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Rama Sithanen : «Ma famille a beaucoup souffert»

9 novembre 2014, 13:56

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Rama Sithanen : «Ma famille a beaucoup souffert»

Banni en 2010, il avait juré que la politique ne l’intéressait plus. Pressenti aujourd’hui pour retrouver son fauteuil de ministre des Finances, Rama Sithanen «pardonne mais n’oublie pas». Il explique les raisons de son retour et brosse les grandes lignes de son projet. (Entretien réalisé avant la présentation de la liste des candidats de l’alliance PTr-MMM)

 

 

Vous faites la grève de la cravate ?

(Jovial) Exactement ! J’ai rangé mes cravates pour la campagne, je m’habille cool.

 

C’est votre truc le porte-à-porte ?

Ah, j’aime bien ! On est dans le contact humain, c’est un moment privilégié pour rencontrer les électeurs et comprendre leurs problèmes.

 

Pensez-vous qu’ils vous comprennent, eux ?

C’est-à-dire ?

 

Savent-ils que le pouvoir est une drogue ?

Ce n’est pas ce qui a motivé mon retour. J’ai été ministre des Finances pendant dix ans, si le pouvoir est une drogue, j’ai eu ma dose.

 

L’esprit de revanche, alors ?

Non plus. Je n’ai aucune revanche à prendre. J’ai décidé de revenir parce que les circonstances ont changé. Cette alliance, je la souhaitais depuis longtemps, peut-être même un peu trop…

 

C’est ce qui vous a coûté votre place en 2010 ?

En partie, oui. Mo ti tro fight pou sa lalians la. Ce n’était pas le bon timing, j’avais quatre ans d’avance! (sourire)

 

Avez-vous dit «oui» tout de suite à votre ancien «bourreau» ?

Non. J’ai longuement réfléchi et beaucoup hésité.

 

Le Premier ministre vous a-t-il dit clairement pourquoi il s’est débarrassé de vous en 2010 ?

J’avais déjà une partie de la réponse. Mais oui, nous avons eu une explication… qui restera entre lui et moi.

 

«J’ai beaucoup hésité», dites-vous. Qu’est-ce qui a fait pencher la balance ?

Un grand économiste, Keynes, a dit un jour : «When the facts change, I change my mind.» La démarche de Navin Ramgoolam et Paul Bérenger m’a convaincu. Ces deux hommes ont décidé de mettre leurs différences de côté pour rassembler la Nation. Pour une fois, nous n’aurons pas une moitié du pays au pouvoir et l’autre dans l’opposition, cela a beaucoup joué.

 

Votre arrestation, les menottes, vous avez oublié ?

Ces choses-là ne s’oublient pas. À défaut d’oublier, j’ai pardonné. Aster pa pou get divan deryer, bizin lager pou gayn eleksyon. Je suis un battant, j’aime l’adrénaline électorale.

 

Comment avez-vous atterri dans la circonscription n°13 ?

J’ai eu le choix entre le n°13 et le n° 20. J’ai opté pour la circonscription la plus «proche» du n°18. Un seul petit regret : j’aurais aimé «poser» avec mon bon ami Rajesh Bhagwan.

 

Quelles têtes font les habitants quand vous leur parlez de FDI et de «global value chain» ?

Non… Dans la circonscription, je ne suis pas ministre des Finances, on parle des bread-and-butter issues : l’emploi, les drains, les équipements sportifs, les loisirs…

 

L’expert est descendu de sa tour d’ivoire ?

Ce n’est pas vrai, j’ai toujours été quelqu’un d’accessible. Je reconnais que je n’ai pas toujours su bien communiquer autour de mes actions mais je m’améliore. Je deviens plus pédagogue.

 

Le néopédagogue propose quoi aux habitants de la circonscription n°13 ?

Un «contrat» en cinq points. D’abord, on va créer des emplois, entre 60 000 et 75 000 à l’échelle nationale, sur cinq ans... (on coupe).

 

Cette promesse est-elle crédible après la farce Tianli ?

Avec Tianli, on a été malchanceux. La récession est arrivée, les Chinois ont changé leur fusil d’épaule. Peut-être que nous avons aussi fait quelques erreurs sur le choix des entreprises.

 

Rama Sithanen se trompe ? Ça aussi c’est nouveau.

Bien sûr que je me trompe ! Sur Tianli, on s’est peut-être trompé de timing. Mais l’intention était la bonne. Le pays a besoin d’attirer des investissements étrangers.

