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Me Yousuf Mohamed: «Je ferai tout pour qu’il n’y ait pas de procès»

18 janvier 2015, 13:26

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Me Yousuf Mohamed: «Je ferai tout pour qu’il n’y ait pas de procès»

Le Rolexgate ? Des «chichis» à la sauce «vendetta politique». C’est l’un des trois avocats de Navin Ramgoolam qui le dit. Yousuf Mohamed promet un sale quart d’heure à Rakesh Gooljaury, qu’il a hâte de contre-interroger. En attendant, c’est lui qui répond aux questions. Quitte à convoquer, parfois, d’habiles points d’interrogation.

 

C’est sympa de se faire tirer du lit par les Casernes centrales ?

Ce n’est pas un problème, je me lève tôt pour la prière. Mais c’est la première fois que le responsable du Central CID m’appelle à 6 heures.

 

Jeudi, donc, pour annuler l’interrogatoire de Navin Ramgoolam fixé la veille…

C’est ça. «On a quelques formalités à remplir avec MM. Jokhoo et Sooroojebally», m’a dit mon interlocuteur. Bon, ça peut arriver. Ce n’est que partie remise, la semaine prochaine je pense.

 

Ce contretemps est-il une aubaine ?

Non. Navin et moi, nous sommes prêts.

 

Côté honoraires, un ancien Premier ministre, ça va chercher dans les combien ?

(Ferme) Monsieur, je vais vous dire une chose : il n’est pas question d’honoraires avec Navin. Je suis aux côtés d’un frère.

 

Qu’est-ce qui vous lie ?

Une très longue amitié familiale. Déjà, son père et le mien étaient comme des frères. Je ne peux pas laisser tomber un ami, c’est une question d’honneur.

 

Un frère est précieux dans une vie. En quoi l’a-t-il été dans la vôtre ?

Précieux, le mot est un peu fort. Dans la situation actuelle, c’est plutôt lui qui me considère comme quelqu’un de précieux !

 

Parce que vous avez l’art de sortir de la mouise les hommes politiques qui y sont jusqu’au cou, de Gaëtan Duval à Yatin Varma ?

J’ai gagné ces affaires, effectivement, et bien d’autres encore. Cela fait-il de moi un artiste ? (sourire) Je vais éviter de porter un jugement sur moi-même.

 

M. Ramgoolam, lui, a un avis bien tranché sur ses soucis : «C’est un plan machiavélique visant à me discréditer.» Un peu court comme argument, non ?

Écoutez, depuis que Jugnauth a quitté le Réduit, il a fait une fixation sur cette affaire. «Mo pou avoy Ramgoolam dan kaso», il en fait la promesse. La perception, c’est qu’il s’agit d’une vendetta politique.

 

L’affaire a été montée de toutes pièces, c’est votre défense ?

Je ne peux pas juger pour le moment. J’attends d’être en présence des dépositions des témoins.

 

Celle de M. Gooljaury a filtré : «Navin ti dir mwa pran sarz.» Cette phrase, c’est un cauchemar ?

Pas du tout. Je vais découper ce témoignage en morceaux quand j’aurais Gooljaury devant moi. J’attends ce moment avec impatience, j’adore contre-interroger les gens (sourire malicieux).

 

M. Gooljaury va passer un sale quart d’heure ?

Comme tant d’autres… Comme l’accusateur de Gaëtan Duval dans le temps. Souvenez-vous de 1989 : Gaëtan Duval avait été arrêté à la suite d’une déposition d’un ex-prisonnier qui avait rencontré SAJ chez lui. L’histoire se répète : à chaque fois que Jugnauth est au pouvoir, il cible un adversaire.

 

Revenons sur ce fameux «pran sarz». Selon l’express de vendredi, M. Gooljaury a reçu cette instruction en présence de témoins…

Encore une fois, j’ignore ce que les témoins ont dit.

 

En gros, vous bottez en touche…

Non, Monsieur ! Je ne me fie pas aux journaux. D’abord, de quelle «sarz» parle-t-on ? Qu’est-ce que tout cela a à voir avec le suicide d’un homme en prison ?

 

C’est à vous de me le dire…

Aucune.

