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Cette nuit-là à Triolet…

10 décembre 2014, 12:36

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Cette nuit-là à Triolet…

Vingt-trois ans que le «lion» rugissait en tête de liste à Triolet. Cinq élections consécutives avec des scores de cador. Jeudi soir, la forteresse imprenable est tombée. Plus qu’une défaite, une déculottée historique pour Navin Ramgoolam. Quatrième, la place du déshonneur, celle qui métamorphose un chef de gouvernement en citoyen lambda. La nuit de la route Royale, elle, ne l’a pas été. Concert de klaxons, pétarades, scènes de joie : la joyeuse armée des «lepepistes» n’a pas attendu l’annonce des résultats officiels pour donner l’assaut. Tous les 300 mètres, un spot festif improvisé. Avec grillades, embrassades et décibels à volonté.

 

Il est 21 heures. Cela fait déjà trois bonnes heures que ça chante et ça danse sur le bitume. À certains endroits, plus aucun véhicule ne passe. Comme devant le Ciné Anand, où une forêt de bras levés a priorité sur les automobilistes. Les plus excités taquinent du capot. Comme Rajesh, 19 ans, qui célèbre son premier vote une bière à la main. Un homme fend la petite masse compacte avec un sac, d’où il sort un djembé, entamant en rythme un «Piso 3-0 !» C’est la liesse. Deeksha, 28 ans, déguste le moment : «Les électeurs de Triolet ont voté avec colère et frustration !» Elle fait partie de ces travaillistes qui ont viré de bord : «Ti bien bizin sa sanzman-la ! Navin blie tidimounn,tou sa bann die-hard ki travay pou li. Linn promet nou enn pake zafer me li pann fer la mwatye.»

 

Même sentiment de «trahison » pour Vijay, 52 ans. Certain de «vivre un moment historique», il a fait le court déplacement de Pointe-aux- Piments avec un cousin. «Nou disan rouz, mais c’est mérité. Les travaillistes n’ont pas travaillé, nos espoirs ont été déçus. On fête la défaite de Ramgoolam plus que la victoire de Lepep.» Ananda qui passe par là, rectifie : «Tous ces gens-là sont heureux parce qu’ils supportaient Lepep en cachette. Ils avaient viré dans leur tête mais n’osaient pas le dire. Ce soir, c’est l’exutoire.» Pas pour tout le monde…

 

 

À l’écart sous un réverbère faiblard, deux grand-mères papotent en bhojpuri. «Depi touzour nou vot trwa lakle. Zordi lakle vinn feb akoz zot pran Bérenger pou PM.» Un peu plus haut dans la rue, on tombe sur Leela, Sangeeta et Reena. Robes à fleurs et  soixantaine rugissante, elles ont descendu trois chaises en plastique du balcon, histoire d’être aux premières loges sur le trottoir. Le trio «pe get rallye» en distribuant du «batchara» à voix basse aux fêtards qui ont fait tomber l’idole. «Se bann fanatik ki dir nou perdi akoz Berenzer», se fâche Leela. Sangeeta relativise : «Mo kone Navin pa mank nanye. Mem si li deor aster, mo pa kass latet ar li.» Vishal, qui tient la pizzeria du coin, anticipe déjà sur un «départ pour Londres».

 

Il est 23 heures, c’est maintenant officiel : Navin Ramgoolam n’est plus «chez lui» à Triolet. Un cortège parti du centre de dépouillement de Calebasses a rejoint le gros des groupes. Les klaxons répondent aux «vire mam». Un couple de supporters orangés de la tête au pied s’embrasse au milieu de la rue. Un parfum de «printemps mauricien» flotte dans l’air. Accoudés derrière une barrière, les ados d’une famille nombreuse n’ont rien manqué du baiser. «On regarde le spectacle un peu à l’écart parce qu’avec les enfants, c’est un peu risqué», confie la mère. Ashrafee, son petit dernier, ne tient plus en place. Lui aussi irait bien claquer quelques pétards. Entre deux sermons, maman confie avoir «toujours voté bloc, à fond travailliste». Y compris cette fois ? Silence hésitant… et fou rire collectif : «Vous trouvez qu’on a l’air triste ?»