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JIOI: les jeux de la honte
Les Jeux des îles, qui s’achèvent le dimanche 9 août, étaient censés être une grande fête sportive et fraternelle entre peuples amis. Mais ils ont tourné à la farce. Des règlements de comptes politiques, des hymnes nationaux et drapeaux proscrits, un Conseil International des Jeux dépassé, une organisation qui laisse à désirer, une ambiance mièvre... Les athlètes et le public n’ont plus que leurs yeux pour pleurer après le fiasco réunionnais.
Les Comores boudent, la France bombe le torse
Comment les Jeux des îles sont-ils devenus les «Jeux débiles», dixit des internautes? En fait, la neuvième édition a pris un mauvais départ, étant politiquement instrumentalisée selon certains... Ainsi, dès la cérémonie d’ouverture, le samedi 1er août, le bateau a commencé à tanguer. A l’heure du traditionnel défilé des athlètes, la charte des Jeux des îles de l’océan indien (JIOI), datant de 1979, est bafouée. Car au lieu d’«instaurer l’amitié et la compréhension mutuelle entre les peuples des îles de l’océan Indien dans l’esprit de l’olympisme», les athlètes de Mayotte défilent sous le drapeau français et chantent la Marseillaise à tue-tête, aux côtés de leurs camarades réunionnais.
Des Mahorais, fiers d’être français...
Courroucée par cette violation de la charte des Jeux, la délégation des Comores quitte alors les lieux. En soirée, le gouvernement de la République de l’Union des Comores annonce le retrait définitif de ses athlètes. Il se trouve que les Comores revendiquent Mayotte (NdlR, devenu le 101e département français en 2011), depuis 1970.
Pour justement éviter tout incident diplomatique, le Conseil international des Jeux (CIJ) avait pourtant prévu que Mayotte défile avec le drapeau des Jeux et sous l’hymne des Jeux. Jusqu’ici, il ne s’agissait que d’un incident diplomatique. Mais là où les choses s’enveniment, c’est lorsque le ministre français des Sports, Patrick Kanner, défend la position des Mahorais et incite les Comoriens à plus de compréhension: «Je ne parlerai pas d’incident diplomatique. [...] Aujourd’hui, le statut de Mayotte a changé [...], il faut que nos amis de l’océan Indien le comprennent.» En fait, le ministre français ne fait que rebondir sur ce qu’avait dit son Premier ministre, Manuel Valls, lors d’une visite à Mayotte: «Les athlètes mahorais qui remporteront des épreuves chanteront l’hymne national, en tenue de l’équipe de France et sous le drapeau français.»
Pour résumer, la charte est bafouée et la France cautionne ce «dérapage». Certaines voix s’élèvent aussi pour dire que la réaction comorienne était préméditée dans le but d’en retirer un capital politique pour les prochaines élections générales. Dès lors, plus rien ne tournera rond dans ces Jeux...
Une musique d’ascenseur en guise d’hymne national...
Conduit sur le terrain politique, le CIJ, présidé par le Mauricien Philippe Hao Thyn Voon, est dépassé par les événements et décide d’annuler les hymnes nationaux et d’interdire la présence des drapeaux de chaque Etat lors des cérémonies de remise de médailles. Décision qui provoque un tollé chez l’ensemble des pays participants, qui se voient renier ce qui leur est le plus cher: leur identité propre.
Sur les réseaux sociaux, ça explose de tous les côtés. Certains, à Maurice, interprètent cette décision comme une façon de faire des 9e JIOI des «Jeux France océan Indien» avec un drapeau bleu, blanc, rouge qui surplomberait tous les autres. Or, même les athlètes français des îles sont pénalisés, privés de la Marseillaise et de leur drapeau...
Face à cette situation insolite et inattendue, la résistance s’organise. Trois athlètes mahorais, sur le podium du lancer de javelot, fiers d’appartenir à «France océan Indien» mais privés de Marseillaise, lèvent le poing en baissant la tête, mimant Tommie Smith et John Carlos en 1968. Le Glory to Thee retentit pourtant, ainsi que tous les autres hymnes, à chaque remise de médailles, mais... a cappella. Obligés de se coltiner un hymne des Jeux aussi entraînant qu’une musique d’ascenseur, les supporters et athlètes poussent la chansonnette. Quant aux drapeaux, c’est une autre histoire!
Un drapeau malgache arraché: on se vole dans les plumes sur Twitter!
Plus facile d’arracher un drapeau à une athlète frêle et chétive qu’à un judoka imposant et tout en muscles n’est-ce pas? C’est la mésaventure qui est arrivée à Marthe Ralisinirina, lors de la cérémonie de remise des médailles au 3 000 m steeple dames, mardi dernier.
