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Gerard Ejnès: « Le sport ne peut pas combattre le terrorisme, mais il peut donner du bonheur…»

19 janvier 2015, 15:00

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Gerard Ejnès: « Le sport ne peut pas combattre le terrorisme, mais il peut donner du bonheur…»
Une semaine après l’attentat de Charlie Hebdo, Gerard Ejnès, directeur adjoint de la rédaction de France Football et de L’Equipe, revient sur le triste événement qui a frappé ses collègues, la France et la liberté de la presse, dans un entretien accordé à LSL Radio. Il est aussi question du 3e Ballon d’or de Cristiano Ronaldo, qui égale Platini, Cruyff et Van Basten  au palmarès et force des comparaisons historiques. Ejnès s’épanche aussi sur la CAN 2015, qui souffre du calendrier, et les deux duels franco-anglais en Ligue des champions PSG-Chelsea et Arsenal-Monaco…
 
 
Gerard, difficile de commencer sans parler de la triste actualité de la semaine dernière : l’attentat de Charlie Hebdo. Comment avez-vous vécu ce drame au cœur de Paris ?
Je l’ai vécu comme tous les Français, et beaucoup de gens de la planète, de façon très douloureuse. Ce ce sont des évènements très blessants, très déstabilisateurs, parce qu’il se trouve que en plus ils concernaient des journalistes et ce qui a de plus cher : la liberté d’expression, qui est bien sûr vitale pour notre profession. On a été atteint de plein fouet. Et même doublement à partir du moment que nous sommes journalistes. On s’est posé la question à L’Equipe pour savoir comment se positionner par rapport à ces évènements là parce que nous sommes un quotidien d’information de sport et non pas d’information générale. Et nous avons apporté notre réponse en consacrant six jours de suite des Unes de L’Equipe a des dessins et aussi au traitement des retombées de ces évènements dans le monde du sport. Ca a été une semaine très très cruelle.
 
Comment est-ce que le sport peut combattre le terrorisme selon vous ?
Je ne sais pas si le sport peut combattre le terrorisme, le sport on lui demande toujours beaucoup plus que ce qu’il peut donner. Le sport il est là pour donner du plaisir. Du bonheur, de la passion, de l’émotion. C’est déjà beaucoup. Alors si en plus il faut lui demander de combattre le terrorisme non. Le sport n’est pas un monde à part. Et le terrorisme dans le sport il y en a déjà eu. Après le sport je crois qu’il est aussi là pour montrer qu’à un moment la vie doit reprendre son cours. Que aussi atteint, blessé ou humilié que nous ayons pu l’être la vie continue et le sport doit permettre de donner du bonheur aux gens, de les aider à se reconstruire. S’il ne sert qu’à ça c’est très bien, mais après c’est aux politiques de faire face au problème extraordinairement compliqué du terrorisme. 
 
On devine que pour ne pas céder à la psychose les mesures de sécurité doivent être renforcées dans les médias en France en ce moment. Est-ce que des dispositions spéciales ont été envisagées au sein des rédactions de France Football et L’Equipe ?
Comme toutes les rédactions parisiennes en ce moment nous sommes bien sûr protégés par des policiers en armes. C’est toujours un peu bizarre de voir que pour entrer dans votre entreprise il faut franchir un cordon de policiers en armes. Ce n’est pas rassurant ni réjouissant, évidemment, mais comme on le savait déjà, on le sait encore plus aujourd’hui, que les journalistes peuvent très facilement devenir des cibles aujourd’hui pour les terroristes. De voir qu’on est protégé ça rassure, mais ça inquiète aussi, on se pose des questions sur le monde dans lequel on vit et hélas les réponses qu’on apporte ne sont pas toujours très optimistes.
 
Revenons sur l’actualité sportive et le Ballon d’or qui est décerné par votre journal, France Football, depuis 1956, qui s’est associé à la FIFA depuis 2011. Pour la 2e année de suite c’est Cristiano Ronaldo qui rafle la mise. Ce n’est pas une grande surprise, mais le sacre d’un grand talent…
C’est la récompense d’un immense talent ! D’un extraordinaire talent ! Je ne vais pas vous faire l’affront de vous présenter Cristiano Ronaldo… (rires) C’est un joueur extraordinaire. Il occupe le devant de la scène depuis plus de 10 ans maintenant, il a d’ailleurs obtenu son premier Ballon d’or en 2008. Il a toujours évolué au plus haut niveau, il n’a pas eu de chute de tension. Il est de plus en plus performant, il marque plus de buts. Il va avoir 30 ans début février mais on a l’impression qu’il est toujours en train de progresser. Il est le leader de son équipe, le Real Madrid, qui est une des plus grandes équipes du monde. Et on sait très bien que sans Ronaldo le niveau du Real ne serait plus du tout le même. Et puis c’est surtout le grand rival de Lionel Messi. 
 
