Publicité
Jean-Michel Giraud - Ancien président du Mauritius Turf Club (MTC): «Les mafias des courses n’ont jamais été aussi puissantes»
Par
Partager cet article
Jean-Michel Giraud - Ancien président du Mauritius Turf Club (MTC): «Les mafias des courses n’ont jamais été aussi puissantes»
Que peut-on attendre d’une commission d’enquête sur les courses ? Le bouillonnant Jean-Michel Giraud, qui a tenu les rênes du Turf Club pendant six ans, a sa petite idée là-dessus. Interview à bride abattue.
Comme vous rentrez de vacances et que vous semblez détendu, allons-y cash : êtes-vous le conseiller hippique du Premier ministre ?
Mais non !
Vous jouiez aux petits chevaux dans son bureau, l’autre jour ?
Écoutez, j’ai eu l’occasion de rencontrer des hommes politiques de différents bords pour les informer de ce qui ce passe au Champ-de-Mars. Y compris le Premier ministre.Une semaine avant l’annonce de la commission d’enquête, il a voulu connaître mon point de vue. Je suis allé le voir et je lui ai dit un certain nombre de choses. Le reste ne vous regarde pas.
Soyez tranquille, ça ne sortira pas du journal…
On a discuté pendant une bonne heure et demie. Et encore, si je ne m’étais pas levé, il m’aurait gardé plus longtemps ! (rire)
Et dire que les gens vous croient proche de Paul Bérenger…
Paul est un copain, oui, et alors ? Qu’est-ce que ça change ? Le Premier ministre a l’intelligence de ne pas s’arrêter à ce genre de considération.
Connaît-il bien le milieu des courses ?
En tout cas, pas autant que moi. Mais vu les questions qu’il m’a posées, je crois qu’il a compris pas mal de choses. Quelquefois, il m’a eu l’air surpris. Il a tiqué sur le fait qu’au Champ-de-Mars, les gens utilisent son nom à tort et à travers
Cette commission d’enquête, est-ce une idée à vous ?
Ce n’est pas mon idée et ce n’est pas une mauvaise idée.
Irez-vous déposer ?
Et comment ! J’ai beaucoup de choses à raconter.
Les députés parlent de la «mafia» du Champ-de-Mars. Ce mot est-il trop fort ?
(Direct) Absolument pas. D’ailleurs, il n’y en a pas qu’une : les courses sont dirigées par des mafias, au pluriel.
Comme vous y allez…
Je n’exagère pas. Quand l’épouse d’un jockey se retrouve avec le canon d’un pistolet sur la tempe et qu’on lui dit : «Si ton mari gagne cette course,tu meurs», il me semble que l’on peut parler de mafia. Le mari en question était le grandissime favori. Pour que sa femme reste en vie, il a tiré un pied de l’étrier après 300 mètres de course, puis l’autre à l’entrée de la ligne droite.
Ces mafias n’ont-elles pas toujours existé ?
Oui, mais elles n’ont jamais été aussi puissantes.
Comment en est-on arrivé là ?
Le Mauritius Turf Club (MTC) ne fait plus son boulot.
Sous l’ère Giraud, il y avait aussi des intouchables…
Certainement pas ! Je peux vous dire qu’avec moi, ceux qui se croyaient intouchables ont été touchés (il se frappe le torse). Tenez, je vais vous raconter une histoire. Un matin en allant au Champ-de-Mars, j’apprends que mon Chief Stipe, un Australien, a été vu à la table de deux jockeys. Je le fais appeler immédiatement pour vérifier. «Non, mais vous comprenez, c’est parce que…» Il n’y a pas de «vous comprenez», soit c’est oui, soit c’est non. C’était oui. (Il monte dans les décibels) Je lui ai donné cinq minutes pour décider : «Soit vous me donnez votre démission, soit je vous mets dehors.» Il m’a demandé l’autorisation d’appeler sa femme, ils se sont parlé deux minutes, il a raccroché et m’a donné sa démission. C’est ça, l’autorité. (Il ne tient plus en place)
Vous ne voulez pas vous calmer un peu ?
Vous voulez que je vous dise ? J’ai honte ! Voilà, j’ai honte. Honte de voir ce qu’est devenue l’institution que j’ai présidée pendant six ans. Des scandales, j’en ai connu aussi mais des sanctions étaient prises. Là, non seulement il y a un scandale par semaine mais les coupables ne sont jamais inquiétés ! Si rien ne bouge dans les prochains jours au niveau du board, la dissolution du club s’imposera d’elle-même.
La dissolution, vous blaguez ?
Allez demander à certains membres si je blague. Le club est au bord de l’implosion.
Vous parliez des mafias du Champ-de-Mars tout à l’heure. Les parrains, les connaissez-vous ?
(Long silence) Ils sont deux ou trois, ils sortent armés, ils ont des relais au MTC. Je n’irai pas plus loin.
Ce serait risqué ?
C’est ce que me dit ma femme : «Pense au fait que tu as une femme et des enfants.» Oui… Oui… j’y pense. J’ai déjà reçu des menaces de mort au téléphone, plusieurs fois. Une fois, j’ai appelé Bérenger, il m’a dit : «Pars de chez toi tout de suite, ces gens-là sont dangereux». Moi, partir de chez moi ? Jamais ! Je n’ai pas peur, ils ne me feront pas taire. Si j’avais peur, je ne vous aurais pas donné cette interview.
Et les mafieux, pensez-vous qu’une commission d’enquête leur fait peur ?
