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Soodesh Callichurn, ministre du Travail: «Je suis parti pour durer»
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Soodesh Callichurn, ministre du Travail: «Je suis parti pour durer»
L’accueil est exotique : café, mangue et letchi. Pour lui, ce sera cocktail d’antibiotiques. Le tombeur de Ramgoolam, 35 ans, est «au bout du rouleau». L’occasion de rembobiner son parcours.
Il n’a pas l’air en grande forme, le tombeur de roi...
(Toute petite voix) Je suis épuisé. À la prestation de serment, j’ai cru que j’allais m’écrouler. J’ai perdu cinq kilos durant la campagne, je suis au bout du rouleau.
À ce point ?
J’ai fait du 6 heures – 2 heures du matin pendant deux mois, ça m’a achevé. Depuis lundi, je suis malade. Trop de fatigue accumulée, je n’en peux plus. Le médecin m’a mis sous antibiotiques.
Étiez-vous dopé pendant la campagne ?
Oui, dopé à la proximité. J’ai parcouru plus de kilomètres qu’en 35 ans ! J’ai rencontré des milliers de personnes, partout, beaucoup de porte-à-porte. Parler aux gens, être à l’écoute, leur expliquer votre présence, appuyer sur le bilan inexistant du gouvernement sortant. Surtout, rester humble, pas d’arrogance. C’est comme cela qu’au fil des jours, j’ai gagné la confiance des gens.
Ça vous fait quoi d’avoir envoyé Navin Ramgoolam en préretraite ?
Ni chaud ni froid. Je ne l’ai jamais vu comme un Premier ministre. Pour moi, Navin Ramgoolam était un candidat comme les autres. Il ne m’a jamais impressionné, sauf par sa bassesse et son arrogance.
C’est gonflé, quand même…
Quoi donc ?
Votre côté poupon sûr de lui. L’homme dont vous parlez a plus d’années comme Premier ministre que vous n’avez de jours comme député…
Et alors ? L’humilité a vaincu l’arrogance, c’est la leçon de cette élection. Cela dit, je remercie M. Ramgoolam. Sans le dégoût qu’il a suscité dans son propre camp, je ne serais peut-être pas là aujourd’hui. Ce sont les travaillistes qui m’ont élu.
Est-ce ce «dégoût» qui a porté l’alliance Lepep au pouvoir?
En partie, il y a eu un vote sanction. Une autre partie de l’électorat a adhéré à nos idées.
Vraiment ? Le soir de la victoire, des électeurs lepepistes avaient déjà oublié votre nom...
Naaan ! (Revigoré). Combien de gens ont oublié ? Quelques-uns, peut-être. La foule sait qui je suis, le nom Soodesh Callichurn était sur toutes les lèvres le soir des résultats.
Ce soir-là, la fête a-t-elle été totale ?
Elle l’aurait été si Bérenger était passé à la trappe. Cet homme est d’une arrogance rare. En fait, Bérenger et Ramgoolam ont fait campagne pour nous. (Il se penche sur l’enregistreur) Merci Paul ! Merci Navin !
Avez-vous croisé Navin Ramgoolam durant la campagne ?
Jamais. On s’est vu seulement le jour du vote à l’école Sir Harilal Vaghjee. Il m’a serré la main sans dire un mot. Pareil le lendemain, au dépouillement. Je connais bien Navin Ramgoolam, vous savez...
Et lui, vous connaît-il ?
Il connaît surtout mon père, Jay Callichurn. Mais c’est à lui d’en parler… ou pas.
Vous sortez en tête de liste. Avez vous été surpris ?
Franchement ? Je m’attendais à mieux.
Pourquoi n’avez-vous pas demandé le ministère de l’Ironie ?
Je n’ironise pas, j’espérais atteindre 27 000 voix (NdlR : il en a obtenu 25 980). Il y a deux semaines, j’ai compris que nous allions vers un 3-0. Ma seule crainte était que Navin Ramgoolam accroche la troisième place.
Pourquoi n’est-ce pas arrivé, selon vous ?
