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Ah Fat Lan Hing Choy, ex-trésorier du Parti travailliste: «Navin Ramgoolam contrôlait tout»
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Ah Fat Lan Hing Choy, ex-trésorier du Parti travailliste: «Navin Ramgoolam contrôlait tout»
Pendant deux ans et demi, Ah Fat Lan Hing Choy et Navin Ramgoolam ont fait compte commun à la MCB. Quelles transactions ont-ils effectué ? C’est ce que la police a voulu savoir, ce jeudi 18 juin, en bombardant de questions l’ancien trésorier du PTr (2006-2014). Sans grand succès apparemment. Voici pourquoi.
■ On tourne un peu autour du pot ou on y va direct ?
Ça dépend de vous…
■ Êtes-vous coupable ?
(Yeux écarquillés) Coupable de quoi ? Écoutez-moi bien : ces histoires de magouilles bancaires, ce sont des palabres de journaux, tout est faux. Je n’ai rien à me reprocher, RI-EN ! (il appuie)
■ Si je vous dis 6817 et 6844, vous pensez à quoi ?
(Il répète les nombres) Non, je ne vois pas…
■ Ces sont les derniers chiffres de vos numéros de comptes à la MCB…
Je ne connais pas le numéro par cœur mais j’ai effectivement un compte joint dans cette banque avec Navin Ramgoolam.
■ Un ou deux ?
Un savings et un current.
■ Combien y a-t-il d’argent ?
Rs 16,9 millions. Je l’ignorais, c’est la police qui me l’a dit jeudi.
■ Vous allez chercher vos relevés bancaires aux Casernes centrales, vous ?
D’une, ce n’est pas mon argent. Et de deux, je ne gérais pas ce compte-là. Je m’occupais de l’autre.
■ L’autre ?
À la Barclays. Le Mauritius Labour Party (PTr) a un compte là-bas. Il sert aux dépenses courantes du parti, les salaires du staff, les campagnes électorales.
■ Mais ce n’est pas ce compte-là qui intéresse la police…
Non, c’est celui de la MCB.
■ Ce compte payait quoi ?
Je ne sais pas, je n’ai jamais fait la moindre transaction. C’est ce que j’ai expliqué à la police.
■ Depuis quand étiez-vous co-titulaire de ce compte ?
Mi-2012. Jusqu’à fin 2014, je n’ai fait aucune opération. Zéro dépôt, zéro retrait, zéro virement. Je ne recevais ni chéquier, ni relevé. Tout cela est vérifiable auprès de la MCB.
■ À quoi bon avoir la signature, alors ?
Je vous l’ai dit, j’étais responsable de l’autre compte, celui de la Barclays. J’avais la signature du compte joint parce qu’il était connecté au PTr, indirectement, à travers le leader. C’est lui qui contrôlait tout, je n’intervenais pas.
■ Pourtant, la presse a évoqué un chèque que vous auriez signé au bénéfice de Nandanee Soornack…
Bullshit !
■ Ces Rs 16,9 millions sont à qui en fin de compte ?
Je ne sais pas vraiment. À Navin Ramgoolam, au PTr…
■ C’est l’un ou l’autre !
Les deux, peut-être.
■ L’argent du parti appartient-il au leader ?
(Il approuve d’un signe de la main)
■ D’autres en ont-ils profité ?
Ce n’est pas mon problème, ce n’est pas mon argent.
■ Et vous, vous est-il arrivé de vous servir ?
Jamais ! Vous êtes un fou, vous !
■ Vous croyez ?
(Éclat de rire)
■ Comment décririez-vous votre relation avec M. Ramgoolam, aujourd’hui ?
Lointaine. On se voit peu, on se parle peu. Mais je n’ai aucun problème avec lui.
■ Cette galère, c’est de sa faute ?
Il tombe, on tombe. Quand un nouveau régime arrive, il sanctionne le précédent, c’est comme ça. Je n’accuse pas les autres, on a fait pareil. Le jour où le PTr reviendra au pouvoir, ce sera la même chose. Il faut qu’on arrête ça.
■ «Il tombe, on tombe», c’est-à-dire ?
Tout le monde doit payer. Les travaillistes sont devenus des lépreux.
■ Votre avocat a laissé entendre que l’enquête vous concernant serait longue en raison du nombre important de protagonistes. Vous avez mouillé tant de gens ?
Personne ! Ah Fat n’est pas une balance, mo pann vann personn, ce n’est pas dans ma culture.