 

Revenons à votre «pacte». Un, l’emploi donc. Ensuite ?

La formation professionnelle. Il faut la repenser pour améliorer l’employabilité et résoudre le problème des 6500 emplois qui ne trouvent pas preneurs. Troisième axe, encourager le petit entrepreneuriat, l’initiative individuelle, la micro-entreprise. Quatre, la réforme de l’éducation pour préparer la réussite de nos enfants. Et cinq, créer des infrastructures de qualité. Il n’y a pas un seul hôtel dans la circonscription n°13 et très peu de grandes entreprises.

 

Si tout se passe comme vous l’espérez, vous serez bientôt ministre des Finances de Paul Bérenger. Un rêve de gosse qui se réalise ?

(Sourire) Ça va, inutile d’ironiser, je m’entends bien avec lui… On se rencontre très régulièrement, avec le Dr Ramgoolam aussi, pour discuter de l’agenda socio-économique.

 

Pourquoi cette campagne est-elle si creuse sur les questions de fond ?

C’est faux !

 

Les deux blocs passent leur temps à s’invectiver.

La presse passe le sien à en faire ses choux gras !

 

C’est de la faute de la presse si vous n’avez pas la queue d’une idée ?

Nous avons des idées, nous faisons des propositions mais les journalistes passent parfois à côté. Je vais sur le terrain au quotidien pour parler d’emplois, de formation, de lutte contre la pauvreté ; ça n’intéresse pas les journalistes. Ce qui vous excite, c’est de savoir si Jugnauth a insulté Sithanen et ce que Sithanen lui a répondu. Une campagne, ce n’est pas ça ! C’est du travail ! Depuis deux semaines, je suis couché tous les jours à minuit, levé à 4 heures. (Il prend un document sur son bureau) Regardez, c’est la feuille de route 2015-19 des créations d’emplois. Vingt-deux secteurs ont été identifiés. On ne vend pas des rêves, nous. On travaille !

 

Le rêve, c’est la pension à Rs 5 000 ?

Ce n’est pas un rêve, c’est un mensonge. Xavier-Luc Duval n’a pas été capable d’éviter une taxe sur les SMS pour faire entrer Rs 100 millions dans les caisses, vous pensez qu’il trouvera Rs 4,5 milliards pour financer les pensions ? Allons, soyons sérieux… J’adorerais que leur ministre des Finances fantôme accepte un débat. J’ai quelques questions à lui poser.

 

Qu’est-ce qui vous distingue de Vishnu Lutchmeenaraidoo ?

Je ne sors pas d’une hibernation intellectuelle et professionnelle de 25 ans. Je ne prédis pas la fin du monde tous les quatre matins. Et je ne propose pas d’acheter de l’or tous les jours.

 

L’héritage Duval aux Finances, vous vous attendez à quoi ?

Du bon, du mauvais et du très mauvais. Le bon, c’est de s’être débarrassé de Pravind Jugnauth, qui était une erreur de casting. Mais Duval n’a pas su relancer les moteurs de la croissance. Et il s’est éparpillé au lieu de se focaliser sur quatre ou cinq priorités.

 

Quels seront les vôtres à l’échelle nationale ?

L’emploi, la formation et les infrastructures, nous en avons parlé, je n’y reviens pas. On concentrera également nos efforts sur la réduction de la pauvreté, la protection du niveau de vie de la classe moyenne et la diversification de notre base économique. Nos exportations reposent sur trois filières : le textile-habillement, les produits de la mer et le sucre. L’idée, c’est d’élargir, faire émerger un quatrième, voire un cinquième pilier.

 

À quoi pensez-vous ?

À des secteurs comme l’ocean economy et la mécanique de précision. Ça, c’est pour la diversification des produits. Pour les marchés, il faut se tourner vers l’Afrique. Les domestic-oriented industries pèsent 12 % du Produit intérieur brut, encourageons-les à exporter. Elles ne vont pas conquérir l’Europe mais elles peuvent gagner des parts de marché à Madagascar, au Mozambique, en Zambie ou au Zimbabwe. Pour cela, elles ont besoin d’un soutien institutionnel fort. Le problème, c’est que les aides sont éparpillées. Pour plus de cohésion, on réfléchit à une structure unique sur le modèle de l’Economic Development Board de Singapour.

 

Ça a l’air déjà tout réfléchi…

(Sourire)

 

Le Sithanen de 2015 sera-t-il différent du cru 2005 ?