Je pense qu’ils continuent de bien rigoler et j’espère qu’ils riront moins bientôt. Je refuse la fatalité. Je refuse de me dire que c’est impossible de mettre de l’ordre au Champ-de-Mars. De bonnes volontés ne stopperont pas complètement les paris illégaux, elles ne mettront pas les mafias K.O. du jour au lendemain, mais des têtes tomberont.
Vous parieriez combien là-dessus ?
Pour l’instant, rien. J’attends de connaître les membres de la commission d’enquête. Si ce sont des gens compétents, des vérités sortiront. Ce qui est difficile, c’est de trouver des personnes qui connaissent bien les courses mais qui n’ont aucun lien avec ce milieu à Maurice. La proposition du Premier ministre de faire appel à des étrangers est une bonne idée. Si le président est lui-même un étranger, c’est encore mieux. Les Anglais, les Hongkongais et les Français peuvent nous aider. Ils sont très forts dans la régulation des courses hippiques.
Vous enquêteriez où en priorité, vous ?
Les paris illégaux, les prête-noms des propriétaires de chevaux, le financement des écuries, le fonctionnement de la Police des jeux et de la Gambling Regulatory Authority. Si on cherche bien dans ces quatre directions, on va découvrir des choses intéressantes. D’ailleurs, si vous lisez les terms of reference de la commission d’enquête, ces quatre points y sont. (En aparté) J’ai quand même parlé une heure et demie avec le boss.
Combien gagne un jockey ?
Autour de Rs 450 000 par mois au minimum. Ça, ce sont les chiffres officiels. Certains se font plus d’un million. Pourquoi croyez-vous qu’ils se battent pour venir monter à Maurice ?
Les paris illégaux sont-ils le nerf de la guerre ?
Complètement. On estime que Rs 160 millions sont jouées illégalement chaque samedi. Si vous multipliez ça par quarante journées de courses, ça vous fait Rs 6,4 milliards qui, chaque année, sortent du circuit officiel – soit Rs 640 millions qui échappent aux caisses de l’État.En 2003, je me suis battu pour avoir une Police des jeux et un serveur central reliant les bookmakers à la GRA. Or, quand l’État accorde une licence à un gros opérateur et lui donne six mois pour se connecter au serveur, j’aimerais qu’on m’explique pourquoi ça prend deux ans.
Il faut vraiment qu’on vous explique ? Vous êtes décevant, là…
(Il lève les bras au ciel) Évidemment que j’ai la réponse ! Aujourd’hui encore, des bookmakers dits «légaux» ont une comptabilité parallèle, ils ne déclarent qu’une partie des mises. D’ailleurs, je vais vous dire, aucun gros parieur ne mise dans le circuit officiel. C’est connu mais tout le monde ferme les yeux ! (il tape du poing sur la table) Le système des prête-noms, c’est l’omerta aussi. En 2013, quand j’étais encore au conseil d’administration du MTC, des noms ont circulé. Je leur ai dit : «Vous savez et vous restez tranquille ?» Ils m’ont répondu qu’ils n’avaient pas de preuves…
Sur 400 chevaux, combien courent sous des prête-noms d’après vous ?
J’espère que c’est moins de la moitié.
À qui appartiennent ces chevaux ?
Parfois, à de gros bookmakers qui placent leurs chevaux dans plusieurs écuries. (Sur le ton de la confidence) Pour être entraîneur ou nominator, il vous faut des chevaux. Or, certains n’ont pas les moyens d’en avoir, ils n’ont pas de propriétaire derrière eux. Donc, ils acceptent les chevaux des opérateurs de paris, évidemment sous des prête-noms. En échange, ces opérateurs reçoivent des informations sur la forme du cheval, sur la façon dont il va courir, etc. Il arrive même que le jockey ne soit pas payé par l’écurie mais directement par la société de paris. Autre cas : un très gros parieur achète des chevaux qu’il confie à une écurie. En retour, l’entraîneur donne des informations au gars. Après, il y a des choses que je ne peux pas dire…
Pourquoi ?
Parce que votre affaire (le dictaphone, NdlR) est allumée.
Si mon «affaire» était éteinte, m’auriez-vous parlé de Ian Paterson ? (le controversé Chairman des Stipes, NdlR)
Ou bien des journalistes qui sont payés par des opérateurs de paris pour tenir un certain discours. Ça aussi, j’aimerais que la commission d’enquête s’y intéresse. Sur Paterson, la commission trouvera ce qu’il y a à trouver. Oubliez l’épisode de ces jours-ci. Rien que l’année dernière, à deux reprises, il a été établi que M. Paterson était à la même table que des jockeys. Le board de la MTC n’a pas jugé bon de le suspendre, c’est juste incroyable ! Et maintenant, il y a cette histoire de dîner à Grand-Baie. J’ai vu la vidéo, sa table est toute proche de celle des jockeys et sa fille est assise avec eux ! Et vous voulez que je gobe que c’est une coïncidence ? Eou la ! (Le MTC a indiqué dans un communiqué que «Ian Paterson était à un dîner familial et alors qu’il avait déjà passé sa commande, trois jockeys ont débarqué» et ont pris place «à une table non loin de la sienne», NdlR).
Sinon, ces vacances ?
Ah, bien relax ! (grand sourire) J’ai été chassé le gnou, l’oryx et le zèbre en Afrique du Sud.
Du gros gibier…
Oui, mais du gibier moins dangereux que les mafieux du Champ-de-Mars. Ceux-là, pour les chasser, il va falloir être très rusé.
Publicité
Les plus récents