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Aurore Perraud, députée du PMSD «Je rêve d’une nation où on arrête de penser en termes de race et de caste»

5 octobre 2014, 13:55

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Aurore Perraud, députée du PMSD «Je rêve d’une nation où on arrête de penser en  termes de race et de caste»

 

Ancienne «Parliamentary Private Secretary» (PPS) du Parti mauricien social-démocrate (PMSD), Aurore Perraud s’exprime sur son avenir et ses ambitions. Sur ces cocktails qui bloquent l’émergence d’une vraie nation arc-en-ciel. Elle s’en prend aux mesquins et aux racistes.

 

D’enseignante à PPS, vous en avez fait du chemin… Aviez vous rêvé d’un tel parcours ?

Je n’ai jamais rêvé de faire de la politique active. Ce n’était nullement dans mes projets. Je travaillais, j’accompagnais des enfants vivant dans des milieux difficiles, issus pour la plupart de familles à problèmes. J’étais bien malgré moi témoin de la pauvreté  dans laquelle ils vivaient.

 

Cette carrière m’est tombée dessus un peu par hasard. J’ai fait mes premiers pas dans la politique active à la veille des élections législatives de 2010. J’y suis entrée avec des rêves plein la tête. J’aspirais à changer notre pays, oeuvrer pour une meilleure société. Une île Maurice avec plus de justice, de méritocratie et moins de pauvreté.

 

N’est-ce pas votre époux qui devait être candidat à votre place ? Comment vit-il la carrière de son épouse ?

C’est vrai. Gino était bien plus intéressé par la politique. Toute sa famille est impliquée au sein du PMSD. Moi j’étais bien loin de tout cela. Disons qu’il vit désormais la politique à travers moi. Il faut dire que nous sommes inséparables. Il est d’un soutien indéfectible. C’est très important pour moi qu’il soit à mes côtés. Il m’encourage toujours à écouter mon coeur et à être moi-même.

 

Il faut admettre qu’une jeune femme, c’était plus vendeur pour la circonscription n° 4

Quand la proposition m’a été faite, je me suis assurée que j’aurais le soutien de mon mari. Cela allait impliquer beaucoup de choses pour notre vie de famille. Nous avions alors deux enfants en bas âge. La décision a été bien réfléchie. Bien sûr, je me suis posée cette question. On m’a choisie pour la personne que je suis : ma personnalité, mon engagement, ma proximité avec les gens de la circonscription. Ainsi que pour les valeurs que je représente. Je ne nie pas que je suis consciente qu’à ce moment-là, les partis voulaient davantage de femmes engagées en politique.

 

Ou est-ce parce que vous avez la réputation d’être une grande gueule qu’on vous a choisie ?

Vous voulez dire franche et sincère ? Je ne suis pas une grande gueule. C’est juste que je ne suis pas hypocrite. Kan mo ena kiksoz pou dir, mo dir li peu importe ki dimounn li ete. Je déteste l’attitude de ces personnes qui tiennent des propos à autrui rien que pour leur faire plaisir. La vérité sert à faire avancer des causes. Avoir été responsable du département de catéchèse et des valeurs humaines au collège pendant plus de dix ans a fait de moi ce que je suis. J’ai été repérée dans une commission de l’éducation peu après que j’ai intégré le PMSD. J’avais fait des discours dessus et j’avais même écrit des rapports à ce sujet. Avec la lutte contre la pauvreté comme cheval de bataille.

 

Pour certains, faire de la politique, c’est aider sa famille à s’enrichir. Pour d’autres, c’est pour aider son prochain. Qu’avez-vous vu dans cette marmite ?

Un peu des deux. Certains y sont entrés avec des valeurs. Dans le but de servir le pays. D’autres, c’est pour se servir. Dans la politique, si l’on ne s’accroche pas à ses principes, on se perd. Dans mon cas, je peux dire que j’étais mieux lotie quand je n’étais qu’une simple enseignante…

 

En 2005, Richard Duval avait promis de verser une partie de son salaire de député aux pauvres. Vous en avez consacré combien, vous ?

