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« Les IPP sont plus dangereux que CT Power »
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« Les IPP sont plus dangereux que CT Power »
Il n’est ni supporter de CT Power, ni actionnaire de l’industrie sucrière. En bon universitaire (il enseigne la gestion de l’énergie), Khalil Elahee met enperspective le projet de centrale à charbon. Quitte à créer une polémique sur la polémique.
Qu’est-ce qui vous a le plus surprise : la réélection haut-la-main d’Obama ou la mue de Somduth Dulthumun en énergéticien ?
Dans un cas comme dans l’autre, je m’y attendais. On ne me surprend pas facilement, I always expect
the unexpected.
Qu’est-ce qui pousse des religieux à devenir des lobbystes du mégawatt ?
Ces gens-là n’ont pas compris ce que nos enfants attendent de nous, ils ne comprennent rien au concept « Maurice, île durable » (MID), ce sont des ignorants, ils pensent à court terme et passent à côté des vrais enjeux. Je ne dis pas que les groupes socio-religieux n’ont pas leur mot à
dire sur les questions d’énergie, au contraire, j’ai besoin de M. Dulthumun. Ce qui me gêne, c’est cette incapacité à se projeter au-delà des intérêts immédiats, cette inaptitude à discerner l’essentiel de l’accessoire.
Pourquoi avez-vous besoin de M. Dulthumun ?
Parce que nous devons faire un meilleur usage de l’énergie. Parce que l’on confond besoin et envie. La question à se poser est : comment répondre à la demande énergétique ? La solution n’est pas juste technologique ou économique, une partie de la réponse est dans nos modes de vie. C’est là que les citoyens, les chefs religieux et les forces vives en general ont un rôle à jouer, pour inciter les Mauriciens à moins de gaspillage et de gourmandise, y compris en période de fête religieuse.
Diwali sans électricité, vous voulez fi nir en combustible à chaudière ?
(Rires) Je dis juste que nos debauches énergétiques extravagantes ont un coût à la fois économique et environnemental. Partager des gâteaux, c’est plus juste et plus propre. En plus, cela construit des ponts entre les communautés. M. Dulthumun, j’ai besoin de lui pour faire passer ce message, j’ai besoin de lui pour relayer la parole de Gandhi : « Il y a suffi samment de ressources pour répondre aux besoins de tous, mais pasassez pour satisfaire le désir de chacun ».
Sauf qu’en ce moment, Gandhi a moins la cote que CT Power…
Le Front commun hindou a eu le mérite de pointer du doigt les abus des IPP (Independént Power Producers, Ndlr). Les premiers contrats arrivent à échéance dans quatre ans, ce sera une occasion en or de remettre à plat notre politique énergétique.
Qu’est-ce qui est plus polluant : le projet CT Power ou les centrals des IPP ?
Les rejets atmosphériques des IPPsont beaucoup plus dangereux que ce que propose CT Power. Les IPP, c’est ce qu’il ne faut pas faire. Nous avons commis une erreur grave en signant ces contrats, car ils ont augmenté notre dépendance au charbon. A l’époque, on parlait de projets bagasse- charbon, en réalité, ce sont des projets charbon-bagasse. Même pendant la coupe, les IPP utilisent massivement le charbon. Pas étonnant quand on sait que la société Charbonnages de France était à l’époque un partenaire indirect des IPP.
Ils possèdent six centrales. Sontelles toutes « sales » ?
Non. Certaines produisent de l’électricité à partir de la bagasse, ce qui est une excellente chose. L’autre point positif, c’est la cogénération. Deux centrales valorisent la chaleur rejetée, leur effi cacité globale (électricité + chaleur) dépasse les 80 % (alors que le rendement électrique d’une centrale thermique est compris entre 30 net 40 %, NdlR). Le problème, c’est le recours abusif au charbon. La Centrale Thermique du Sud, qui ne roule qu’au charbon, est plus « toxique » que la proposition de CT Power.
Et vous, que proposez-vous ?
La fermeture au plus vite de la Centrale Thermique du Sud. Pour les cinq autres, on ferme aussi, mais dans le cadre d’un moratoire après l’échéance des contrats. Les clauses de ces contrats sont des camisoles qui rendent impossible le recours à des combustibles moins polluants. Donc, surtout, ne pas reconduire ces contrats.
Une fois que vous aurez brûléles contrats, vous ferez quoi des installations ?
On les garde, bien entendu. Les IPP feront ce que l’Italie est en train de faire, en passant du charbon au biogaz. La bagasse, les déchets, la biomasse et même le charbon en cogénération, il y a beaucoup d’options durables qui nous sont interdites à cause de ces fameuses clauses. La voie à suivre est simple : renégocier les contrats afi n de promouvoir les renouvelables.
Economiquement, les sucriers s’y retrouveront-ils ?
Ils devront peut-être apprendre à être moins gourmands… De toute façon, dire non à CT Power et renouveler en l’état les contrats des IPP serait parfaitement incohérent.
C’est aussi le propos des supporters de CT Power…
Je n’en fais pas partie. Cependant, ils ont raison d’appeler à plus d’équité, à plus de transparence sur les contrats signés entre le CEB et les IPP. Mais l’équité, ce n’est pas attributer une centrale thermique à chaque communauté. On ne va quand meme pas inventer le Best Loser System des centrales thermiques ! (Rires)
Le président de la fédération des temples tamouls, Menon Marday, affirme que le projet CT Power est sans risque. Cela voushérisse la barbe ?
Evidemment qu’il y a des risques. Mais si je conteste ce projet - commetout autre projet coal only - ce n’est passeulement pour ses effets sur la santé et l’environnement. Ces effets, bien que réels, peuvent toujours être atténués à un prix exorbitant. Si je m’oppose à CT Power, c’est parce que la
route du charbon est incompatible avec notre vision pour une île durable.