Déjà, c’est un travail d’équipe, pas celui d’une seule personne. Ensuite, le Sithanen de 2015 ne pourra pas faire du Sithanen de 2005 parce que Maurice a changé et le contexte international aussi. L’objectif est de créer les conditions d’une croissance robuste et d’en partager les fruits. Le partage des richesses, c’est notre philosophie. On veut une croissance juste et durable.

 

C’est quoi une croissance «juste» ?

C’est une croissance qui permet de réduire les inégalités et de faire reculer la pauvreté. Élargir le cercle des opportunités pour tous les Mauriciens.

 

Par où commencer ? 

Par le Budget 2015. On y travaille avec le Premier ministre et Paul Bérenger.

 

Et votre déménagement, vous y travaillez ?

Mon déménagement ?

 

Votre famille vous garde, finalement ?

(Longue inspiration) Écoutez, c’est toujours un peu compliqué mais ça va mieux. Ma femme et mes fils m’ont posé les mêmes questions que vous : «Tu gagnes bien ta vie, tu es respecté, on passe enfin du temps ensemble, mais pourquoi tu y retournes ?» Je les comprends, pour eux aussi l’épisode de 2010 a été douloureux, ma famille a beaucoup souffert. J’ai pris ma décision, ils l’ont acceptée. Cela ne veut pas dire qu’ils sont d’accord mais ils me soutiennent.

 

Vos adversaires font de vous «l’homme du privé». Cette étiquette est-elle injuste ?

C’est un mensonge éhonté. Un exemple : pas un seul petit planteur de canne ne paie l’Income Tax depuis 2007, pas un ! Pourtant, M. Jugnauth continue à répandre ce mensonge. Je lui ai lancé un défi : s’il trouve un seul petit planteur qui paie l’impôt sur le revenu sur ses activités agricoles, qu’il me le présente. Je le rembourserai, intérêts compris.

 

Pourquoi, malgré les milliards dépensés depuis une décennie, la pauvreté ne recule pas ?

Parce qu’on se bat en ordre dispersé, avec des institutions qui se marchent sur les pieds. Il va falloir repenser la stratégie, revoir le fonctionnement du Corporate Social Responsibility (CSR), celui de la National Empowerment Foundation. Le combat contre la pauvreté se gagne en définissant des priorités : l’éducation, la formation professionnelle, l’employabilité, le logement social, la professionnalisation des travailleurs sociaux. Nous ne nous focalisons pas assez sur l’essentiel.

 

Si vous aviez la recette, pourquoi vous ne l’avez pas appliquée ?

On l’a fait – le CSR est le «bébé» du gouvernement de 2006 – mais sans doute pas suffisamment. 8 à 9 % de la population vivent encore dans une situation très précaire. L’une de nos priorités sera de les sortir de là.

 

Dans le «package», vous incluez l’allocation chômage ?

Les chômeurs doivent recevoir une aide de l’État. Ils auront le choix entre un emploi, une formation professionnelle ou monter leur propre entreprise.

 

La création d’un salaire minimum, pour ou contre ?

Pour. Mais il reste des choses importantes à affiner.

 

Votre retour pourrait-il inspirer celui d’Ali Mansoor ?

(Direct) Aucune chance, c’est clair et net.

 

Kee Chong Li Kwong Wing sur la touche, c’est gênant ou c’est le dernier de vos soucis ?

C’est un ami, j’aurais préféré qu’il soit dans l’équipe mais ce n’est pas de mon ressort. La tâche des leaders était compliquée : chaque parti n’a que 30 tickets alors qu’il y avait 500 postulants.

 

Pour terminer, j’aimerais citer un homme célèbre…

Ne me dites pas son nom, je vais deviner. «J’ai quitté la politique sur une irréparable injustice. Ce milieu ne m’intéresse plus, j’ai tiré le rideau. La politique est une passion dont on se défait plus facilement qu’on ne le pense.»

 

Ce ne serait pas Sithanen par hasard ?

Ça se pourrait bien… C’est vrai, je m’étais juré qu’on ne m’y reprendrait plus… (Pensif) Je vais vous faire une confidence : j’étais tellement sûr d’en avoir fini avec la politique que j’ai détruit ma base de données électorales. 

 

Non ?

Si. Je suis en train de la recréer… (Il s’interrompt) Vous voulez vraiment savoir ce qui a tout changé ? Une Nation unifiée derrière les deux plus grands partis du pays ; j’avais très envie de participer à cette aventure.

 

Vous auriez pu le faire comme conseiller occulte…

C’était ma proposition, elle a été refusée.