Cette dernière venait tout juste de monter sur la plus haute marche du podium, après avoir remporté l’épreuve et portait le drapeau sur ses épaules. Une responsable du protocole interrompt alors la cérémonie, se rue sur l’athlète et s’empare du drapeau malgache, qui est froissé, sous les huées de la foule. L’officielle demeure impassible.
L’athlète malgache accepte de recevoir sa médaille, sans broncher, les yeux remplis de tristesse. «J’ai retiré le drapeau parce que c’était la cérémonie protocolaire et que l’hymne des Jeux allait être joué», a argumenté la responsable locale. «On a supprimé les drapeaux. Après, quand l’hymne était fini, je lui ai redonné le sien et ce n’était plus mon problème. Après, elle fait ce qu’elle veut», a renchéri un de ses collègues.
N’empêche que sur Twitter, cet incident a pris des allures d’affaire d’Etat. Pourquoi la jeune athlète malgache a-t-elle été privée de son drapeau, contrairement aux trois lanceurs de javelot mahorais qui ont pu conserver leur drapeau tricolore après avoir reçu leur médaille, ou encore le judoka réunionnais Matthieu Daffreville qui s’est vu remettre sa médaille d’or par une Nassimah Dindar (présidente du Conseil général de la Réunion) qui portait un drapeau français sur les épaules, sans qu’aucun officiel n’intervienne? Vous avez dit deux poids deux mesures?
Les internautes malgaches promettent de prendre leur revanche à l’occasion des prochains Jeux de la francophonie...
Médaille d’or de la plus mauvaise organisation?
Comme nous l’a relaté notre équipe de journalistes qui est à la Réunion pour couvrir l’événement, le comité organisateur a tout d’abord «brillé» par de mauvaises conditions d’hébergement et des problèmes de transport. Nos athlètes se sont ainsi plaints de la mauvaise qualité de la nourriture servie sur place, certains se rendant aux compétitions le ventre vide, alors que d’autres auraient forcé les portes d’une cafétéria à une heure avancée de la nuit pour se rassasier, selon un confrère.
Comme en atteste ce statut de la badiste Kate Foo Kune sur les réseaux sociaux: «Petit-déjeuner aux JIOI. Du pain, une pomme et du yaourt... Pas de pâtisseries, céréales, saucisses etc... Bann athlètes qui souffert derrière!»
Les sportifs attendent parfois de longues heures avant d’avoir un bus pour se rendre des sites de compétition à leurs chambres. La badiste Shama Aboobakar l’a parfaitement fait ressortir sur Facebook: «Maurice Badminton fini son match à 2 pm... Transport gymnase - village à 6 pm... 4 hrs d’attente !! Merci à l’organisation... Médaille d’or de la plus mauvaise organisation!»
Et enfin, comment boucler ce chapitre sans mentionner la situation cocasse dans le tableau féminin de volley-ball? Alors que l’une de ses joueuses, Myriam Kloster, est suspendue du tournoi suite aux réclamations des Seychelloises et des Mauriciennes, l’équipe réunionnaise est disqualifiée et la ligue réunionnaise de volley décide ne plus organiser la suite de la compétition. Cerise sur le gâteau: l’entraîneur de l’équipe mauricienne de volley-ball déclare à l’express qu’un officiel réunionnais et des joueuses de la Réunion les ont expulsés, lui et ses joueuses, mercredi après-midi du gymnase de Champ Fleuri, les privant d’entraînement.
Un public réunionnais pas très chaud
Des stades vides, un public pas toujours présent, pourquoi le public réunionnais a-t-il boudé leurs Jeux des îles à domicile? «Ça sert à quoi ces jeux? Ça ne sert qu’à amuser quelques personnes sur des terrains... Ce sont des dépenses inutiles alors qu’on a tellement de choses à faire pour les malheureux!» lâche un internaute sur le site zinfos974.com.
Pour Mehdi Oojeeraully de Saint-Denis, tous les Réunionnais ne sont pas concernés par la fête: «Le niveau dans certains sports laisse à désirer. Les personnes qui suivent sont plus les familles des joueurs leurs amis, leurs proches, j’ai plus l’impression que c’est une compétition populaire. Les personnes les plus aisées sont en vacances ou restent chez elles. La retransmission TV n’est pas terrible non plus.»
En termes d’affluence dans les stades,
le public réunionnais n’a pas placé la barre très haut...
«Cela pourrait être les derniers Jeux des îles de l’océan Indien...» Stéphane Mouezy, secrétaire général de la ligue réunionnaise de volley-ball, n’est, pour sa part, pas très optimiste quant à l’avenir de cette compétition créée en 1979.
Cette édition 2015 aura marqué les esprits, certes, mais pas pour les bonnes raisons.
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