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Jean-Pascal Assailly, expert en sécurité routière: «Si Maurice instaurait la peine de mort pour les excès de vitesse…»
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Jean-Pascal Assailly, expert en sécurité routière: «Si Maurice instaurait la peine de mort pour les excès de vitesse…»
Depuis 30 ans, Jean-Pascal Assailly dissèque nos comportements au volant. Il conseille aujourd’hui le gouvernement français en matière de sécurité routière. Son expertise apporte un éclairage sur l’indispensable équilibre entre éducation et sanction, prévention et répression.
Quelle est la stratégie la plus efficace pour diminuer le nombre de tués sur la route ?
Que ce soit à Maurice ou ailleurs, la sécurité routière «marche» sur deux jambes, la répression et la prévention. Si vous privilégiez l’une au détriment de l’autre, vous vous coupez une jambe et vous boitez. Il faut les deux, en sachant que répression et prévention ne sont pas efficaces sur les mêmes choses.
C’est-à-dire ?
La répression joue sur la motivation du conducteur, elle le pousse à respecter les règles. Exemple, les radars. Partout où l’on installe des speed cameras, on constate une baisse de la vitesse et des accidents. Cette stratégie a l’avantage de produire des effets rapides. Mais Maurice a aussi besoin d’éducation et de prévention. Tout n’est pas lié à la peur du «bâton». Le travail des auto-écoles est-il de qualité ? L’examen du permis de conduire l’est-il ? Ce sont des questions à se poser.
Sur quoi la répression est-elle inefficace ?
Sur la compétence des conducteurs. Tous les jours, des gens provoquent des accidents sans avoir voulu transgresser une règle. C’est leur mauvaise perception du danger qui est en cause. Dans le cas d’un accident entre un deux-roues et une voiture, les gens vous disent souvent «je ne l’ai pas vu» ou bien «je l’ai vu mais je n’ai pas pensé qu’il ferait ça». D’où l’importance de la formation.
D’autres exemples où la répression ne fonctionne pas ?
Tout ce qui touche aux addictions. Une personne alcolo-dépendante ou dépendante au cannabis a un problème de santé. Tant qu’elle ne le règle pas, elle reste dangereuse sur la route.
Elle n’est plus dangereuse si elle n’a plus de permis de conduire…
Ce n’est pas si simple. En retirant le permis, vous pouvez aussi aggraver le problème. Ces personnes finissent par rouler sans permis. Dès lors elles n’ont plus rien à perdre sur les routes, c’est contre-productif. On sait aujourd’hui que pour les alcolo-dépendants, les éthylotests anti-démarrage sont bien plus efficaces que la prison ou le retrait de permis.
Comment ça marche ?
Le juge vous donne le choix : soit un an de suspension de permis, soit l’obligation de conduire un véhicule équipé d’un dispositif d’antidémarrage par éthylotest. Ce système bloque le démarreur en cas d’ivresse. Beaucoup de pays l’ont adopté car il diminue la récidive. Contrairement à la prison.
Où fixer le curseur de la répression ?
L’acceptabilité sociale est une des limites. Si Maurice décidait d’instaurer la peine de mort pour les excès de vitesse supérieurs à 10km/h, ce serait extrêmement efficace, la mortalité routière chuterait d’un coup. Sauf qu’aucun Mauricien ne veut d’une telle mesure, donc aucun politicien non plus. Je veux dire par là que les approches répressives touchent leurs limites dès lors que l’opinion publique les rejette. L’exemple de la France le montre bien. Nous avons pris des mesures répressives et beaucoup de gens ont perdu leur permis. Ils sont allés râler auprès de leurs élus, qui ont été contraints de lâcher du lest avec des mesures d’adoucissement. C’est un perpétuel jeu de back and go.
«Maurice a aussi besoin d’éducation et de prévention». À quoi pensez-vous ?
À l’éducation en milieu scolaire, dès la maternelle, c’est crucial. Les parents sont également des relais importants : s’ils donnent de mauvais exemples à leurs enfants, il n’y a pas grand-chose à espérer. La prévention, ce sont les campagnes médias. Si on veut que les citoyens respectent les règles, encore faut-il qu’ils les comprennent. Ce n’est pas tout de mettre des radars, il faut expliquer le rôle de la vitesse dans les accidents. Tant que les citoyens pensent que c’est à leur porte-monnaie qu’on en veut, on n’en fait pas de bons conducteurs.
La France a réussi ce pari. En quelques années, le nombre de tués a diminué de moitié. Comment ?
C’est un ensemble de plusieurs choses : la mise en place des radars automatiques, l’arrivée du permis à points et la peur de le perdre, l’agitation politico-médiatique autour ; tout cela a contribué à modifier les comportements.
À Maurice, nous avons peu d’études sur les causes des accidents. On connaît le nombre de morts, de blessés ou le type de véhicule, mais c’est très réduit.
C’est ennuyeux, c’est comme si le ministère de la Santé ne savait rien des problèmes de santé des Mauriciens ! Mettre en place une stratégie implique une analyse des données, et donc en amont une collecte. Après, les facteurs d’accidents à Port-Louis sont globalement les mêmes qu’à Paris : la vitesse, l’alcool, les drogues, le non-port de la ceinture ou du casque. Depuis peu, un facteur gagne du terrain partout en Europe, et j’imagine aussi à Maurice : la distraction, et notamment l’envoi de SMS au volant. Les écrans deviennent un facteur très important d’accident.
Les plus touchés sont les piétons et les deux-roues motorisés, qui concentrent deux tiers des tués. Comment mieux les protéger ?
Sur les piétons, il y a deux groupes à risques bien connus : les jeunes et les personnes âgées. Les messages de prévention doivent les cibler en travaillant sur la visibilité. Un autre axe important, ce sont les infrastructures. Il faut les rendre plus protectrices.
Et pour les deux-roues ?
La surmortalité en deux-roues est un enjeu planétaire. Cette catégorie d’usager est la plus «infractionniste», ce qui n’aide pas. Une première piste consiste à revoir la formation. On constate que l’apprentissage de la conduite d’une moto ne protège pas des dangers. On reste focalisé sur la maîtrise de l’engin, les autres aspects du risque sont négligés. Dans les accidents deux-roues / quatre-roues, j’y reviens, souvent le motard et l’automobiliste ne se sont pas compris. Contrairement à une idée reçue, donc, la genèse d’un accident n’est pas qu’une question de pilotage. Une autre piste, c’est d’essayer de retarder l’âge d’accès aux grosses cylindrées, interdire ces engins-là aux 18-25 ans. Les progrès viendront aussi des équipements, comme les gilets airbag.
Sur nos routes, on ne meurt pas plus aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Pourtant, le nombre de véhicule a triplé. Serions-nous plus vertueux qu’on ne le croit ?
Probablement. Vous avez su contenir l’explosion de la mortalité. Le problème de Maurice est celui du monde entier : comment contenir la mortalité alors que le trafic s’accroît. Près d’1,5 million de personnes sont tuées chaque année sur les routes dans le monde. On sait que le trafic va continuer de se développer de façon exponentielle et que le nombre de victimes ne baissera pas. Mais si l’on ne fait rien, nous arriverons très vite à deux millions de victimes.
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