C’est pourtant la question de lapollution qui préoccupe la region d’Albion. Les promoteurs de CT Power assurent que « ces inquietudes sont infondées » en mettant en avant une « technologie
dernier cri ». C’est crédible ?
Non. La pulvérisation du charbonexiste depuis un siècle, cette techniquen’a rien de moderne. Les cendres is- contiennent des métaux lourds, on ne sait pas s’en débarrasser de façon propre. Il y a aussi les rejets de CO2 : la seule façon de les éliminer serait de capturer le dioxyde de carbone avant qu’il ne s’échappe dans l’atmosphère,et ça, aucune installation au monde ne le fait. Autre handicap, l’absence de cogénération, cela veut dire un gâchis énorme. Au mieux, le rendement électrique sera de 35 %, autrement dit, 65 % de l’énergie produite ne sera pas utilisée. CT Power, c’est clairement un autre siècle, pas celui de la modernité. Coal is clean est un mensonge. Le charbon propre n’existe pas.
Quand le ministre de l’Environnement annonce au Parlement que CT Power sera constraint d’investir dans des procédés antipollution, il manipule l’opinion ?
Non. Mais la pollution sera réduiteà la marge, de 10 % peut-être, grâce à des fi ltres pour retenir le souffre et les gaz polluants. Ce que le ministre ne dit pas, c’est que les coûts vont grimper. La centrale sera plus chère à construire et plus chère à faire tourner. En bout de chaîne, le prix de l’électricité sera plus élevé que prévu, c’est le piège.
Menon Marday prétend le contraire…
Il bluffe.
Il prétend que CT Power fera baisser de 40 % le prix de l’électricité…
C’est du bluff ! Oublions mon argument précédent, je peux démontrer d’une autre façon qu’il bluffe. CT Power projette d’installer 110 mégawatts (MW). Avec la première tranche de 55 MW, notre capacité électrique atteindra environ 550 MW. Première objection, comment 10 % de capacités additionnelles peuvent tirer autant les tarifs vers le bas ? Seconde objection, le prix du charbon, il faut le savoir, est lié au cours du pétrole, qui va forcément augmenter. Conclusion, dire que CT Power fera chuter le prix de l’électricité, c’est du bluff, et encore je suis gentil…
Des experts qui ne sont pas à lasolde des promoteurs expliquent qu’il vaut mieux tempérer la dangerosité du charbon que de croire que l’on pourra se passer de lui. Cela vous choque ?
Non. Si je vivais en Chine, en Inde ou aux Etats-Unis, je serais peut-être de cet avis. Mais je vis à Maurice, une île à vocation touristique. Nous ne produisons pas de charbon, en revanche, nous avons de la bagasse, du soleil, du vent et l’océan. Dans ce contexte, la fi lière coal only est la pire des options.
En attendant le décollage des renouvelables, peut-on faire l’économie des mégawatts de CT Power ?
Nous n’avons pas besoin de ces mégawatts. Ces deux dernières années, le CEB a installé 90 MW à Fort-Victoria et 30 MW arrivent bientôt à Saint-Louis. On est tranquille pour quelques années...
Il s’agit d’huile lourde, une autre énergie fossile…
C’est vrai, mais l’huile lourde est moins polluante et plus effi cace que le charbon. Je ne m’y oppose pas catégoriquement car, à terme, on peut la remplacer par du biodiesel. L’huile lourde est une ressource de transition acceptable. L’autre argument qui permet de démontrer que les mégawatts de CT Power sont superflus, c’est l’évolution de la demande. Notre consommation électrique a été surestimée. En 2007, quand le projet a été annoncé, les études tablaient sur une croissance annuelle de 5 %, alors qu’elle n’a été que de 2 %. En 2011, la hausse était même inférieure à 1%. Le ralentissement économique est passé par là. Des industries Lourdes ont freiné leur activité et le secteur tertiaire, lui, est moins énergivore.
Le spectre du black-out serait donc une mauvaise blague ?
C’est une invention. Un blackout lié à un problème technique peut toujours arriver. Mais une panne à la sud-africaine, en raisond’une production insuffi sante, c’est de la fiction.
A long terme, renoncer au charbon signifi e faire une croix sur une source d’énergie abondanteet bon marché. Est-ce bien raisonnable ?
Maurice peut parfaitement vivre sans charbon. Notre dépendance est d’ailleurs assez récente, elle remonte au milieu des années 1990 avec les IPP. Une ressource bon marché, c’est de moins en moins vrai, le prix du charbon a triplé en dix ans. Et puis, il faut se méfi er du « least cost ». En matière énergétique, tout le monde s’accorde à dire que le « least cost », pour Maurice, c’est le charbon. Mais cette obsession du « moindre coût » ne reconnaît que la valeur marchande et ignore superbement
les coûts sanitaires, environnementaux et sociaux. En plus, le charbon accroît notre vulnérabilitévis-à-vis de l’extérieur en nous mettant à la merci des cours du pétrole. Rien de tout cela n’est compatible
avec MID. Le « least cost », je dis non merci.
On l’enterre quand, la fi lière charbon ?
Les projections réalisées avec Joël de Rosnay tablaient sur 2030. Nous avons pris énormément de retard, 2040 serait plus réaliste.
Cela vous laisse du temps pourvous occuper des mandir. Après tout, le Front commun hindou vous pique bien votre job ?
Vous seriez surpris d’apprendre que je m’occupe déjà des mandir.
Vraiment ?
La Terre est un temple, une planètesacrée n’est-ce pas ? Que ce soit
à Albion ou ailleurs, j’emploie monénergie à respecter cette sacralité
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