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Joanne Nancy, 26 ans, fossoyeuse : sa vie parmi les morts
23 août 2015, 14:06
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Joanne Nancy, 26 ans, fossoyeuse : sa vie parmi les morts
La morosité ? Elle l’a enterrée six pieds sous terre. Cette maman de deux enfants incarne la joie de vivre, bien qu’elle soit entourée de tombes et de morts. Leçon d’optimisme en cours.
Pour ceux qui s’attendent qu’elle ait une face de déterrée, il va falloir repasser. Car même si elle côtoie tombes et cadavres depuis six ans déjà, Joanne Nancy respire la joie de vivre. Rencontre avec la jeune maman, dont le rire est capable de réveiller les morts.
Il est 9 heures en ce mercredi matin. Le cimetière de St-Jean grouille de vie. Parmi les stèles et les caveaux, une femme qui sourit jusqu’aux oreilles, voire au-delà. Balyé coco en main, bleu de travail sur le dos, bottes en caoutchouc aux pieds, la fossoyeuse dégaine sa verve.
«Mo ti pe travay lor santye avan, ti pe bat beton, netoye, atass feray tousala. Lerla mo ser inn dir mwa banla pé rod dimounn pou rass lerb dan simityer. Ena missye inn gagn per pou vinn travay isi, mwa non !» Puis, elle est passée à un autre stade, celui de «fouy trou». En fait, la journée de Joanne démarre tôt, très tôt. Celle de ses enfants aussi. À 6 heures tapantes, elle réveille son fils Jamel, huit ans, chargé d’aller acheter le pain. C’est ensuite au tour de sa fille, Jamélia, six ans, de sortir du lit. Une fois le petit déjeuner englouti, Joanne quitte la maison, vers les 6 h 30.
«Mo less bann zanfan tousel, pena kass pou pay dimounn pou vey zot. Je les appelle vers 8 heures pour voir s’ils ont bien pris le van qui les conduit à l’école. Enn sans zot pa kouyon, zot debrouye.» C’est en autobus ou à bord de «taxis-train» qu’elle effectue le trajet entre Mahébourg et St-Jean. Le tout en 30 minutes ou une heure. Après un casse-croûte pris au mess situé «là, près de l’église», exit les tasses de thé, enter les pioches et les bêches. Ils sont neuf, dont trois femmes, à s’occuper des morts et à leur creuser de nouvelles demeures. «Gagn 10 lanterman parla sak semenn», explique Joanne. Qu’en est-il de son salaire ? Son porte-monnaie fait-il une tête d’enterrement ? Non, selon la fossoyeuse. «Mo baz la paye Rs 6 000 me mo fer overtime, mo sorti ek Rs 10 000. Je suis censée être en congé un week-end sur deux, mais je préfère travailler pour faire les heures supplémentaires.» Résultat des courses, Joanne travaille 7j/7.
Ce n’est pas pour autant qu’elle n’est pas «happy», prévient-elle. Et de se lancer dans une leçon sur l’économie. «Je dois payer un loyer de Rs 3 600, payer le van pour les enfants, les autres factures, fer komisyon. Rs 300 poul kapav ale enn mwa. Nou manz diri rasyon, nou pa fer lekor mizer me nou pa fer foli. Bizin pa fer gaspillaz.»
Afin de se détendre, elle se rend chez des proches, «bwar enn ti zafer», de temps en temps, pour des occasions spéciales. Il y a peu, elle a commencé à se rendre dans des bals, avec son nouveau «lom bo»… Le précédent s’est rendu aux Seychelles, «linn tasse laba».
Qu’importe, le dernier prétendant en date n’a pas pris ses jambes à son cou en apprenant qu’elle était fossoyeuse. D’ailleurs, il faut davantage se méfier des vivants que des morts, fait valoir la jeune femme. Quand même, ne fait-on pas de cauchemar lorsque votre métier vous amène à hanter les cimetières ? «Au début, oui, mais plus maintenant.»
N’empêche que l’on rencontre parfois des cas de figure assez particuliers… Certains cadavres, par exemple, sont en parfait état de conservation. Ils ont seulement la peau «grasse» à leur arrivée. La «faute» aux injections d’antiseptique, notamment. Il arrive aussi, rarement certes, que des bagarres éclatent avec des proches des défunts.
«Parfwa nou fouy trou inpe ron lerla serkey kare ! Zordi zour, papa oh, kapav trouv serkey letaz tou !» Et puis, «ena zot lizye vinn ble, nou pran foto pou nou guete apre…» Des moments de tristesse, il y en a à la pelle. Comme la fois où cette mère a été enterrée une semaine après son fils handicapé, dont elle s’occupait. «Monn plore tou, ti byen sagrinan.»
Une tristesse de courte durée chez cette battante, de nature optimiste, que la vie n’a pas vraiment gâtée. «Monn aret lekol CPE. Nous sommes sept frères et soeurs et je m’en suis occupée. Aujourd’hui, ma soeur garde parfois mes enfants», confie Joanne, prise d’un énième fou rire. À 15 ans, elle a commencé à travailler dans une usine fabriquant des achards. À 16, «problem dan plantasyon. Lizye inn ouver, inn koumans trouv ti garson…»
Deux enfants, quelques «copains» et pas mal de galères plus tard, elle regarde désormais l’avenir avec plus de sérénité. Son rêve : pouvoir habiter dans sa maison à elle. Mais, «a sak fwa mo al NHDC, zot dir mwa mo pa kapav gagne akoz mo pena missye. Pa kone ki zot gagne sa banla !»
En attendant, elle n’a nullement l’intention de changer de métier. Et a bien l’intention de continuer à profiter de la vie.
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