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Brigitte Michel : la main tendue aux usagers de drogues

1 octobre 2015, 12:40

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Brigitte Michel : la main tendue aux usagers de drogues

La drogue, ça n’arrive pas qu’aux autres. Brigitte Michel a compris très tôt que l’addiction n’épargnait personne. C’est la raison pour laquelle elle s’est jetée à corps perdu dans le soutien et la sensibilisation des jeunes et dans le programme de réduction de risques en mettant sur pied Aide, Infos, Liberté, Espoir, Solidarité (AILES). Pour que cela n’arrive pas à d’autres. 

 

Cette activiste, qui a établi le quartier général d’AILES dans les Loges de Mangalkhan depuis 2009, s’est installée dans cette cité ouvrière à l’âge de cinq ans. Si son enfance est protégée, Brigitte réalise que la cité Mangalkhan est secouée par de nombreux problèmes sociaux : la pauvreté qui engendre la criminalité, la promiscuité, l’utilisation de drogues injectables et le partage de seringues qui laisse comme séquelles l’hépatite C, les infections sexuellement transmissibles dont le VIH/sida et des problèmes de santé publique.

 

 Tout en étant consciente de ces réalités qui ne sont pas les siennes, Brigitte fréquente le collège Notre Dame, prend de l’emploi comme responsable dans diverses entreprises, se marie et a trois enfants. Son destin serait sans doute autre si un de ses proches ne s’était pas laissé happer par la drogue à l’âge de 18 ans. «On croyait qu’il fumait juste un joint, puis c’était l’escalade vers les drogues injectables. Il a dépouillé la famille. Sans compter que la souffrance que cela engendrait tant pour lui que pour sa famille devenait insupportable. C’est là que je me suis sentie interpellée à faire quelque chose pour le sortir de là en premier lieu et ensuite pour éviter que cela n’arrive à d’autres.» 

Elle se renseigne alors et approche Cadress Runghen, animateur du Groupe A de Cassis qui lutte contre la drogue. Avec lui, elle suit une formation de trois mois. Elle fait du volontariat au sein de l’organisme Prévention, Information et Lutte contre le sida (PILS) et suit d’autres formations. Se sentant bien outillée pour encadrer les usagers de drogue injectable, elle organise des campagnes de sensibilisation à la cité Mangalkhan et invite les travailleurs sociaux Cadress Rungen, Danny Philippe, Dhiren Moher, Nicholas Ritter, le président de PILS, et même les policiers de l’Anti-Drug and Smuggling Unit à venir intervenir. 

 

SERVICE DE DÉPISTAGE «OFFERT»

Brigitte Michel est alors constamment sollicitée pour des conseils. Sentant qu’il lui faut une structure d’encadrement digne de ce nom, elle et des amis qui partagent sa vision décident de fonder AILES Elle étudie en vue de décrocher son diplôme en Community Work Services auprès de l’Institut Charles Telfair.

 

 AILES a pour objectifs d’accompagner les usagers de drogues dans leurs démarches de désintoxication ou de traitement de substitution, de soutenir les personnes vivant avec le VIH et leur famille, de sensibiliser aux risques que peuvent encourir les jeunes face à la prise de drogues et promouvoir le safe sex«Nous intervenons aussi en counselling et offrons un service de dépistage qui est dirigé par un infirmier qualifié. Nous rendons visite à domicile aux personnes vivant avec le VIH, qui sont souffrantes et qui ont besoin d’accompagnement dans leurs démarches administratives et médicales. Nous intervenons aussi dans les cas de discrimination et soutenons la personne afin qu’elle monte un dossier et le dépose auprès de l’autorité concernée.» 

 

Au vu de sérieux résultats réalisés par l’organisation, Brigitte obtient le parrainage financier du Decentralized Cooperation Programme de l’Union européenne et du Global Fund. En 2012, le ministère de la Santé demande à AILES de l’aider à mener à bien son programme de réduction de risques qui comprend le programme d’échange de seringues (PES). «Comme nous travaillons avec les autorités et que nous croyons au bien-fondé du Harm Reduction qui fait baisser l’incidence du VIH/ sida, nous avons accepté. Deux fois la semaine, le ministère nous envoie sa caravane qui se gare devant notre local et nous facilitons le PES sans prendre de rémunération du ministère.» 

