultures de thé du changement climatique. Sans les mesures du gouvernement, ce secteur est voué à la mort.
Efforts du gouvernement
Depuis 2015, le gouvernement a entrepris des mesures pour insuffler une nouvelle vie à un secteur en déclin. L’objectif est d’accroître la superficie des terres cultivées en thé dans l’espoir de revitaliser cette industrie. Mais de 2010 à 2014, la superficie des terres utilisées pour la culture du thé a chuté de 698 hectares à 574 hectares. En 2024, elle est repassée à 650 hectares
Ces mesures gouvernementales comprennent plusieurs aspects clés visant à stimuler la production et à améliorer la qualité des feuilles. Les producteurs sont encouragés à cultiver des variétés de meilleure qualité, tandis que des efforts sont déployés pour réduire les coûts de production grâce à une gestion optimisée des cultures. De plus, une attention parti- culière est portée sur l’implication des jeunes afin de garantir la pérennité.
Dans le cadre de ces mesures, une incitation financière a été mise en place pour encourager l’achat de mini-moissonneuses. Les producteurs peuvent bénéficier de Rs 10 000 pour l’acquisition de cet équipement, ce qui contribue à améliorer l’efficacité et la productivité des récoltes.
Par ailleurs, afin d’aider les cultivateurs à faire face à la baisse de la production pendant l’hiver, une allocation hivernale leur est accordée. Cette aide financière vise à atténuer les difficultés saisonnières et à soutenir les agriculteurs pendant les périodes les plus difficiles de l’année.
Le gouvernement veille également à fournir des fertilisants aux producteurs. Au cours de l’année financière 2023/2024, une somme de Rs 12,34 millions a été allouée pour la distribution de fertilisants à environ 983 planteurs de thé enregistrés.
ENL : Des investissements de Rs 120 millions dans la production
ENLapporte son soutien pour revitaliser l’industrie. Des cultures devraient débuter en 2024/2025 àValetta sur un site de 450 arpents.
Cette initiative stratégique vise également à réduire la dépendance croissante du pays vis-à-vis de l’importation de thé. Un investissement substantiel d’environRs 120 millionssera consacré à la mécanisation de la culture du thé. ENL possède des terrains dans des zones humides, notamment à Wooton et Quartier-Militaire, qui sont qualifiés d’inaptes à la culture de la canne à sucre mais adaptés à celle du thé.
Après une période d’étude approfondie de plus de deux ans, ENL a établi des contacts avec des agriculteurs kenyans, experts dans ce domaine, afin d’adopter les meilleures pratiques de culture du thé. La première phase du projet débutera par la plantation sur 450 arpents àValetta, avec pour objectif ultérieur de cultiver le thé sur 200 hectares (585 arpents). ENL aspire ainsi à devenir un acteur majeur dans le secteur dans les années à venir. Des équipements de pointe seront également importés pour la cueillette.
L’objectif du groupe est de récolter environ 2 400 tonnes de feuilles de thé par an. Initialement, ENL se concentrera principalement sur le marché local, mais envisage également d’explorer les opportunités d’exportation à l’avenir.
Dayamantee Sohur ne croit pas dans l’avenir du secteur du thé à Maurice.
Dayawantee Sohur craint la fin d’une tradition
Avec plus de 50 ans d’expérience dans la cueillette du thé, Dayawantee So- hur a consacré sa vie à cette activité qui est son gagne-pain. Pourtant, elle constate avec inquiétude que les jeunes générations ne partagent pas son enthousiasme pour travailler dans les champs.
«Autrefois, nous avions l’habitude de voir des jeunes arpenter les plantations de thé, mais aujourd’hui, ce sont principalement des sexagénaires que l’on croise entre les rangées de feuilles vertes.» Sa crainte est que la cueillette manuelle, une tradition mauricienne, ne disparaisse un jour au profit des machines.
Le changement climatique, selon Dayawantee, est l’un des principaux facteurs qui affectent la qualité et la quantité des feuilles. «Les feuilles que nous cueillons ne sont plus aussi abondantes qu’auparavant. Elles sont plus dures, ce qui les rend moins acceptables pour les usines de transformation.» Pendant deux mois récemment, des feuilles ont même dû être jetées, faute de répondre aux normes de qualité.
Dayawantee Sohur a hérité de cette passion de ses grands-parents et a démarré sa carrière dans la cueillette des précieuses feuilles. Cependant, ses enfants, déjà mariés, ne partagent pas son attachement au thé. «Pour eux, ce secteur n’a pas d’avenir.» Elle se demande également si les jeunes générations seront prêtes à relever le défi de travailler dans les plantations de thé.
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