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Police-DPP-ICAC: tirs croisés
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Police-DPP-ICAC: tirs croisés
C’est une situation sans précédent dans laquelle se trouvent nos institutions. Les Mauriciens assistent depuis le mardi 14 juillet à des tirs croisés entre la police, l’Independent Commission against Corruption (ICAC) et le Directeur des poursuites publiques (DPP) Satyajit Boolell, avec la Cour suprême dans le rôle de l’arbitre. Même les créateurs des séries américaines à succès n’auraient pu imaginer meilleur scénario.
Dans ce psychodrame qui se débobine sous nos yeux, il y a une tête d’affiche avec sa barbe de trois jours, une puissante organisation appelée l’alliance Lepep, une commission dont le directeur général veut démontrer son indépendance et des fonctionnaires de police habitués à ne pas déplaire aux locataires de l’hôtel du gouvernement. Le DPP Satyajit Boolell s’est donc retrouvé en début d’année dans une mauvaise posture lorsque l’équipe menée par sir Anerood Jugnauth a ouvert une série d’enquêtes sur des malversations alléguées perpétrées durant les neuf ans de règne de Navin Ramgoolam.
Le dossier Sun Tan, mentionnant le nom du DPP dans une obscure demande de renouvellement de bail, couplé au maintien d’un taux de location datant d’il y a 20 ans pour un terrain de l’État a irrémédiablement attiré l’attention. Le DPP est alors déjà en indélicatesse auprès du gouvernement. Il refuse que son bureau soit placé sous la tutelle de l’Attorney General’s Office (AGO). Lorsque l’express dimanche mentionne l’enquête ouverte sur ce membre de l’exécutif pour la première fois le 21 juin, l’ICAC décide de creuser le sujet.
Communiqué contradictoire
Après les communiqués émis par le DPP, l’ICAC et celui, plus contradictoire, du ministère du Logement et des terres, tout se détraque. La presse évoque une possible inculpation du DPP pour conflit d’intérêts, une infraction à l’article 13 (2) de la Prevention of Corruption Act (PoCA). Soit le même délit pour lequel Pravind Jugnauth, fils et héritier politique de sir Anerood Jugnauth, a été inculpé sur décision du DPP et condamné à 12 mois de prison.
Satyajit Boolell a deux choix : raccrocher face à cette série d’attaques ou se retrousser les manches pour se battre. Son cœur penche pour la seconde option et mardi 14 juillet, il choisit de jurer un affidavit explosif pour demander à la Cour suprême d’interdire à l’ICAC d’enquêter sur lui et à la police de ne pas l’arrêter.
Pêle-mêle, Satyajit Boolell accuse l’ancien juge Bushan Domah de l’avoir invité à «step down» contre la garantie que l’enquête sera stoppée. Il explique aussi que le directeur général et le chef enquêteur de l’ICAC lui ont confié avoir subi des pressions de la part des ministres Showkutally Soodhun et Roshi Bhadain pour que cette enquête soit bouclée dans les plus brefs délais.
Dans le même intervalle, l’avocate Shakilla Bibi Jhungeer, l’un des deux membres du board de l’ICAC, soumet sa démission à sir Anerood Jugnauth. Cette proche du Mouvement socialiste militant (MSM) estime que le directeur-général pose un regard différent sur le DPP quant à son implication «établie» dans l’affaire Sun Tan. D’où la raison, dit-elle, pour laquelle il n’a pas convoqué celui-ci de manière formelle mais simplement invité à donner sa version des faits.
Contrevérification des dires de Satyajit Boolell
Dans l’après-midi du mercredi 15 juillet, les événements s’enchaînent. Les ministres Bhadain et Soodhun portent plainte contre le DPP pour diffamation au Central Criminal Investigation Department (CCID). L’équipe de l’assistant commissaire Heman Jangi se hâte dans la nuit de mercredi à jeudi pour contrevérifier les dires de Satyajit Boolell. Notamment en interrogeant le directeur général de l’ICAC, Lutchmyparsad Aujayeb, son directeur des enquêtes Chimunlall Ghoora et Narain Krishna Peerun, un membre du board qui est aussi un ancien chef du service des renseignements aux ordres de sir Anerood Jugnauth.