 

Que risque votre client, concrètement ?

L’acquittement.

 

Je ne vous demande pas ce que vous souhaitez.

Si vraiment il y a une accusation de complot contre lui, tout dépendra de la nature de ce complot.

 

Disons, au hasard, inciter un tiers à faire une déposition mensongère.

Ça peut aller d’une petite amende à l’emprisonnement, selon la gravité des faits. Je doute que l’on arrive au procès, je ferai tout pour qu’il n’y en ait pas. Si c’est grave, Navin ira en prison. Si ce n’est pas grave, il aura une amende.

 

Et vous diriez que la balance penche de quel côté ?

Il n’y a aucune gravité dans cette affaire. Je ne vois pas pourquoi on fait tant de chichis.

 

 Un Premier ministre soupçonné d’entraver la justice, c’est du chichi ?

Rien n’est prouvé pour le moment, je ne peux pas me poser en juge. Et puis, de quel complot parle-t-on ? Admettons que Gooljaury dise vrai, qu’il n’était pas à cette soirée, où est le complot ? Pourquoi Navin lui aurait demandé de dire qu’il y était ? On sait que ce soir-là un homme a été agressé par un intrus. Cet homme est soit Navin, soit Gooljaury. Navin voulait-il sauver sa réputation de Premier ministre ? Voulait-il sauver celle d’une dame qui, d’après Gooljaury, était à cette soirée ? Je ne sais pas, moi !

 

Rarement ignorant aura été si pertinent dans ses questions…

(Sourire complice)

 

Un bon avocat ne pose jamais une question dont il n’a pas la réponse, n’est-ce pas ?

Exact.

 

Faudrait-il donc vous lire entre les précédentes lignes ?

(Il approuve d’un discret signe de tête et poursuit à voix basse) C’est pour cela que je vous disais tout à l’heure qu’il n’y aucun lien entre cette soirée et la pendaison de M. Ramdhony en cellule policière. Il y a eu une enquête, le médecin légiste a conclu à un suicide. Anerood Jugnauth, maintenant, nous dit que ce n’est pas possible de se pendre assis. On a un Premier ministre expert en pendaison, que voulez-vous que je vous dise ?

 

Les secrets de votre client, par exemple.

Vous ne saurez rien de ce que m’a dit Navin.

 

Ce sont des petits ou des grands secrets ?

(Silence) Qu’ils soient petits ou grands, c’est confidentiel. Vous essayez d’en savoir trop.

 

Oh, ça va ! Excusez-moi de poser des questions !

(Rire) Je vous en prie, Monsieur, poursuivez.

 

Il paraît qu’il y avait du beau monde à cette soirée…

(Sur un air détaché) Oui, oui… Vous savez, je connais bien M. Gooljaury (on coupe)… 

 

Un autre «frère» ?

Certainement pas. Mais c’est M. Gooljaury qui a emmené ici, dans cette maison, Mme Soornack. C’est lui qui m’a demandé de poursuivre certains journaux pour atteinte à la vie privée de cette dame. À chaque fois qu’elle m’a parlé, M. Gooljaury était là. Il est venu aussi à mon étude, plusieurs fois, c’est lui qui payait les honoraires. C’est un bon businessman, vous savez. Il craignait de voir son business ruiné. S’il a pris «sarz», c’est parce qu’il pensait à son business. Le pouvoir a changé, il a changé son fusil d’épaule.

 

Êtes-vous en train d’insinuer que M. Gooljaury a monnayé son «Navinti-dir-mwa» ?

Je peux vous assurer que je lui poserai la question.

 

Vous décrivez cet homme comme l’ange gardien de Mme Soornack…

Il s’est présenté à moi comme celui qui l’accompagnait partout. Un jour, alors que je devais emmener cette dame en Cour suprême pour jurer un affidavit, M. Gooljaury m’a donné comme instruction de passer par la porte de derrière pour éviter les journalistes. Oui, on peut dire qu’il était son ange gardien.

 

À cette époque, quelle était la relation entre Navin Ramgoolam et Rakesh Gooljaury ?

Ils étaient très proches. Je ne sais pas à quel point M. Gooljaury était sincère.

 

Que s’est-il passé entre eux ?