Kan monn fini tou depans lakaz, kas ki sipose fer lekonomi al dan ed dimoun… Quand une personne dans le besoin vient frapper à ma porte, je ne peux pas ne pas lui venir en aide. Il faut aider untel pour aller en cours, financer des funérailles, payer des factures d’électricité, une visite chez le médecin et parrainer les différentes activités au sein de la circonscription…

 

Qu’avez-vous fait pour les squatters de cité La Cure, expulsés par «votre» gouvernement et qui ont été forcés à dormir à même l’asphalte ?

Je dois vous confier qu’au départ, j’ai eu des consignes pour ne pas m’occuper de ce cas-là, les squatters étant en situation illégale. Par la suite, je me suis dit que je ne peux pas fuir devant mes responsabilités et que ce problème ne se résoudra pas de lui-même. En tant que députée de l’endroit, je me suis fait un devoir d’établir pourquoi ces gens ont été forcés à occuper des terres de l’État illégalement. Et pourquoi la NHDC ne construit pas de maisons pour eux et s’ils ont les moyens de se les offrir.

 

J’ai soulevé ces questions avec mes deux colistières. Je n’ai pas eu le soutien souhaité. Je me suis alors tournée vers Xavier Duval. Il a promptement réagi. Ensemble, nous avons gravi la montagne pour rencontrer les squatters, pour les écouter.

 

Xavier a alors convoqué une réunion au ministère des Finances avec les députées du no 4 et le ministre des Terres Abu Kasenally. Il avait été décidé de les reloger à La Tour Koenig.

 

Nous avons toutefois quitté le gouvernement en juin et j’apprends que ce projet a été mis au frigo. Est-ce parce que l’initiative d’aider ces pauvres revient à Xavier et moi ? C’est mesquin. C’est inhumain. Ce n’est pas une manière de faire de la politique.

 

Il faut absolument arrêter avec le noubanisme. J’ai écrit au National Economic and Social Council pour qu’une étude soit conduite sur les conditions de vie des Rodriguais à  Maurice. Malheureusement, il semblerait que ce ne soit pas une priorité.

 

Si aujourd’hui les squatters de Camp Marjolin ont accès à l’eau potable, c’est grâce à Xavier. Nous avons transformé Karo Kalyptis. La liste est longue…

 

Vous évoquiez vos colistières. Cela n’a jamais été le grand amour entre Mireille Martin et Kalyanee Juggoo. Dites-nous en plus…

Ce n’est pas parce que je suis dans l’opposition que je vais vider mon sac. Je n’ai pas grand-chose à dire. Est-ce parce que trois femmes se trouvent dans une même  circonscription que vous vous intéressez à ce qui les sépare ? C’est la même chose ailleurs. Entre Josique Radegonde et Alan Ganoo. Entre Vasant Bunwaree et Yatin Varma. Ou entre Pratibha Bholah et Deva Virahsawmy.

 

Que vous inspirent ces dynasties politiques ? Doit-on s’attendre à un Perraud en campagne d’ici 20 ans ? 

C’est tout le malheur que vous pouvez me souhaiter. Je vous vois venir avec une question sur Adrien Duval. Mais pourquoi on ne parle pas de dynastie dans ces familles où ils sont avocats ou médecins de père en fils…

 

Êtes-vous en train de vous inspirer de l’interview de Reza Uteem dans le journal officiel du Parti travailliste ?

Je ne lis pas ce journal. C’est vrai que si un enfant veut absolument faire de la politique parce qu’il a des convictions, qu’il veut sauver le pays et qu’il en est capable, pourquoi l’en empêcher ?

 

Prête à dire «oui patron» à Adrien Duval alors ?

Mo pa dir personn wi patron mwa. Je crois en Adrien. En ses compétences et les valeurs qu’il incarne. Et non pas en tant que fils de Xavier. J’aurais été la première à le dénoncer s’il avait été un privilégié. Au contraire, il est un garçon de valeur. Il a beaucoup à  apporter au parti, tout comme au pays. 

 

Pourquoi pas une femme à la tête du PMSD ? Une «Queen Creole» ?