■ Et si ça tournait mal…
Je n’ai rien à me reprocher, je ne vois pas ce qui peut m’arriver. Mon problème, c’est que les médias m’ont déjà condamné. C’est à la cour de juger si Ah Fat est un escroc, pas aux journaux. Il y a une justice dans ce pays, elle s’applique aussi à moi, à Ramgoolam, à Rawat. La presse m’a collé une étiquette : Ah Fat est un voleur, c’est un trafiquant, il blanchit de l’argent. Si ena enn voler dan sa parti la, pa tou dimounn ki voler ! Il n’y a aucune charge contre moi. J’ai été entendu deux fois comme témoin. Don’t paint me with the same brush.
■ Elle vous pèse, cette réputation sulfureuse ?
Ce qui me pèse, c’est que les gens passent leur temps à juger les autres. Oui, j’ai des connexions politiques. Oui, j’aime les bijoux de luxe, je fume le cigare, j’ai le crâne rasé et je porte des lunettes noires, so what ? Cela ne fait de moi un escroc. You can’t judge a book by its cover !
■ Les coffres de M. Ramgoolam, est-ce votre œuvre ?
Non.
■ Les images des billets…
(Il coupe) Je n’ai pas vu les images, je n’ai pas la MBC. Laissez-moi vous dire une chose : depuis six mois, les regards sont braqués sur l’argent du PTr comme si c’était une exception.
Tous les partis politiques, je dis bien tous, se constituent un trésor de guerre. Aller aux élections les poches vides, c’est impossible. Même pour Rezistans ek Alternativ.
■ D’où provient ce trésor ?
Des entreprises, principalement. Les donations qui ne sont pas dépensées sont mises de côté. Vous recevez dix, vous gardez cinq, tous les partis le font. L’argent reste avec le leader. Il peut choisir de le placer à la banque ou sous son matelas. Navin, lui, le mettait dans son coffre.
■ Et ces coffres, vous n’avez pas souvenir de les avoir remplis ?
Non. Je m’assurais simplement que le trésor de guerre existait.
■ Et le travail d’approche auprès des entreprises ?
Ça, c’est autre chose…
■ Cela faisait partie de votre travail ?
C’est arrivé.
■ Vous alliez aux donateurs ou bien venaient-ils à vous ?
Les deux. Le plus souvent, ce sont les entreprises qui viennent. Plus elles sont riches, plus elles donnent.
■ À tous les partis ?
Aux gros partis. Et pas nécessairement les mêmes sommes. Mais je ne collectais pas l’argent et je n’étais pas assis sur la caisse.
■ Là encore, Navin Ramgoolam contrôlait tout ?
Dan enn laboutik sinwa, ki kontrol caisse ? Bolom sinwa et personne d’autre. Chaque parti politique a son bolom sinwa, ça s’appelle un leader, c’est lui qui encaisse les donations. Navin Ramgoolam ne me confiait pas cet argent.
■ Les autres partis procèdent-ils de la même façon ?
C’est partout pareil : l’essentiel des donations passe par le leader.
■ Ce sera votre stratégie de défense ?
Quelle stratégie ? C’est la réalité ! L’argent, je n’allais pas le chercher. Mon rôle, c’était de répartir les fonds pour faire tourner la maison et organiser les élections. Untel a besoin d’une sono, un autre de pavillons ou de tee-shirts, j’organisais tout ça. Vous croyez quoi ? Que les CEO m’apportaient des mallettes de billets ? Zot kit sa ek patron !
■ Le 15 décembre dernier, vous lui avez dit «bye» au patron. Pourquoi ?
Après 27 ans de service, j’étais fatigué.
■ Une démission de fatigue ?
Il y avait aussi de la déception. Mon but, c’était de représenter mon parti au Parlement. Trois fois, en 2005, 2010 et 2014, j’aurais dû être candidat. On m’a fait des promesses… J’ai 59 ans, il est trop tard maintenant.
■ Pourquoi les promesses ne se sont-elles pas concrétisées ?
(Rictus blasé) Quel est le critère numéro un pour choisir les candidats ? (Il enlève ses lunettes de soleil) Regardez-moi bien, vous voyez un créole ou un chinois ?
■ On en est encore là ?
Kot to met enn Sinwa-Kreol ? En 2014, j’y ai cru. Finalement, ils ont préféré mettre un «vrai» créole (Ndlr : il fait allusion à Mireille Martin, candidate battue à Port-Louis Ouest–Grande-Rivière-Nord-Ouest, puis désignée Best Loser).
■ L’avenir vous fait peur ?
Moi, peur ? Je n’ai peur de rien ni personne… sauf de lui là-haut (l’index pointé au ciel).
■ Maintenant que vous avez eu le temps d’y réfléchir, je vous le redemande : de quoi êtes-vous coupable?
(Il s’approche) Je vous le redis droit dans les yeux : RI-EN !
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