Publicité

Pamela, Mauricienne à Paris: «Je vis avec la peur au ventre»

21 novembre 2015, 11:15

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Pamela, Mauricienne à Paris: «Je vis avec la peur au ventre»

Pamela Gunnoo, une Mauricienne de 48 ans, travaille et habite avec ses trois enfants dans le 13e arrondissement de Paris. Elle décrit un quotidien difficile depuis les attaques et craint de nouvelles répliques.

 

Commençons par les présentations…

Je suis fonctionnaire à la mairie de Paris, je travaille dans le secteur de la petite enfance. J’ai trois enfants de 14, 18 et 22 ans. Ils sont nés ici, pas moi. J’ai grandi à cité Mangalkhan. Mes parents se sont séparés quand j’avais 6 ans. Ma mère nous a laissés, elle est partie à Paris. C’est pour elle que je suis venue, j’avais besoin de comprendre.

À 19 ans, j’ai fait mes valises. Je suis venue chercher ma mère et surtout des réponses à mes questions. Depuis, je n’ai plus quitté Paris. Ça fait presque 30 ans. Je vis avec mes enfants dans le 13e arrondissement, à quelques stations de métro du Bataclan et des tueries du 13 novembre.

Racontez-moi votre semaine…

(Longue expiration) L’ambiance est lourde, tendue, bizarre. Je n’avais jamais vu la ville comme ça, aussi triste. On sent que tout le monde a été touché par ce qui s’est passé. J’habite près d’une grande université, les rues sont désertes. Tout est désert.

À un mois de Noël, les magasins sont vides, les Champs Élysées sans vie, les gens ne veulent plus sortir. On sent une cassure, une peur qui s’est immiscée dans la vie quotidienne des gens. J’essaie de continuer à vivre normalement, ce n’est pas facile. Il faudra du temps pour que cette blessure guérisse. Et encore, je m’estime chanceuse. Des gens autour de moi ont perdu des proches.

Et au travail, quelle est l’ambiance ?

C’est triste. D’habitude, le matin en arrivant au boulot, j’aime bien mettre ma musique,enn bon ti séga. Les collègues apprécient, ça met une bonne ambiance. Là, je n’ose plus. Ma directrice l’a remarqué, elle m’a dit :«Vas-y Pamela, on ne va pas s’arrêter de vivre.» Elle a raison, la vie doit reprendre petit à petit.

J’ai vu des jeunes aux terrasses en fin de semaine, ça fait plaisir. Leur génération est la plus touchée. République, Bastille, c’est leur quartier… (elle s’interrompt)J’ai failli perdre un fils, vous savez. Mon aîné était dans un bar à République pour voir le foot avec des copains. Il est rentré le lendemain à 11 heures. Il m’a dit : «Maman, j’ai vu la mort de trop près.» Il s’était réfugié avec tout le monde dans les toilettes du bar. Il s’en est sorti, Dieu merci.

Craignez-vous de nouvelles attaques ?

Bien sûr. La question n’est pas de savoir s’il y aura d’autres attentats, mais quand… Mon travail n’est qu’à cent mètres de chez moi, j’ai une rue à traverser… qui ne m’a jamais paru aussi longue. Je vis avec la peur au ventre. On vit tous avec la peur au ventre.

En quoi la situation est-elle différente de janvier, après les attentats de Charlie Hebdo ?

Ce n’est pas pareil. Maintenant, on sait que les fanatiques peuvent tuer au hasard. Prendre un verre, aller à un concert, c’était des activités qu’on pensait sûres. Bah non. C’est ça qui cause l’anxiété. Chacun se méfie de tout le monde. Dans les transports, les gens se dévisagent. J’ai une collègue maghrébine, elle n’en peut plus d’être regardée comme une suspecte. L’autre jour, elle a pleuré dans mes bras. Elle m’a dit :«Pamela, on met tout le monde dans le même sac.» C’est malheureux… J’ai prévenu mes enfants, surtout les deux grands : «N’oubliez pas vos papiers quand vous sortez, vous serez contrôlés plus souvent.»

Êtes-vous en contact avec les Mauriciens de Paris ?

Oui, j’ai beaucoup d’amies mauriciennes ici. Depuis les attaques, on se voit tous les jours. Dans ces moments, c’est important d’échanger, de rester ensemble. Le plus dur, c’est pour les personnes qui vivent seules. Avec les enfants, je parle beaucoup aussi. Il y a un besoin de parole. Mon fils qui a vécu les attaques n’a pas desserré les mâchoires pendant trois jours. Je ne l’ai plus reconnu. Ça commence à aller mieux. Il met des mots petit à petit.

Le vivre ensemble à la mauricienne vous manque-t-il ces jours-ci ?

J’ai envie de vous dire non parce que ce vivre ensemble existe aussi à Paris. Au travail, je retrouve cette mixité. Il y a des Antillais, des Arabes, des Blancs, des Mauriciens… Mon île, j’aime y retourner en vacances. Tous les deux, trois ans, rendre visite à la famille à Vacoas, Curepipe, Eau-Coulée. Mais ma maison, c’est Paris. J’adore cette ville, pour rien au monde je ne la quitterai. Mes trois enfants y sont aussi très attachés. Partir, on n’y songe même pas.

François Hollande a promis de «détruire» l’État islamique. Pensez-vous que les bombardements vont résoudre le problème ?

Ça va l’aggraver. Les États-Unis ont détruit Oussama Ben Laden, pas Al-Qaida. Cette ambiance guerrière m’inquiète. Même si l’État islamique était complètement détruit, ses idées resteraient et de nouvelles organisations terroristes apparaîtraient sûrement. Pour moi, c’est sans fin…