Parce qu’il a oublié qu’il était député. Il a commis l’erreur de délaisser la circonscription et de distribuer par-ci par-là des passe-droits, en se disant que cela suffirait. La seconde raison, c’est que l’alliance Lepep a fait un finish remarquable. Durant les 15 derniers jours, on est retourné partout où nous étions passés, comme une seconde campagne mais en accéléré. L’ampleur de notre victoire a peut-être surpris les médias, mais pas moi. J’étais 20 heures par jour dans la circonscription, j’ai senti venir la gifle.
On sait peu de chose sur vous. Quand êtes-vous né à la politique ?
Il y a trois mois, quand j’ai démissionné de mon poste de magistrat (NdlR : à la cour correctionnelle de Port-Louis). À l’époque du Remake 2000, déjà, des émissaires de Paul Bérenger étaient venus me voir. À ce moment, je n’étais pas sûr de vouloir quitter la magistrature. Après la cassure, j’ai de nouveau été sollicité, mais par le MSM. J’ai bien réfléchi et j’ai dit oui.
Oui à quoi ?
Affronter Navin Ramgoolam dans la circonscription n° 5. L’alliance Lepep n’était pas encore née. Le match, c’était MSM contre PTr-MMM. Mes amis m’ont traité de fou !
Il fallait l’être un peu, non ?
J’ai toujours cru à la victoire. Au pire, je me disais que je sortirais troisième.
Où allez-vous chercher cette confiance en vous ?
C’est moins de la confiance qu’une bonne connaissance du terrain. Le n° 5 est ma maison, j’y vis depuis toujours. Je suis né à Pamplemousses, j’ai passé mon enfance autour du jardin botanique… sir Seewoosagur Ramgoolam (sourire narquois). Vers l’âge de 7-8 ans, on a déménagé à Trou-aux-Biches, où j’habite encore. Cette circonscription, je la connais dans ses moindres recoins. J’y ai mes amis, ma famille, mon père connaît énormément de monde. La presse a cru que je partais au casse-pipe, on m’a pris pour un kamikaze. Labatwar, karo kann, j’ai lu tout ça sur Internet. Je m’en suis servi, ça a décuplé mon énergie. Je ne sais pas comment dire… Ça a fait naître quelque chose en moi, une rage de vaincre, une surmotivation pour montrer que je n’étais pas n’importe qui.
Celui que vous avez détrôné ne l’était pas non plus…
Je sais, même si je ne l’ai jamais mis sur un piédestal. Être un tombeur de roi, ça peut être lourd à porter, j’ai créé énormément d’attentes. Mardi, une vielle dame de Baie-du-Tombeau me téléphone. Elle me félicite et me dit : «Maintenant que tu es ministre, ne nous déçois pas s’il te plaît.» Il y avait de la joie dans sa voix, elle était heureuse pour moi, ça m’a touché.
Elles vous effraient, ces attentes ?
Je n’ai peur de rien, je suis un fonceur. Cela dit, j’ai conscience du poids des responsabilités. À la prestation de serment, j’ai ressenti cette pression. Je suis au pied de la montagne, le plus dur reste à faire.
C’est quoi, le plus dur ?
Conserver la confiance des gens pour faire carrière dans la circonscription n° 5. Je suis parti pour durer, je n’ai que 35 ans.
Quand SAJ a quitté le pouvoir en 2003, vous aviez 24 ans. Que savez-vous de cet homme ?
Qu’il est grand. Je ne l’ai pas vu à l’oeuvre mais j’ai beaucoup lu. (Il tend le bras vers sa bibliothèque.) Regardez cette biographie, toute sa vie est tracée…
C’est déjà votre mentor ?
Naaan ! Je suis un self-made man, mais le parcours de SAJ est une source d’inspiration.
Que retiendrez-vous de la quinzaine écoulée ?
Tant de choses ! Mon papa qui me prend dans ses bras le soir de la victoire : «Tonn resi fer li !» J’ai vu de la fierté dans ses yeux. C’était très fort.
Quel rôle a-t-il joué dans votre élection ?
Un rôle important. Papa a fait beaucoup de social dans la circonscription, son nom m’a porté. Il distribuait des repas aux couvents, il a aidé beaucoup de temples, tout ça a joué. Et puis son restaurant est très connu : le Souvenir, à Trou-aux-Biches.
Qu’avez-vous promis à ceux qui vous ont élu ?
Je serai l’opposé de Navin Ramgoolam, c’est-à-dire un député proche des gens, à leur écoute. J’irai dans la circonscription le plus souvent possible pour résoudre les problèmes.
