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Sheila Bunwaree, présidente démissionnaire de Muvman Liberater : « Quand je serai au pouvoir… »

29 juin 2014, 20:46

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Sheila Bunwaree, présidente démissionnaire de Muvman Liberater : « Quand je serai au pouvoir… »
Deux semaines et puis s’en va. Vendredi, la sociologue Sheila Bunwaree a été expulsée du mouvement qu’elle venait de cofonder. On dirait bien qu’elle a quelques comptes à régler. Et quelques ambitions aussi.
 
Le Muvman Liberater vous a déjà « libérée ». C’était quoi cette histoire, une amourette de vacances ?
(Visage grave) Je n’appelle pas ça une amourette. Depuis des années, je voulais créer un parti politique. Ivan Collendavelloo est venu me voir à l’université. Il m’a dit qu’il me suivait depuis longtemps, nous avons longuement discuté et le Muvman Liberater est né (le 14 juin dernier, NdlR). Le but était de faire de la politique autrement, de replacer l’humain au centre des préoccupations, d’être à l’écoute du peuple, des jeunes, leur donner la parole, ne surtout pas leur imposer la pensée unique d’un leader.
 
Quand les choses ont-elles commencé à tourner au vinaigre ?
Dès le premier jour. Je me suis retrouvée au milieu de quatre hommes, tous âgés de plus de 60 ans. J’ai demandé à M. Collendavelloo d’ouvrir le core group à des jeunes ; il a refusé. Il m’a même dit « mo impe diktater mwa ». Ce jour-là, j’ai compris sa vraie nature.
 
Cet homme vous a fait du mal ?
(Silence réfléchi) Ivan Collendavelloo sonne faux, c’est un manipulateur. J’ai cru que c’était un homme de principes, c’est pour ça que j’ai mis ce parti debout avec lui, je me suis trompée. L’autre jour, un jeune homme a demandé la parole en réunion. Eh bien non, il a fallu qu’il lui coupe le sifflet, parler foot était plus important pour lui. C’est ça, la démocratie à la Collendavelloo…
 
Votre « comportement scandaleux », dit-il, commençait à lui taper sur le système…
(Sur un air détaché) Chacun est libre de ses opinions, next question.
 
Êtes-vous insupportable, Madame ?
(Ironique) Ah tiens, comme c’est bizarre…
 
Quoi donc ?
Figurez-vous que les gens me trouvent généralement « très supportable». Depuis deux semaines, je reçois des messages de félicitations et d’encouragement d’un peu partout.
 
Du genre ?
« Continuez, vous emmenez une bouffée d’air frais !», « Merci, vous sauvez le pays ! »
 
Rien que ça, êtes-vous un superhéros ?
Je suis trop humaine et trop humble pour me prendre pour ce que je ne suis pas.
 
Concrètement, pourquoi ça a clashé ?
Depuis le début, M. Collendavelloo cherche une alliance. Il ne l’a jamais dit ouvertement mais je l’ai compris. En fait, il reproduit ce qu’il a reproché à Paul Bérenger : préparer une alliance en catimini. J’ai essayé de l’en dissuader mais il n’a rien voulu savoir. Il est même allé dire publiquement que le Muvman Liberater pourrait donner un coup de main à Bérenger. Je l’ai pris comme une provocation, un manque de respect. Je ne supporte pas qu’on me marche sur les pieds. Alors jeudi soir, j’ai décidé de claquer la porte.
 
24 heures plus tard, vous étiez officiellement expulsée du parti pour « actes répétés d’indiscipline grave »
De quelle indiscipline parlent-ils ? Je n’ai rien à me reprocher.
 
Même pas un petit côté donneur de leçons ?
Je ne me vois pas comme une donneuse de leçons. J’apprends tous les jours, de tout le monde, de mes étudiants, des citoyens ordinaires, des travailleurs que je croise dans la rue. Cesser d’apprendre est le début de l’arrogance.
 
