Publicité
Vedna Essoo, entrepreneur «Maurice perd du terrain dans le domaine des TIC»
Par
Partager cet article
Vedna Essoo, entrepreneur «Maurice perd du terrain dans le domaine des TIC»
À la veille des élections générales, quelle est votre évaluation de la situation dans laquelle le pays se trouve ?
Le pays se porte relativement bien, mais il y a tout de même des menaces. On ne vit pas en isolation. Le tourisme, par exemple, s’essouffle. Il y a parfois de bonnes nouvelles, mais on aurait pu se porter mieux par rapport à d’autres pays qui sont plus performants que nous. Maurice perd du terrain face à ses compétiteurs.
Faites-vous référence au secteur du tourisme uniquement ?
Celui des Technologies de l’information et de la communication (TIC) aussi. On avait placé beaucoup d’espoir dans ce secteur, mais il n’a jamais vraiment décollé. On parle de plusieurs hubs, mais on ne voit pas grand-chose, surtout par rapport à leur contribution au Produit intérieur brut (PIB). Ils ne rapportent pas suffisamment au pays pour combler ce que la canne à sucre ou la zone franche ramenaient en termes de revenus.
Les TIC sont tout de même devenues le troisième secteur le plus important, devançant le sucre et le textile…
Lors des trois dernières années, la contribution des TIC au PIB a stagné. Il n’y a pas eu de progrès extraordinaire comme au Maroc, où il y a eu une poussée massive dans la contribution de ce secteur au PIB. Le potentiel n’a pas encore été correctement exploité.
Le Forum économique mondial a identifié les ressources naturelles et humaines comme des obstacles à surmonter pour le développement des TIC à Maurice...
Notre ressource, c’est le manpower. C’est justement le problème. Les entreprises n’arrivent pas à trouver les ressources. Au final, elles déclinent des projets ou se tournent vers la main-d’œuvre importée, ce qui nuit à notre compétitivité, puisque les coûts augmentent. On ne peut pas rivaliser avec des compétiteurs comme l’Inde ou les Philippines qui ont une masse de techniciens formés beaucoup plus large.
C’est au niveau de la formation des futurs professionnels du secteur qu’il y a un problème ?
C’est à différents niveaux. La formation de base n’est pas adaptée à ce que demande l’industrie. Quand le jeune quitte l’université, il n’y a pas de possibilité de plug and play. Les firmes doivent investir dans une formation qui est davantage adaptée à ses besoins. Ensuite, même pour ceux qui sont déjà dans le métier, il faut offrir des formations supplémentaires pour aller plus haut et apporter de la valeur ajoutée.
Quand on se lance dans un nouveau secteur, on importe d’abord la main-d’œuvre en attendant que la population locale offre un nombre adéquat de professionnels qualifiés. À quel moment a-t-on dévié de ce plan ?
L’objectif de l’ICT Academy était de combler ce vide. Les grosses entreprises ont les moyens d’investir dans la formation. Mais pour les autres, c’est compliqué. Elles ont besoin de mettre en place un curriculum et de faire venir des formateurs. Au final, ce sont les employés existants qui se chargent de la formation sans pour autant être qualifiés pour cela. L’ICT Academy allait faire venir des formateurs de calibre et s’associer aux institutions internationales qui auraient ramené leurs formateurs. On aurait optimisé les ressources au niveau national.
Si l’ICT Academy avait fonctionné comme il faut, le problème aurait-il été résolu ?
L’ICT Academy allait bénéficier de l’apport du secteur privé. Ce qui veut dire que l’input allait venir du secteur qui avait besoin de ce genre de ressources. C’était une formation sur mesure par rapport à ce que voulait le secteur privé.
Au-delà du secteur des TIC, cela fait des années qu’on parle d’inadéquation entre la formation et le monde du travail. Les institutions concernées ne tardent-elles pas trop à prendre des décisions ?
Il ne suffit pas d’une école de formation spécialisée. En amont, les universités doivent faire l’effort d’aligner leur curriculum sur ce que demande l’industrie. J’imagine que dans les autres secteurs, c’est le même problème qui empêche un véritable essor. Prenez un hub : cela requiert de l’expertise. C’est pour cela que c’est un hub et non une simple accumulation de compétences. Mais on ne trouve pas l’expertise. Finalement, on revient au problème de base que sont les ressources humaines.
