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Brian Glover: «Je suis frustré parce que je me sens méprisé»

7 décembre 2014, 13:14

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Brian Glover: «Je suis frustré parce que je me sens méprisé»

Monsieur égalité des chances en a gros sur la patate. L’objet de son courroux : une volte-face inexpliquée de Navin Ramgoolam, pourtant considéré comme un «ami de la famille». Interview Glover de rage.

 

Pourquoi avez-vous sollicité cette interview ?

Parce que je suis amer et que ma famille l’est encore plus que moi. (Il mordille nerveusement la branche de ses lunettes)

 

Vous allez me faire le coup du sans-ticket pleurnichard ?

Ma colère n’est pas liée à cela. Je m’attendais à faire partie de l’équipe PTr-MMM, c’est vrai. Je m’y suis préparé parce que le Premier ministre me l’a demandé. Il se trouve que je ne suis pas candidat et le problème n’est pas là. Ce qui me dérange, c’est que Navin Ramgoolam, qui est un ami, a manqué de respect à ma famille. Après nous avoir répété durant des mois qu’il comptait sur Michael Glover (son oncle, NdlR) et moi, il nous a ignorés du jour au lendemain, sans la moindre explication.

 

Il va falloir être plus clair…

Ok, commençons par le début. Je n’ai jamais caché mon intérêt pour la chose politique, ni mes affinités pour le Parti travailliste. Ma grand-mère est une Millien, mon arrière-grand-mère une Laurent, Michael a eu la carrière que l’on sait, Navin est un ami de la famille. Entre nous, il y a toujours eu un respect mutuel. Dès 2011, avant même de me nommer à la présidence de l’EOC, il m’avait en quelque sorte coopté : «Je compte sur toi pour les prochaines élections.» Régulièrement, nous en reparlions. L’année dernière, Navin est invité chez moi. Toute la famille est là. Le Premier ministre dit à Michael qu’il compte sur lui pour m’aider à reprendre le flambeau à Quatre-Bornes. Michael accepte. Il y a quelques mois, les choses se précisent. Le Premier ministre me fait appeler et me répète qu’il a besoin de moi. L’accord PTr-MMM est signé, des pointures du parti me confirment que je suis candidat. Je prends mes dispositions, je prépare mon départ de la commission. Je n’attends plus qu’un coup de fil du Premier ministre pour annoncer ma démission. Mais cet appel ne viendra jamais.

 

Vous êtes marrant, vous ! 

(Tendu) Ah bon ? Qu’est-ce qui vous fait rire ?

 

 Vous croyez que le Premier ministre n’a que cela à faire, téléphoner à Brian Glover ?

Mettez-vous à ma place ! Les jours passent et personne, officiellement, ne me dit rien. Je ne me voyais pas président de l’EOC le lundi et en campagne le mardi, il fallait que je sois fixé. J’appelle le Premier ministre. Une fois, deux fois, vingt fois. Rien. Jusqu’à aujourd’hui, rien.

 

 Comment ça «rien» ?

Rien, zéro, aucune explication (le visage défait). Des dizaines d’appels sans réponses, autant de SMS ignorés. Le Premier ministre s’est réfugié dans un silence que je ne m’explique pas. C’est ce que je vis mal. Brian Glover sans ticket, les Glover s’en foutent. Mais les Glover méprisés, ça ne passe pas.

 

Pourquoi «les Glover» ?

Parce que Navin avait aussi sollicité Michael. A un moment, Michael a pris les devants.  Une rencontre avait été fixée, mais le Premier ministre n’est jamais retourné vers nous. Silence total… ou presque.

 

 Presque ?

J’ai récemment reçu un SMS intrigant.

 

 Que disait-il ?

Je ne vous le dirai pas… Entendons-nous bien. Que le Premier ministre ignore Brian  Glover n’est pas le plus grave. J’ai 45 ans, je suis un débutant. Mais Michael et sir Victor ne sont pas n’importe qui. Aujourd’hui ils l’ont mauvaise et c’est un euphémisme. Ce silence, venant d’un ami, est incompréhensible. Pendant des mois, le Premier ministre nous demande de l’aider, on accepte, on se tient prêt, puis plus rien !

 

 Je vous sens terriblement frustré…

(Énervé) Oui, je suis frustré ! Ma frustration, encore une fois, n’est pas liée au fait de ne pas être candidat. Je suis frustré parce que je me sens méprisé. Je ne revendique rien, ni ticket ni quoi que ce soit, juste du respect. Le Premier ministre n’a plus voulu de moi, très bien, je le conçois, il a certainement une bonne raison. Cette raison, je l’aurais acceptée. Encore eut-il fallu qu’il ait la décence de me l’exposer.

 

Cette raison pourrait-elle s’appeler Paul Bérenger ?

Peut-être. Mais laissons M. Bérenger hors de ce débat, ce n’est pas à lui que j’ai eu à faire. J’étais prêt à tout entendre de Navin, sauf ce silence. D’un côté, les dirigeants du PTr me disaient«tu es sur la liste, où es-tu?» De l’autre, Navin qui m’ignore. Je fais quoi, moi ? (En aparté) Entre nous, j’ai le temps pour être au Parlement. Et puis, je suis bien à la commission, ma vie est plus tranquille que celle d’un député. Le problème, c’est qu’on a le sentiment qu’il s’est moqué de nous, qu’il nous a menés en bateau. Si c’est le cas, le Premier ministre a commis une grave erreur.

 

 Est-ce une menace ?

Non. C’est une aspiration au respect. Les Glover ne sont pas n’importe qui.