Est-ce compatible avec un agenda de ministre ?
Je trouverai le temps. J’ai choisi cette vie, maintenant il faut assumer.
Sincèrement, vous vous voyiez là il y a deux mois ?
(Direct) Ministre non, député oui.
Le ministère du Travail, c’était votre choix ?
Non, je n’ai rien demandé. D’ailleurs, entre l’annonce des résultats et la prestation de serment, je n’ai eu aucun contact avec les leaders de l’alliance. Juste un coup de fil de M. Soodhun, lundi soir, pour m’annoncer que j’étais au gouvernement. Des policiers ont débarqué chez moi dans la foulée, vers minuit, avec ma lettre de nomination. Ma femme (NdlR : Pooja Autar- Callichurn, avocate au Parquet) m’a serré dans ses bras…
Champagne ?
Non. J’évite avec les antibiotiques.
Vous n’êtes pas fêtard ?
Si, j’aime m’amuser ! La fête, le sport, la natation, le jogging. Je vais reprendre pour me remplumer un peu et arrêter de sauter des repas.
Outre vos plumes, quels seront vos atouts pour ce ministère ?
Ma formation de légiste peut-être. Ma capacité à résoudre les conflits. Mais je suis nouveau, j’ai tout à apprendre.
Vos priorités ?
C’est trop tôt, je n’ai pas encore pris connaissance des dossiers (NdlR : cet entretien a été réalisé mercredi 17 décembre, avant le handing over avec Shakeel Mohamed, son prédécesseur).
En haut de la pile, y a-t-il le conflit au sein de l’industrie sucrière ?
Forcément. L’arrêt de la grève ne résout pas tout, elle reprendra si l’on ne fait rien. J’aurai aussi à plancher sur un salaire minimum pour les travailleurs au bas de l’échelle, l’une des 12 mesures prioritaires de notre programme (NdlR : c’est même la deuxième, après la revalorisation des retraites).
Qu’est-ce que vous détesteriez que l’on apprenne sur vous ?
Si je le dis, vous saurez ! (Il éclate de rire) Non, je n’ai rien à cacher. Ma vie est un livre ouvert.
À la page «pandit Sungkur», que lit-on ?
Pourquoi le pandit Sungkur ?
Votre père le connaît bien, non ?
Pas plus que ça. Ils se croisent de temps en temps. Le pandit Sungkur est un homme réservé.
Est-il exact que votre père convoitait ce fameux terrain sur la plage ?
Celui attribué au pandit. Jamais de la vie ! Au contraire, il a… (il s’interrompt). Non, c’est préférable de ne pas en parler.
Détendez-vous, ça restera entre vous et les lecteurs…
(Il ôte ses lunettes) Mon père n’a jamais convoité ce terrain, je vous le dis droit dans les yeux. Quand il a su que ce bout de plage allait être cédé, il a fait passer un message à Navin Ramgoolam. Par personnes interposées, il a essayé de le dissuader. Il lui a suggéré un autre terrain de l’État, plus grand, juste à côté de notre restaurant. Voilà la vérité. Le reste, ce sont des mensonges.
Les accointances travaillistes de votre famille, ce sont des mensonges ?
Non, c’est vrai. Mon père et ma famille ont toujours été travaillistes. Mais le 10 décembre, ils ont vire mam.
Et vous, avez-vous voté Ramgoolam aux deux dernières élections ?
C’est un secret…
Dans cette campagne, vous avez dépensé combien d’argent ?
(Il secoue la tête de dépit) Beaucoup...
Combien ?
Je n’ai pas envie d’être précis. Vous voulez me piéger ou quoi ?
Juste vous connaître. Savoir si vous regrettez déjà, par exemple ?
Regretter quoi ?
Cette nouvelle vie, ces cassepieds de journalistes, vos deux portables qui n’arrêtent pas de sonner à 23 heures…
J’ai choisi cette vie, je dois l’assumer. Avant de me lancer, j’ai bien pesé le pour et le contre, je savais que ma vie allait changer.
Naître un 24 décembre, est-ce cultiver un côté ‘Sauveur’ ?
Naaan, je ne suis pas un sauveur ! Je suis le cadeau de Jésus envoyé à mes parents (rire).
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