Ce n’est donc pas la peine d’annoncer la création de nouveaux secteurs clés si on n’a pas d’abord résolu le problème des ressources humaines ?
On prend souvent Singapour pour modèle. Comme nous, ils sont pauvres en ressources naturelles. Ce qui fait la différence, c’est l’intellect et la connaissance. C’est ce qui permet à une économie de faire un bond significatif en avant. Pas la peine de tenter de réinventer le monde : les économies qui progressent le font grâce à l’investissement dans des ressources humaines de qualité.
On a pas mal glosé sur le problème et posé plusieurs diagnostics. À qui la faute si on tarde à mettre tout cela en pratique ?
On est dans une économie capitaliste. Le gouvernement travaille avec les entreprises. Si le secteur privé a besoin de progresser, il fera ce qu’il faut pour y arriver. Mais tous ne sont pas égaux dans le privé. Les petits n’ont pas les moyens. C’est pour combler cette disparité que le gouvernement doit intervenir pour aider les petites entreprises, mais aussi les grosses, par extension. Quand il y a un mismatch, le secteur privé ne peut s’immiscer dans l’éducation pour résoudre le problème. Ce genre de problème reste dans la sphère d’infl uence du gouvernement.
On critique beaucoup la qualité de la bande passante et le coût de la connectivité pour le secteur des TIC. Est-ce aussi grave que les carences en ressources humaines ?
Cela va de soi. C’est l’outil qui aidera l’industrie à progresser. Si ceux qui opèrent dans l’outsourcing ou les centres d’appels doivent payer cher pour une bande passante qui n’est pas de niveau international, la compétitivité en souffrira.
L’explication derrière cet aspect du problème est-elle la même que pour les ressources humaines ?
Qui va investir dans la bande passante ? Ce n’est pas le secteur privé. Ça doit être le gouvernement. C’est une infrastructure nationale.
En même temps, les projets d’installation d’antennes WiFi gratuites pullulent. N’est-on pas en train d’investir dans le vernis plutôt que dans la source du problème ?
Si vous êtes un entrepreneur, vous mettez toutes les chances de votre côté. Vous ne ferez pas les choses à moitié, parce que votre entreprise n’aura pas ce qu’il faut pour convaincre les clients. La même logique devrait être appliquée à n’importe quel projet. Si le problème de bandwidth n’est pas réglé dans son intégralité, mettre des petits add-ons qui ne résolvent pas le problème principal ne va pas donner le boost qu’il faut au secteur.
Le bloc Parti travailliste-Mouvement militant mauricien compte sur la création d’une «software development industry» pour devenir un pays à revenu élevé. C’est réaliste ?
On a beaucoup d’informaticiens spécialisés dans la création de programmes. La software industry existe déjà dans le monde de l’outsourcing qui n’est pas qu’une affaire de centres d’appels. Cela implique aussi les applications ou la création et la maintenance de programmes. Des entreprises étrangères passent des commandes aux entreprises locales pour créer des tailor-made softwares.
Cette ambition de faire de Maurice un pays à revenu élevé ne risque-telle pas de creuser davantage l’écart entre les plus riches et les plus pauvres ?
Il ne faut pas uniquement tenter de tirer ceux qui sont au sommet de la pyramide encore plus haut. Il faut aussi se concentrer sur ceux qui sont tout en bas, ceux qui sont au chômage. Encore une fois, c’est l’éducation qu’il faut changer. Tout le système éducatif est vicié et n’arrive pas à produire les effets voulus. Le pays à revenu élevé devient un slogan creux. On fait quoi des drop-out ? Il y a la filière préprofessionnelle, mais aide-t-elle les jeunes à découvrir leurs talents ? Il faut avoir le courage politique de consolider la base avant de vouloir aller plus haut.
Les principaux blocs s’accordent à dire qu’il faut se débarrasser du CPE…
C’est facile de trouver des slogans avec l’aide de maîtres communicateurs. Ce sera intéressant de voir l’action qui suivra.
Vous voyez quel autre secteur à potentiel à l’avenir ?
On peut créer n’importe quel secteur si on le veut ! Mais il faut ensuite avoir les moyens de mettre ses idées en oeuvre. On ne fait que parler de hubs dans tous les discours, mais le reste de la population n’arrive pas à s’identifier à ce genre d’abstraction. Cela crée de la frustration chez ceux qui se sentent exclus du cycle.
Publicité
Les plus récents