 

Le Premier ministre a peut-être jugé que vous feriez un piètre candidat, un mauvais député, voire les deux. Cela froisserait votre ego ?

C’est une possibilité, mais qu’il me le dise ! (il appuie) Moi, je préfère me dire qu’il a jugé que je ferais un meilleur travail comme président de l’EOC.

 

Vous faire miroiter une candidature, n’était-ce pas un moyen de «contrôler» votre action à la commission ?

(Silence) Acheter ma docilité ? J’y ai pensé… J’espère que ce n’est pas ça. Vous savez, lorsque le Premier ministre me parlait de renouveler la classe politique, j’y croyais. Il est où le sang neuf aujourd’hui ? Sanjeev Ghurburrun, c’est du sang neuf ? Quelqu’un qui n’a même pas été fichu de se faire élire comme colistier du Premier ministre. Allons, soyons sérieux... Prenez le n°14. Ecarter Hervé Aimée au profit d’un businessman qui est en attente d’une décision de l’Etat pour un projet immobilier, c’est manquer d’intelligence politique. Le message que vous envoyez aux électeurs, c’est quoi ? Seuls les riches peuvent être candidats. Elle est où l’égalité des chances ? Elle est où la démocratisation de l’économie ?

 

Vous parlez comme quelqu’un qui n’ira pas au bout de son mandat (il court jusqu’en avril 2016, NdlR).

(Longue inspiration) Vous croyez qu’après cette interview, on me demandera de partir ?

 

Vous en pensez quoi, vous ?

C’est possible. Mais cela m’étonnerait fortement (sourire malicieux). Les représailles sont l’arme des pense petit, pas des grands hommes. J’ose espérer que ceux qui aspirent à diriger notre pays font partie de la seconde catégorie. Et puis, je connais la loi. Seule une misconduct peut entraîner ma révocation. Que je sache, malmener un ministre à l’ethnie opportuniste n’est pas une faute professionnelle. Ni convoquer le chef de la fonction publique. Ni enquêter sur des administrations soupçonnées de discrimination pour opinion politique. Donc, je suis tranquille. Et puis, ce serait quand même fort de café de me mettre dehors au moment où la commission aura enfin les moyens de ses ambitions. Cela fait deux ans et demi que je réclame des pouvoirs accrus. Les deux principales alliances s’y sont engagées dans leur programme respectif. Enfin !

 

Diriez-vous qu’il y a eu, de la part du gouvernement sortant, une réelle volonté politique de lutter contre les discriminations ?

Disons que volonté arrive un peu tard. Ce n’est que maintenant, à la veille des élections, que je suis entendu. Je me demande si cette écoute soudaine n’est pas un poil opportuniste.

 

Cette commission pour l’égalité des chances ne serait donc qu’un paravent pour masquer des inégalités croissantes ? 

Non. Cette commission travaille et obtient des résultats. Une plainte sur trois est réglée à l’amiable, c’est très encourageant. Les gens associent le très faible nombre de cas référés au tribunal comme un dysfonctionnement, en réalité c’est tout le contraire. On ne change pas les mentalités dans l’adversité. Quand vous allez en cour, c’est un échec, cela veut dire que la conciliation a échoué. Donc non, nous ne sommes pas un paravent. Cela dit, soyons honnêtes. D’un côté, il y a le discours des dirigeants politiques, les objectifs affichés. Et, de l’autre, les actions concrètes. Entre les deux, c’est souvent le grand écart.

 

En parlant de grand écart, votre père est-il toujours chargé de rédiger le projet de loi de la IIe République ?

Oui. Il connaît d’ailleurs mon opinion là-dessus. Le pays a besoin avant tout d’une réforme électorale, cela aurait dû être la priorité des priorités.

 

Papa écrit, vous déchirez. Mais qui vous a si mal élevé ?

(Rire) Attendez, mon père n’est que le rédacteur, pas le penseur de la IIe République. On ne lui demande pas d’approuver ce qu’il écrit.

 

Pensez-vous qu’il approuvera cet entretien ?

Non.

 

Afficher ouvertement votre sensibilité politique, comme vous l’avez fait, est-il compatible avec vos fonctions ?

Ma fonction ne me prive pas de ma liberté d’expression. Je ne me suis jamais interdit de penser, d’avoir des idées, des opinions, une sensibilité politique et de les partager. La liberté d’expression, que je sache, n’est pas un délit dans ce pays. Evidemment, cette liberté est à concilier avec les obligations d’impartialité et d’objectivité qui sont imposées au président de l’EOC, et que je respecte. Avoir une opinion politique ne fait pas de moi un bon ou un mauvais président. Les gens confondent la neutralité et l’impartialité. Je ne suis pas neutre politiquement, mais je suis impartial dans mon travail. Mon  obédience politique reste à la maison, je ne l’emmène pas au travail.

 

 Quel sera votre prochain travail ?

J’adore le mien. Je n’ai aucunement l’intention d’en changer.

 

 Vos grassouillets honoraires d’avocat ne vous manquent pas ?

Non. Lorsque j’ai décidé à 42 ans de fermer mon cabinet après plus de vingt ans de pratique, j’ai fait une croix sur ma profession d’avocat. J’ai choisi la vie publique, je ne reviendrai pas là-dessus. J’ai été boursier d’Etat alors que ma famille n’était pas dans le besoin. Je veux rendre à mon pays ce qu’il m’a donné. Cette détermination-là ne changera pas. Avec ou sans parrainage politique.

 

Vous attendez-vous à recevoir un coup de fil de votre ex-parrain ?

Je n’y crois plus. Mais si le Premier ministre finit par retrouver mon numéro, j’écouterai ce qu’il aura à me dire.