Qui sait ? Il faudrait qu’un jour on donne aux femmes la chance d’être Premier ministre, leader de parti. Mais pourquoi un King Creole ? Ou une Queen Creole ? Elle peut être une Mauricienne issue de n’importe quelle communauté. Une femme compétente et pétrie de valeurs et de convictions profondes. Qu’elle soit avant tout une femme rassembleur…

Ramgoolam n’est-il pas censé être un rassembleur ?

S’il avait été un vrai rassembleur, le pays n’aurait pas été aussi divisé. Peut-être voulait-il être un rassembleur. Mais a-t-il réussi ? Nous vivons dans une société compartimentée. Fragmentée.

Les jeunes aspirent à sortir de ces ghettos communautaristes. Seriez-vous partante pour être candidate au n° 5 ? Pour changer les mentalités ? Contrer le racisme ?

L’idéal serait que nous ne tenions pas en ligne de compte la communauté et les castes des candidats lors de l’attribution des investitures. Mais je ne sais pas si le pays est prêt…

 

Dev Virahsawmy l’a bien fait en 1982…

Est-ce que depuis 1982, nous avons bougé en avant ou en arrière? Un grand parti vient de mettre le candidat Reza Uteem comme futur n° 3 de son gouvernement… Qu’est-il en train de faire ?

 

L’Alliance Lepep n’a pas fait mieux en promettant un président musulman, non ?

Il y a certaines réalités… Personnellement, je suis pour une société où la compétence prime.

 

Aujourd’hui, chaque leader crache sur celui qui a été son allié. Faire de la politique se résume-t-il à salir autrui ?Où sont les débats d’idées ?

Exactement ! Il faut un débat autour des programmes… C’est pourquoi le PMSD se concentre sur le sien.

 

L’idée d’un salaire minimal n’est tombée que quand votre leader n’a plus été ministre des Finances…Vous nous faites un faux procès. L’idée avait été présentée au conseil des ministres. Mais qui décide en fin de compte ? Xavier ne dispose pas des mêmes pouvoirs que le Premier ministre. À qui la faute donc ?

Selon vous, quelle est la composante de la nation la plus éduquée de l’île ?

Je ne vois pas l’utilité de répondre à une telle question.

N’est-ce pas jouer le jeu des racistes en disant qu’il y a davantage d’hindous dans la fonction publique ? Qu’avez-vous personnellement fait pour contrer ce que vous dénoncez ?

Je voudrais avant tout souligner que je n’ai jamais dit qu’il y a trop d’hindous dans la fonction publique. Allons mettre les points sur les i. C’est on record : j’ai dit qu’il y a un manque de transparence dans le recrutement. Que certaines personnes habitant telle circonscription ou affiliées à tel parti sont favorisées. Quelles circonscriptions ? Quels partis ? Dans certaines circonscriptions d’où sont issus des ministres… Le président de l’Equal

Opportunities Commission est venu me soutenir dans ce que je disais dans son rapport. Je n’ai jamais fait de démagogie. J’ai fait ces déclarations alors que je faisais partie du gouvernement. Pourquoi dire que je suis raciste quand moi, je mets ce système à l’index ? J’ai été à une durga pooja jeudi et une femme me disait qu’il fallait être proche d’un politicien pour obtenir un travail…

 

Combien d’emplois avez-vous permis à vos mandants d’obtenir ?

Je n’ai fait que les empower. En les aidant à rédiger leur CV. Ou à obtenir leur certificat de moralité.

 

Vous êtes-vous fixé une limite en politique ?

Je ne me suis fixé aucune limite. Mon rêve, c’est de voir l’émergence d’une vraie nation arc-en-ciel où prime la méritocratie, où on arrête de penser en termes de race, de caste ou de parti. Je voudrais voir des gens sincères en politique. Et non pas des êtres égocentriques qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels avant ceux du pays. Ce sont des politiciens dignes qui rendront leur dignité à la nation.

 

Qui est le plus digne entre Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et sir Anerood Jugnauth ?

Je ne peux pas faire un jugement de valeur. Qui suis-je pour le dire ? C’est au peuple de juger.