Qu’il semble sur le point de dépasser…
Ce qui est plus extraordinaire c’est que nous sommes à une période l’histoire du foot ou deux génies du jeu se retrouvent à jouer pratiquement l’un contre l’autre. On a vu que Ronaldo a pulvérisé absolument tous les records en 2014. Records de buts inscrits en Ligue des champions, en première partie du championnat d’Espagne. C’est une machine à marquer des buts. Une machine à destabiliser des défenses. A la fois prévisible et totalement imprévisible. On sait ce qu’il va faire, mais ça ne fait rien il le réussit toujours ! Et c’est surtout une très forte personnalité. Une star charismatique. Très apprécié des fans… Ou détesté d’ailleurs, mais c’est aussi ce qui fait la force d’un grand champion. Du coup, avec tout ça, ça fait 7 ans que Messi et Ronaldo se partagent le Ballon d’or…
 
Ronaldo est-il vraiment au niveau de Platini, Cruyff ou Van Basten (3 Ballons d’or chacun) ? Difficile de résister à la tentation de comparer les époques…
La tentation de comparer les époques existe toujours et nous renvoie toujours à nos limites, car on ne peut pas comparer les époques. D’abord parce ce que le football ne se jouait pas pareil, ensuite parce que la personnalité des champions n’était pas la même, l’économie n’était pas la même, le travail sur l’image des champions n’était pas le même et les moyens de communication n’étaient pas les mêmes. C’est-à-dire que l’accès aux fans n’était pas le même. Avant c’était surtout lors de l’accès aux stades, maintenant avec les réseaux sociaux tout est bouleversé. Ce qui fait que Cristiano Ronaldo est totalement un champion de son époque. Maintenant, en matière de jeu, Platini était meneur de jeu, buteur. Ronaldo marque plus de buts c’est incontestable. Van Basten était un pur buteur, Ronaldo marque plus que lui c’est incontestable aussi. Johan Cruyff c’était un génie mais qui correspondait à l’air du temps d’une époque : l’accession d’une société à une forme de liberté. Ronaldo c’est autre chose. L’image du champion est devenue tellement importante aujourd’hui qu’on ne peut pas la dissocier de ses qualités footballistiques et à ce niveau là Ronaldo est une synthèse, ce que ne pouvaient pas être les autres car le contexte n’était pas le même…
 
Certains pensent que c’est Manuel Neuer qui aurait dû l’emporter parce qu’il a été champion du monde avec l’Allemagne et regrettent que le palmarès compte moins qu’avant pour décerner le Ballon d’or désormais…
J’entends tout à fait leur discours et leur opinion. Mais le Ballon d’or cette année c’était 544 votants, répartis équitablement entre journalistes, sélectionneurs et capitaines d’équipes nationales. Chacun vote en son âme et conscience. Et deux tiers du jury du Ballon d’or viennent directement du monde du foot or cette année il se trouve que les trois collèges des jurés ont voté à peu près de la même façon ce qui n’était pas le cas l’année dernière ou les journalistes avaient mis en avant Franck Ribéry, et les deux autres collèges très nettement Cristiano Ronaldo. Cette année tout le monde s’est retrouvé autour de Ronaldo, ça a un sens. Comparer Manuel Neuer, qui se sert surtout de ses mains, à deux joueurs qui n’en ont pas le droit c’est une situation un peu complexe… Il faut dire que la finale du Mondial n’était pas non plus extraordinaire et que les arrêts de Neuer sont beaucoup moins vu que les buts de Ronaldo et Messi…
 