Les trois ayant nié avoir subi des pressions de ces deux ministres, tout a ainsi été mis en branle pour procéder à l’arrestation de Satyajit Boolell pour «swearing false affidavit» le 16 juillet. Le même jour, Pravind Jugnauth doit se présenter devant la cour intermédiaire pour refuser que les 12 mois de prison qui lui ont été infligés soient commués en travaux d’intérêt général afin qu’il puisse faire appel contre le verdict de culpabilité. Un mandat est signé tôt le matin par un magistrat siégeant en cour de Pamplemousses pour cueillir le DPP, une vingtaine de minutes plus tard, à son domicile, à Vacoas.
Les avocats Hervé Duval et Anwar Moollan à la rescousse
Alertés, les avocats Hervé Duval et Anwar Moollan téléphonent à la juge Ah Foon Chui Yew Cheong – celle-là même qui a accédé à la demande du DPP pour interdire à l’ICAC d’enquêter sur lui et à la police de l’arrêter – pour une audience en chambre à travers un ordre d’habeas corpus. Ils procèdent également à l’exfiltration du DPP par une porte dérobée alors que l’équipe d’Heman Jangi attend à l’entrée.
Vendredi 17 juillet, nouveau coup de théâtre en Cour suprême : pour la première fois dans l’histoire de la police, le commissaire Mario Nobin a été représenté par Me Kailash Treelochun – beau-frère du secrétaire général du membre du MSM, Nando Bodha, et qui pratique dans le privé – à la place de Me Carol Green-Jokhoo, Acting Parliamentary Counsel, qui a préféré se retirer. Me Treelochun réclame que la juge se récuse, celle-ci ayant été représentée par Me Moollan dans un procès dont le verdict est tombé le 15 juillet.
La juge objecte et demande à tout ce beau monde de se présenter une nouvelle fois devant elle le 3 août, ce qui donne le temps au DPP d’entreprendre un voyage en Grande-Bretagne. Sans qu’il n’ait à se soucier du fait qu’il pourrait être embarqué par la police. Elle émet une interdiction d’arrestation contre ses deux avocats alors que la police a nié qu’un mandat avait été émis à leur encontre. Sir Anerood Jugnauth, lui, choisit de refuser la démission de Bibi Shakilla Jhungeer du board de l’ICAC.
Dans l’après-midi, les avocats du MSM «se donnent en spectacle» lors de la réunion du Bar Council, si l’on croit les indiscrétions de leurs confrères sur Facebook. C’est également sur ce réseau social que le MSM choisit d’attaquer l’intégrité du DPP. Des caricatures et des slogans insultants y ont été postés depuis la semaine dernière.
L’AGO devrait inviter la LJSC à prendre des «sanctions» contre la juge Chui Yew Cheong
Tout n’est pas terminé : dans les jours à venir, l’AGO devrait inviter la Legal & Judicial Services Commission à prendre des «sanctions» contre la juge Chui Yew Cheong. Pourquoi ? Outre le conflit d’intérêts allégué, du fait que Me Moollan a été son avocat, il y a une disparité entre ce qu’elle avance dans son ordre d’habeas corpus à l’intention du commissaire de police et l’affidavit de Me Moollan qui explique comment il a obtenu cet ordre. Surtout au sujet des horaires. Satyajit Boolell était déjà en Cour suprême quand elle a demandé au commissaire de police d’emmener celui-ci à son bureau…
Le mieux, pour le gouvernement, n’aurait-il pas été de nommer un comité constitutionnel contre le DPP pour «misconduct» sur la base du dossier compilé contre lui? Comme cela a été le cas pour l’ancien commissaire de police Raj Dayal ? En tout cas, nombreux sont les avocats qui, sous le couvert d’anonymat, estiment que Maurice prend des airs d’état-policier…
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