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Afonsinho : Jouer à gauche sous la dictature
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Afonsinho : Jouer à gauche sous la dictature
« J’avais des principes et j’en ai payé le prix». Alors quele Brésil débat des lois d’amnistie sur la dictature (1964-1985), l’ancien joueur Afonsinho se souvient à quel point le futebol était instrumentalisé par la junte en place.
Dans quelques semaines, l’équipe nationale se lancera à la conquête de son sixième titre mondial, à domicile, dans un pays où le coût faramineux du tournoi a soulevé des critiques et où les relations entre le sport, les supporters et les politiques ont connu des remous ces dernières années.
Le Brésil avait remporté sa première Coupe du monde en 1958 et conservé sa couronne en 1962, deux ans avant le coup d’État militaire.
Pour Afonso Celso Garcia Reis, connu sous le nom d’Afonsinho, ancien milieu vedette du club carioca de Botafogo, le foot et la politique étaient difficiles à concilier pour un joueur comme lui aux idées gauchistes. Ses longs cheveux et sa longue barbe, déjà, le désignaient comme un dangereux anti-conformiste aux yeux du régime militaire.
S’il a remporté des titres nationaux, il n’a jamais été convoqué en sélection, en raison du lien entre la Confédération (CBF) et les autorités, selon lui. «J’avais des principes et j’en ai payé le prix. Ils m’ont étiqueté comme le meneur potentiel d’un mouvement subversif», raconte à l’AFP l’ancien joueur de 66 ans aux cheveux blancs.
Placardisé
Au plus fort de ces années de plomb, Afonsinho est entré dans la culture populaire en étant le sujet d’une ballade du célèbre chanteur Gilberto Gil, «Meio do campo» (milieu de terrain), et d’un documentaire d’Oswaldo Caldeira, «PasseLivre» (1974).
Le documentaire montre comment, des décennies avant l’arrêt Bosman révolutionnant le marché européen des transferts, il est devenu le premier joueur sous le régime militaire à négocier lui-même son transfert avant la fin de son contrat, en 1971. En raison de ses opinions, Botafogo l’avait placardisé et il avait gagné en justice le droit de changer de club.
Ce film sur «l’exploitation capitaliste du football, qui est si précieux pour notre population»,dresse le portrait d’un joueur«qui ne se battait pas que dans son propre intérêt, mais qui voulait aussi changer la société», explique à l’AFP Oswaldo Caldeira.«Le football était très important pour moi, souligne Afonsinho. Mais j’étais socialement engagé pendant toute cette période».
«Heureusement, j’avais une autre carrière dans laquelle me reconvertir», ajoute ce docteuren psychiatrie. Resté simple joueur de club, il n’a jamais atteint le statut d’un autre footballeur-médecin anticonformiste, le mythique Socrates,vedette de la Seleçao du Mondial-1982.
Instrumentalisation
L’écrivain Joao Maximo, auteur d’un livre sur l’histoire du stade Maracana, a relevé, dans un débat sur le futebol sous la dictature, que «l’influence du régime militaire était profonde dans le foot».
«Soutenir une équipe revenait pratiquement à soutenir le régime. Mais il y avait une telle passion pour le jeu que les gens reléguaient tout cela dans un coin de la tête».
Autre exemple d’immixtion, le sort de Joao Saldanha : le sélectionneur avait participé à la qualification du Brésil pour le Mondial-1970 mais, communiste notoire, il avait été limogé par le président de la CBF, Emilio Garrastazu Medici. Il fut remplacé par Mario Zagallo, qui allait remporter le tournoi.
«Le foot a aidé les militaires dans le sens où il a donné au peuple quelque chose à quoi se raccrocher», estime Afonsinho.
Des documents parus l’année dernière ont montré que le régime gardait un œil sur Pelé lui-même pour détecter d’éventuelles tendances de gauche.
«Même si je suis fier d’avoir été champion avec l’une des plus grandes équipes de l’histoire, je suis parfois mal à l’aise quand j’entends qu’on décrit la sélection de 1970 comme l’opium du peuple et qu’elle était utilisée par la dictature », a écrit l’ex-coéquipier de Pelé, Tostao, dans sa chronique pour le quotidien Folha de Sao Paulo.
«Mais tous les gouvernements du monde, les dictatures et les démocraties, comme le Brésil d’aujourd’hui, font la même chose»,ajoute Tostao.
Les stars de l’équipe ne s’étaient pas exprimées pour de bonnes raisons, affirme-t-il aussi. Il l’avait fait une fois, dans un magazine anti-régime. «Quelques jours après, quelqu’unm’a dit de faire attention à ce que je disais. Je ne savais pas si c’était un conseil ou une menace»...
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