Qu’avez-vous appris d’Ivan Collendavelloo ?
Rien. Je ne lui connais aucune qualité. Il ne me manquera pas, je n’ai pas besoin d’un élève de Bérenger pour vivre.
 
On ne sait toujours pas clairement pourquoi vous l’avez planté…
À cause de la façon scandaleuse du parti de traiter la femme mauricienne.
 
La femme qui incarne le mieux l’île Maurice de 2014, pouvez-vous la décrire ?
Elle est humble, profondément digne. Elle respecte l’autre et se respecte. C’est une femme à l’intelligence fine, elle est capable de diriger le pays.
 
Pourquoi avoir quitté le confort des amphithéâtres pour ce bourbier politique ?
(Sourire) J’ai toujours été une scholar activist. Je me suis intéressée à la pauvreté, j’ai été sur le terrain, j’ai réfléchi, j’ai écrit. J’ai travaillé sur la démocratie mauricienne, je connais ses failles, la justice sociale en panne. Les politiciens sont obsédés par une chose : conserver leur maroquin, ils s’y accrochent de toutes leurs forces. Toutes ces raisons m’ont poussée à me lancer. Mais l’élément déterminant a été l’attitude de l’opposition. Pour moi, le MMM a trahi la Nation. Alors, j’ai pris les devants. J’ai quitté mon job de professeur et j’ai fait le grand saut. Il le fallait, la citoyenne que je suis étouffait. Notre pays se dit démocratique mais il respire l’autocratie.
 
Et maintenant ? Retour à la case université ?
Non, non ! Je vais de l’avant avec mon programme.
 
Votre programme ?
Celui que j’ai préparé pour le Muvman Liberater. Deux points phares : pas plus de deux mandats consécutifs – pour le Premier ministre, les ministres et le président de la République – et moins de ministères. Un petit pays comme Maurice n’a pas besoin de 24 Ministères.
 
Pas mal d’autres mesures sont teintées de démagogie…
C’est votre interprétation.
 
Vouloir réduire le salaire des députés pour faire des économies dérisoires, vous ne trouvez pas que ça sent le populisme ?
Dérisoire, c’est vous qui le dites. Cet argent permettra de construire des logements sociaux. C’est une nécessité absolue. La société mauricienne est devenue tellement arrogante et gaspilleuse. Nous baignons dans une surconsommation malsaine qui n’a rien de durable.
 
Avez-vous des modèles en politique ?
Le Bérenger de 1982 m’a inspiré. Jeune, j’étais une militante ardente. Aujourd’hui, quelle déception ! Cet homme a perdu toute crédibilité à mes yeux. À l’étranger, quelqu’un comme Hillary Clinton est une source d’inspiration. Ma référence ultime reste Nelson Mandela. Il a prouvé au monde qu’il était possible de construire une société plus équitable. Il a su faire respirer la démocratie.
 
Prochaine étape, créer votre propre parti ?
Vous verrez bien, vous êtes trop impatient (large sourire).
 
Vous n’osez pas dire que vous naviguez à vue ?
(Vexée) C’est tout le contraire ! Je sais exactement ce que je vais faire. (Sur le ton de la boutade) Je ne suis pas qu’une intellectuelle, vous savez. En bonne politicienne, je suis aussi une stratège…
 
Vous apprenez vite…
Non seulement j’apprends vite mais j’ai des convictions. Le pays a besoin de changements. Les peurs s’incrustent, les frustrations nous rongent, personne n’ose parler, je veux oser. Be the change that you want to see, c’est une conviction profonde.
 
Y a-t-il de la place pour des universitaires en politique ?
Il faut la faire, il faut la prendre ! Les vraies compétences du pays ne se trouvent pas dans la classe politique. Une des premières choses que je ferai une fois au pouvoir (sourire malicieux), c’est de m’assurer que les universitaires – et l’ensemble des fonctionnaires – puissent prendre un leave without pay pour s’engager en politique. S’ils ne sont pas élus, ils retrouveront leur poste.
 