Venons en à la Ligue de champions. Que pensez-vous des confrontations PSG-Chelsea et Monaco-Arsenal ? A Maurice on ne donne pas cher des chances françaises…
Mais en France on plein beaucoup les clubs anglais hein ! Ils ont eu le pire tirage possible. (rires) Je plaisante bien sûr. Tout d’abord, en France, on ne peut pas mettre Monaco et Paris au même point. Monaco a régressé sportivement et économiquement, à cause de leur actionnaire principal et le fair play financier. Le club a dû faire un pas en arrière et déjà être en 8es de finale c’est une performance inattendue. Si Monaco est éliminé par Arsenal personne ne criera au scandale. Pour Paris, l’attente n’est pas du tout la même. Elle est extrêmement forte. Par rapport à son actionnaire actuel, le Qatar, il n’a jamais caché son ambition qui est de remporter la Ligue des champions. Et le plus vite possible. Là aussi on connait le handicap du fair play financier. Si Paris est éliminé par Chelsea, qui est une grande équipe et qui fait une très grande saison, ce sera considéré comme un très gros échec en France. L’année dernière l’élimination avait été douloureuse, après le match aller gagné 3-1 à Paris, il pensait pouvoir se qualifier avant d’encaisser un but à 5 minutes de la fin. Cette saison, Chelsea a l’air beaucoup plus fort et Paris un peu moins, mais en Ligue des champions, le PSG va nettement élever son niveau de jeu, je ne sais pas si ça suffira à éliminer Chelsea mais une élimination en 8e de finale serait un très gros échec.
 
Malgré les investisseurs étrangers et les bonnes surprises Marseille et Lyon cette saison, la Ligue 1 est toujours aussi pauvre en spectacle. Pourquoi ?
Parfois il y a des matches qui sont pas mal... Mais la moyenne des matches n’est pas terrible. Le problème c’est qu’aujourd’hui on a toujours tendance à avoir comme référence le foot anglais. Je ne juge pas le niveau du foot anglais mais en moyenne sur l’ensemble de la Premier League je ne trouve pas qu’il est forcément supérieur à notre Ligue 1 en France, en revanche au niveau du spectacle c’est incomparable ! Au niveau de l’engagement des joueurs, de la volonté d’aller vers l’avant, de marquer des buts (pas toujours avec réussite non plus mais tant pis), on est vraiment dans un autre monde. En Espagne on voit toujours le Real et le Barça qui sont très tournés vers l’offensive et qui marquent toujours beaucoup de buts, ce qui n’est pas le football français par définition, qui est plus un football latin et défensif par tradition. Avec des entraîneurs beaucoup plus prudents et des terrains absolument pas adaptés à la pratique du football. C’est un des problèmes du football français, tout comme l’arbitrage. Tout ceci donne l’impression d’un football frileux, peu excitant et en très grande difficulté économique. C’est un championnat qui s’appauvrit d’année en année et les joueurs qui remplacent ceux qui partent ne sont pas du tout du même niveau.
 
Un mot sur la Coupe d’Afrique des Nations 2014 qui vient de débuter et qui souffre d’un réel désintérêt. Peut-on sauver la CAN ?
Il FAUT sauver la CAN ! (rires) Peut-on la sauver ? Oui, déjà en changeant la date de son organisation, tant qu’elle est organisée en janvier février, au milieu du calendrier européen ça sera compliqué parce qu’il y aura une idée négative du football européen sur cette compétition. Dès début septembre, les entraîneurs commencent déjà à parler des problèmes qu’ils auront en janvier-février parce que leurs joueurs africains vont partir à la CAN et qu’il faudra peut être recruter pour les remplacer. Ca pollue déjà la moitié de leur saison. Il est vrai que ce n’est pas facile dans certains endroits d’Afrique de jouer en été, mais il faudrait choisir les endroits ou c’est possible pour être en conformité avec le calendrier international, comme c’est le cas pour la Coupe du monde, l’Euro où la Copa America. Voilà la solution que je propose !
 
 

La force de CR7 : « Ronaldo est une machine à déstabiliser les défenses. A la fois prévisible et totalement imprévisible. On sait ce qu’il va faire, mais ça ne fait rien il le réussit toujours ! C’est surtout une très forte personnalité. Une star charismatique ».

Ronaldo égale Platini, Cruyff et Van Basten : « Ronaldo c’est autre chose. L’image du champion est devenue tellement importante aujourd’hui qu’on ne peut pas la dissocier de ses qualités footballistiques et à ce niveau-là Ronaldo est une synthèse, ce que ne pouvaient pas être les autres car le contexte n’était pas le même… »