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Ravi Rutnah, Deputy Chief Whip de la majorité «Si le DPP est mal à l’aise, il doit partir»
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Ravi Rutnah, Deputy Chief Whip de la majorité «Si le DPP est mal à l’aise, il doit partir»
Vous êtes fier de vous ?
Fier de quoi ?
Satyajit Boolell, vous lui avez mis les nerfs en boule…
Il prend la décision du gouvernement à coeur, il en fait une affaire personnelle. Le débat ne porte pas sur sa personne mais sur l’institution qu’il représente. Je vais être franc: je n’ai pas du tout aimé sa réaction, elle m’a mis en colère. «Grotesque», «rétrograde», «République bananière», ces mots-là sont indignes d’un Directeur des poursuites publiques (DPP). M. Boolell aurait été mieux inspiré de réfléchir avant de parler. Dans un autre pays, il aurait été poursuivi pour sédition.
Vous espériez quoi, qu’il applaudisse ?
Il politise ce débat. Il sait que son indépendance n’est pas menacée. Il sait aussi que ce gouvernement, s’il le veut, pourrait amender l’article 72 de la Constitution.
Soyez plus clair…
On a les moyens de modifier les pouvoirs du DPP puisque nous avons la majorité des trois quarts.
C’est une menace ?
Pas du tout. Si un jour une motion affecte l’indépendance du DPP, je vous garantis que moi, Ravi Rutnah, mo pa pou ress trankil. Mo pou fou enn bez dans Parlman.
«Son indépendance n’est pas menacée», dites-vous. D’un point de vue constitutionnel, c’est juste. Mais son indépendance financière ?
Le DPP ne sera pas privé de ses moyens (NdlR, pour fixer les idées, Rs 127 millions de budget en 2014). Il n’est pas question de couper les vivres, pas du tout, le but est de mettre fin au gaspillage. (Il va chercher un document dans une armoire). Voici notre programme gouvernemental, paragraphe 251 (il lit). Nou pou met enn lord. La bonne gouvernance et l’accountability ne sont pas juste des mots, ce sont les engagements que nous avons pris devant le peuple.
Le DPP est-il un «dilapideur» des deniers publics ?
Jugez vous-même. Je vous donne un exemple : les dépenses du DPP’s Office en fixtures and fittings. 2010, rien. 2011, Rs 8,7 millions. 2012, Rs 45,5 millions. 2013, Rs 14,4 millions. Et 2014, Rs 3,4 millions. Ces trois dernières années, si vous faites le calcul, la facture s’élève à Rs 72 millions. Juste pour aménager des bureaux ! Moi, ça me choque. Je pense que les citoyens ont le droit de savoir pourquoi la note du mobilier est si salée. Jusqu’à présent, le DPP n’était accountable devant personne, c’était un roi. Eh bien cela va changer.
Et si vous commenciez par changer vous ?
Que voulez-vous dire ?
Vous êtes de mauvaise foi, M. Rutnah. Les dépenses du bureau du DPP sont contrôlées par l’Assemblée nationale et le bureau de l’Audit, vous le savez…
Ce contrôle s’exerce a posteriori. Le DPP indique ses dépenses, ça s’arrête là, il n’y a jamais de sanction. Nous voulons un contrôle en amont, d’où cette décision.
Le DPP la vit mal, il se demande si le gouvernement a un agenda caché. Pouvez-vous le rassurer ?
Complètement. Le DPP n’a rien à craindre. Le gouvernement veut mettre fin aux abus, c’est tout. Maintenant, si Satyajit Boolell pense que son indépendance est affectée, il n’a qu’à démissionner.
Le faire partir, c’est l’objectif ?
Non. Mais si demain j’estimais ne plus être en mesure de faire correctement mon travail de Deputy Chief Whip, je partirais.
Vous le poussez vers la sortie, c’est habile…
Pas du tout, il n’a pas besoin de moi pour ça. Le DPP dit qu’il ne peut plus faire son travail en toute indépendance. S’il en est convaincu, le code d’éthique des avocats – car M. Boolell est un avocat – lui recommande de se retirer. Mais encore une fois, je pense qu’il fait fausse route. Je ne vois pas en quoi le fait d’être placé sous l’égide de l’Attorney General porte atteinte à son indépendance.
Lui le formule ainsi : «Si vous contrôlez mon budget, mes officiers et si vous me demandez de vivre sous le même toit que l’Attorney General, qui siège au Conseil des ministres et qui est un nominé politique, vous appelez ça comment ?»
Ce n’est pas un argument. Avant 2009, le DPP vivait sous le même toit que l’Attorney General (NdlR, «Cette situation avait été longuement décriée comme étant insatisfaisante et anticonstitutionnelle», a fait ressortir le bureau du PP dans un communiqué émis jeudi). L’Angleterre, l’Australie ou le Canada fonctionnent comme ça, je ne vois pas pourquoi à Maurice cela poserait problème.
Y a-t-il, dans ces pays, un ministre soupçonné de trafic d’influence ?
Le problème n’est pas là. Aujourd’hui, tout le monde sait pourquoi l’ICAC a inculpé Pravind Jugnauth et qui est le vrai coupable. On sait tous les mensonges et les manipulations de l’affaire MedPoint.
Cette mise sous tutelle financière n’a donc rien à voir avec le procès auquel M. Jugnauth fait face ?
Strictement rien à voir.
Si le DPP ne vous croyait pas sur parole, vous en offusqueriez-vous ?
Qu’il croit ce qu’il veut. Ceux qui ont suivi l’affaire MedPoint savent que l’ICAC s’est couverte de honte à l’époque de Ramgoolam. Et le DPP a donné son aval pour des poursuites.
Le DPP a donc un «passif» aux yeux du gouvernement ?