Les universitaires savent-ils seulement parler au peuple ?
Parler au peuple n’est pas difficile : il suffit d’être humble et à l’écoute.
 
Vous dites : « Pour un jeune, se lancer en politique est quasiment impossible tant le système et vicié et verrouillé ». Ce n’est guère encourageant…
Les partis traditionnels, c’est la dynastie. Dans les rôles principaux, vous avez un vieux papa de 80 ans qui protège sa progéniture, un Ramgoolam qui ne veut pas céder… Ces hommes-là n’ont pas la décence de dire stop, maintenant il faut que je sorte. Les jeunes mauriciens ont du talent mais pas de connexions. Ils doivent s’imposer ! Qu’ils foncent, qu’ils forcent la serrure s’il le faut ! Je ne suis pas une anarchiste, mais personne ne leur ouvrira la porte, ils ne doivent compter que sur eux.
 
« Faire de la politique autrement » est votre gimmick. Les oubliettes de la République sont remplies de partis mort-nés qui voulaient faire de la politique autrement…
C’est vrai. Parce que des forces occultes rongent les nouveaux partis. Et parce que leurs dirigeants sont parfois prêts à vendre leur conscience.
 
Parvèz Dookhy et son « Ralliement citoyen », par exemple, vous avez des nouvelles ?
Non et c’est dommage, j’adore ce qu’il propose. C’est un jeune très capable, il ne faut pas qu’il lâche.
 
Dans vos gestes et dans vos mots, on dirait que vous partez au combat…
Je pars en croisade pour déverrouiller un système qui a l’art de tuer les bonnes énergies. Notre démocratie étouffe, je veux la faire respirer.
 
De quoi aurez-vous besoin en chemin ?
De courage. Beaucoup de courage.
 
Partir seule, est-ce bien prudent ?
Je ne suis pas seule, j’ai beaucoup de soutien. Vous verrez bien.
 
Voyons maintenant…
Non, je ne vais pas partager ça maintenant.
 
Et ça veut faire de la politique autrement, hein…
(Sèche) Je n’ai rien à cacher, donnez-moi juste un peu de temps. Si vous avez pu tolérer l’opacité de nos gouvernants toutes ces années, supporter mon silence quelques jours ne devrait pas vous poser trop de problèmes, non ? Reposez-moi la question dans une semaine.
 
Que vous ont appris ces deux semaines de dépucelage politique ?
J’ai découvert combien la politique pouvait être brouillonne, malhonnête, menteuse, dissimulatrice. On se cache, ce n’est jamais très clair. Ce qui m’a le plus surpris, c’est l’absence de conviction. Souvent, je me suis demandée si l’orateur que j’écoutais était lui-même convaincu par ce qu’il disait.
 
À quoi ressemblera l’île Maurice de 2020 ?
Ce sera une île plus stable, plus propre, plus à l’écoute. Une île qui donne envie aux Mauriciens de l’étranger de revenir bien vite. Une île qui a retrouvé de l’espoir. J’ai foi en l’avenir. Je suis sûre qu’il fera mieux vivre demain avec de nouvelles têtes et de nouvelles idées.
 
Quelle sera votre place dans l’île enchantée ?
Une place extrêmement importante (elle croise les bras et nous regarde fixement).
 
Mais encore…
Je serai au Parlement, c’est mon objectif pour 2015. Mais pas pour y faire de la figuration, pour apporter une transformation.
 
Votre parti, vous avez le nom ?
Je vous ai dit d’attendre une semaine, c’est trop ?
 
SES DATES
1956. Naissance à Rose-Hill.
1992. Doctorat de sociologie.
1993. Débute sa carrière d’enseignante-chercheuse.
1994. « Mauritius education in a global economy » (Ed. de l’océan Indien).
2004. Cofondatrice de l’Institute of Social Development and Peace.
2010. « Governance, gender, and politics in Mauritius » (Ed. Le Printemps).
2014. Cofondatrice et présidente du Muvman Liberater.