C’est à découvrir, en cour si nécessaire.

 

Sinon, il fait quel temps à Venise ?

Venise ?

 

Vous n’avez même pas reçu une petite carte postale ?

Je vous jure (il appuie) que je ne sais pas où Mme Soornack se trouve. C’est fini, je ne suis plus son avocat. Depuis que je lui ai conseillé de retirer son appel contre le jugement Balancy, je ne l’ai plus revue (NdlR, le 6 février dernier, le juge Eddy Balancy a levé l’interdiction empêchant deux groupes de presse d’évoquer la vie privée de Nandanee Soornack). Aujourd’hui, je n’ai plus rien à voir avec elle. Heureusement…

 

Vous êtes plus Charlie que Nandanee ?

Je ne suis pas Nandanee, définitivement. Je suis Charlie, oui. Je suis Ahmed aussi (NdlR : Ahmed Merabet, le policier assassiné en marge de l’attentat contre Charlie Hebdo). Aussi insultant qu’un dessin puisse être envers le Prophète, je ne suis pas d’accord pour assassiner les gens. Je suis pratiquant, j’ai foi en l’islam, ma religion condamne le crime, elle condamne la vengeance. Le Prophète lui-même a pardonné à ceux qui l’ont insulté lors de la conquête de la Mecque. Jamais je ne serai pour les Kalachnikov, ces gens-là trahissent l’islam. Donc oui, je suis Charlie. Et en même temps, je dis à Charlie que la provocation à outrance est inutile. Dans le monde, il n’y a pas que des gens tolérants, il y a aussi des abrutis et des fous.

 

Un mot est souvent employé dans les médias : djihadiste.

Le détournement de ce mot m’agace. Le djihad, c’est la guerre sainte, tuer n’a rien de saint. La guerre sainte commence en soi-même, en luttant contre ses pulsions. Si je rencontre une jolie femme et que je désire avoir des relations avec elle alors que je suis marié, je dois contrôler cette pulsion : c’est ça, le djihad.

 

Vous venez de perdre un client…

(Sourire) Monsieur, je vous parle ici en tant que musulman.

 

Êtes-vous soucieux pour la place des minorités dans la République de Maurice ?

Pourquoi cette question ?

 

Parce qu’en avril dernier, vous disiez ceci : «Avec Navin Ramgoolam et Paul Bérenger au pouvoir, je ne serais pas inquiet pour les minorités. Avec SAJ, ce serait une autre histoire.» 

Je maintiens. SAJ n’a jamais fait de cadeau à la communauté musulmane. Prenez les nominations récentes, combien de musulmans ? Peut-être deux sur une trentaine de postes. La compétence est-elle l’apanage d’une seule communauté dans ce pays ? (Il fait de grands gestes.) Je suis avocat, Monsieur ! Je ne suis pas hindou, je ne suis pas blanc ni créole, mais je pense être compétent.

 

Qui est le plus compétent pour succéder à Navin Ramgoolam à la tête du PTr?

Arvin Boolell. Il a le charisme. Surtout, c’est un homme pensant, un homme réfléchi. Le parti a besoin de gens comme lui. Je ne fais le procès de personne, mais je voudrais voir – même si Ramgoolam peut changer – quelqu’un de bien à la tête du Parti travailliste.

 

 «Même si Ramgoolam peut changer», que voulez-vous dire ?

Qu’il arrête de n’en faire qu’à sa tête. Qu’il écoute les aspirations de l’électorat et de la population. Le parti est en alerte cyclonique classe II. Mais l’électorat est toujours là et il réclame peut-être un changement de direction.

 

Que manque-t-il à Arvin Boolell pour incarner ce changement ?

Rien, aujourd’hui Arvin est légitime. La question de caste, très vite, ne se posera plus. Arvin a tout pour devenir le leader du Parti travailliste.

 

Pourquoi ce jour n’est pas arrivé ?

Je crois sincèrement que ce jour est arrivé ! C’est à Arvin d’oser. C’est à lui d’aller de l’avant.

 

Et votre «frère», évidemment, va l’encourager…

Nous n’en avons pas parlé. Nous avions des choses plus sérieuses que la politique à considérer ces jours-ci.