Ce n’est pas ce que je dis.
Imaginons que Pravind Jugnauth soit blanchi…
(Il coupe) Non, je n’ai rien envie d’imaginer…
Un petit effort, c’est dans vos cordes…
(Sourire)
Imaginons que Pravind Jugnauth soit blanchi et que le DPP décide de faire appel du jugement au Privy Council. L’Attorney General débloquera-t-il les fonds nécessaires ?
(Direct) Oui.
Comment pouvez-vous être si catégorique ?
Si ena merit dans so lapel, li bizin gayn so fundings.
«Li bizin», dites-vous, mais il n’y a pas de garantie...
Il n’y a jamais de garantie. L’objectif, encore une fois, n’est pas d’empêcher le DPP de faire son travail mais de l’empêcher de gaspiller l’argent du contribuable. Je vous parlais tout à l’heure des fixtures and fittings, il n’y a pas que ça. Inviter des magistrats étrangers dans des cinq-étoiles, ça aussi c’est du gaspillage.
C’est vrai, ce serait tellement plus économique de faire dormir un Law Lord dans un petit hôtel de passe…
(Sourire) Naaan, tout est une question de mesure. Le DPP est un confrère, je n’ai rien de personnel contre lui. Mais je constate qu’il a été déraisonnable, il a commis trop d’abus, il a dépassé les bornes. Nous avons un mandat du peuple pour mettre un terme à ce genre de dérives.
Je vous repose la question : souhaitez-vous son départ ?
Non, et personne ne le souhaite. Mais si lui pense qu’il ne peut plus travailler, il doit s’en aller. C’est une question d’honnêteté professionnelle.
Vous êtes un malin, vous…
Ah bon ?
Je ne souhaite pas qu’il parte mais s’il était honnête il partirait. C’est bien ce que vous dites ?
D’une certaine manière. Écoutez, je me mets à sa place. Si j’estime ne pas pouvoir faire mon travail d’avocat correctement, je me présente devant la cour en disant : “Sorry my Lord, I cannot continue to represent this company because I’m professionally embarrassed”. Si le DPP est mal à l’aise, il doit partir. S’il veut rester, qu’il fasse un communiqué pour dire qu’il n’est plus embarrassé.
Connaissez-vous le nom de son successeur ?
Il n’y a pas de successeur.
Même pas une short-list ?
Même pas.
Vous dites n’avoir «rien de personnel» contre Satyajit Boolell. Pourtant, depuis l’affaire Michaela Harte (NdlR, Ravi Rutnah assurait la défense d’Avinash Treebhoowoon, l’un des deux suspects acquittés), vous traînez tous les deux un vieux contentieux, n’est-ce pas ?
Lin fer dominer ar mwa. Mais pas seulement lui, tout le système judiciaire m’est tombé dessus à l’époque. Tout ça, à cause d’une vidéo. L’avocat du Parquet a dit plusieurs fois en cour que l’hôtel ne disposait pas de vidéo-surveillance. C’était faux, je le savais et je l’ai démontré. J’ai produit un DVD à la dernière minute, on me l’a fait payer. Ils m’ont collé un comité disciplinaire sur le dos pour avoir «brought the legal profession into disrepute».
Donc vous auriez des raisons d’en vouloir au DPP…
Non parce que je ne suis pas rancunier. Je vous l’ai dit : zour ki mo trouv enn dimoun fer dominer ek DPP, mo mem premye dimounn ki pou lev lavwa. Sa ki konn mwa konn mwa…
Parlons de vous, justement. Vous avez grandi dans un milieu modeste, à Rivière-du-Rempart …
Très modeste, même. Mon papa était receveur d’autobus. Nous étions cinq frères. Mes parents nous ont encouragés à apprendre pour progresser dans la vie. Ils ne voulaient pas que l’on vive dans la même misère. J’ai travaillé, j’ai progressé. À 14 ans, je livrais du pain et je plantais des légumes que j’allais vendre au marché. Petit à petit, j’ai gagné ma vie. Aujourd’hui vous me voyez en costume Savoy Taylors Guild mais je pars de loin. En Angleterre (NdlR, il y a vécu durant 25 ans), à côté de mes études, monn fer tou kalite travay. J’ai vendu des journaux, j’ai balayé les rues de Londres, j’ai nettoyé les toilettes des hôpitaux. Ces salaires m’ont permis d’aller à l’université et de devenir avocat. Je ne dois rien à personne, je suis un self-made-man qui s’est construit au sein de deux cultures.
Pourquoi avez-vous choisi de rentrer à Maurice ?
À cause de mes parents. En Angleterre, j’avais tout. Je travaillais pour les meilleurs cabinets d’avocats, j’étais comblé. Une chose est extraordinaire là-bas : on ne vous juge pas. Quand j’envoyais mon CV, personne ne cherchait à savoir si j’étais noir, marron, gran nasyon ou ti nasyon. Bref, je ne me voyais pas rentrer à Maurice. Je revenais de temps en temps pour les vacances ou pour les élections. À chaque fois mes parents me mettaient la pression pour que je reste. En 2010 j’ai fini par céder, j’ai prêté serment au barreau de Maurice. Très vite, j’ai découvert un pays pourri avec des institutions pourries. Puis, le cas Michaela Hart est arrivé et j’ai vécu au coeur de la pourriture. C’est à ce moment- là que j’ai décidé de rester.
Votre entourage confie que vous avez de hautes ambitions politiques…
C’est vrai. J’aspire à devenir un top politicien.
C’est quoi un top politicien ?
Pourquoi pas Premier ministre ? Le peuple a voulu que Ravi Rutnah devienne Deputy Chief Whip. Demain, s’il veut que Ravi Rutnah dirige ce pays, je serai prêt. J’ai toutes les compétences pour exceller en politique.
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