 

PLUS DE 500 PERSONNES ACCUEILLIES

Ce PES mené par le ministère de la Santé permet aux usagers qui s’injectent encore de ne pas s’infecter avec le VIH et l’hépatite C, de ne pas infecter leurs partenaires sexuels ni leurs enfants. C’est cette pratique qui, couplée à la méthadone, a aujourd’hui permis de diminuer le nombre de personnes séropositives à Maurice et ailleurs.

 

 À ce jour, AILES reçoit la visite de plus de 500 personnes, hommes, femmes et enfants confondus. «On les accueille comme des humains afin de ne pas les discriminer. AILES effectue un gros travail de prévention auprès des jeunes de la cité et ceux de Curepipe et de Vacoas. De plus, nous sommes la seule organisation non gouvernementale à couvrir les régions de Curepipe, Vacoas, Quatre-Bornes.»

 

 Depuis que cette ONG existe, Brigitte déclare n’avoir jamais reçu de menaces de la part des dealers. «Ce n’est pas notre rôle de jouer les indicateurs pour la police. Les policiers le savent et l’acceptent et les dealers aussi. Notre priorité, ce sont nos clients.» 

 

Par contre, elle a récemment été intimidée par un des conseillers du Mouvement socialiste militant à la mairie de Curepipe, à savoir Hans Marguerite dont la maison et le restaurant/bar sont situés en face d’AILES «De 2009 à 2014, nous entretenions d’excellents rapports de bon voisinage. Ses proches venaient même faire de la zumba dans le local d’AILES Même s’il a dit dans l’express qu’il n’a jamais mis les pieds à AILES, il a participé à plusieurs de nos activités en compagnie des ministres Sinatambou et Bodha et nous avons même des photos qui le prouvent.» 

 

Elle ne comprend pas ce qui a causé ce revirement de situation et comment de solidaire qu’il était, le conseiller est devenu hostile. Elle raconte avoir fait deux demandes écrites à la mairie de Curepipe qui sont restées lettre morte. Elle a demandé de louer une salle contiguë à son local afin d’y transférer les sessions de zumba et de Kids Dance Therapy. «Ce cours de danse est aussi un moyen de sensibiliser les jeunes aux méfaits de l’utilisation de la drogue et de leur offrir un loisir sain, entre autres.» 

 

«LE CONSEILLER MARGUERITE A TOUT FAUX»

Ensuite, comme les administratifs de l’association sont à l’étroit dans le bureau où sont également rangés les donations et les dossiers, elle a fait une demande afin de poser un conteneur dans la cour des Loges et de l’utiliser à des fins de bureau. «Il n’a jamais été question d’utiliser ce conteneur pour faire l’échange de seringues. Le conseiller Marguerite a tout faux.»

 

 La mairesse Nathalie Gopee a fait une visite surprise aux Loges de Mangalkhan le 14 septembre. Brigitte et tous ceux présents dans le cadre de cette visite ont été choqués de voir débarquer le conseiller, ses proches et ses agents. «Il a eu un comportement inapproprié. En parlant, il a traité nos clients de sidéens et de drogués. En 2015, alors que les ONG de tous bords militent contre la stigmatisation et la discrimination, c’est honteux que quelqu’un qui a été élu, sans doute par ces mêmes personnes, traite ces dernières comme des parias.» 

Brigitte déclare qu’il existe à Maurice des lois qui ne permettent pas ce genre de comportement et qui garantissent l’égalité de tous ainsi que la non-discrimination. «Nous ne sommes pas une association socioculturelle. La drogue et le VIH sont des problèmes de santé publique qui devraient être l’affaire des décideurs de notre pays. Nous menons un combat tous les jours pour aider ces utilisateurs qui veulent en finir avec les drogues.»

 

 La coordinatrice d’AILES fait ressortir que son ONG et elle-même n’ont rien à se reprocher. Elles ont toujours été transparentes dans ce qu’elles font, argue-t-elle. «Ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas d’agenda caché. Si aujourd’hui, le Decentralized Cooperation Programme et le Global Fund nous font confiance, c’est parce que nous avons apporté des résultats.» Brigitte ajoute avoir donné une déposition à la police face aux menaces proférées à leur encontre. «Une pétition circule actuellement pour nous évincer des lieux. Nous nous battons tous les jours et ce n’est pas aujourd’hui que nous baisserons les bras.» 

 

Brigitte Michel peut s’enorgueillir d’avoir réussi sa mission : la personne qui est à l’origine de son implication personnelle à AILES ne se drogue plus. Elle a fondé une famille et se plaît à s’entourer de ses enfants et à mener une vie normale. «J’ai eu ma récompense. Cela valait la peine de lutter. Je continue pour les autres…»