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Vincent Carosin: «Le HR est le pire des départements à Air Mauritius»

7 décembre 2015, 08:22

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Vincent Carosin: «Le HR est le pire des départements à Air Mauritius»
 

Ce n’est pas la première fois que le personnel navigant commercial (PNC) d’Air Mauritius essuie des critiques de politiques. «Mais c’est la première fois que les propos sont aussi blessants. Ils le sont parce qu’il (NdlR : Showkutally Soodhun) s’attaque frontalement aux employés, aux 1,4 million de Mauriciens et étrangers qui ont choisi Air Mauritius, aux autres minitres de son gouvernement, à l’actionnaire majoritaire et à toutes les Very, Very Important Persons qui continuent à voyager à bord d’Air Mauritius. Je préfère penser que ces propos sont un lapsus dû à son vocabulaire limité», déclare Vincent Carosin, Flight Purser et président de l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA).

Cet homme de 43 ans se destinait à l’hôtellerie après des études secondaires au collège du St-Esprit et un stage de neuf mois à l’hôtel Trou-aux-Biches. Mais c’est son cousin pilote à Air Mauritius qui l’incite à postuler pour entrer comme membre du personnel navigant commercial.

Il intègre la compagnie le 3 août 1992. Il ne regrette pas ses presque  24 ans de service. «Autrement, je n’aurais pas connu ma femme Golda, hôtesse de l’air, et auprès de qui je puise la sérénité pendant la tempête.» Et puis, il trouve ce métier passionnant car pas routinier. Il intègre l’exécutif de l’AMCCA en 1995 et y occupe plusieurs positions avant de se retirer.

 

«Nous sommes pour les changements mais dans le dialogue»

En 2002, il y retourne pour seulement huit mois avant d’y revenir en 2012 «parce que nos collègues ne se sentaient pas intéressés par les enjeux qui se présentaient à nous. Il fallait des gens qui avaient la tête sur les épaules pour faire face à la direction et protéger les acquis car la compagnie allait déclarer plus d’un milliard de roupies de pertes opérationnelles pour l’exercice financier et le directeur général, après avoir signé des accords avec tous les syndicats, s’apprêtait à tout remettre en question avec un vaste plan de réduction des dépenses». Vincent Carosin souligne que le syndicat n’a jamais été contre les changements. «Nous sommes pour les changements mais dans le dialogue.»

Ce que le syndicat a obtenu depuis qu’il a repris les rênes avec les autres membres de son exécutif, affirme-t-il, c’est d’arriver à mettre en place un système de Flight and Days Off Request plus avantageux et plus transparent. Il reconnaît qu’il y a eu beaucoup de passe-droits à la suite d’interventions politiques, quel que  soit le gouvernement en place.

Et les dernières interventions politiques ont eu lieu en juillet. Deux membres d’équipage ont eu des congés sans solde alors qu’ils n’y avaient pas droit pendant la haute saison. «Au département des ressources humaines, ils ont été incapables de donner une réponse claire, se contentant de dire qu’il faut regarder au plus haut échelon, c’est-à-dire au niveau politique», déclare le président de l’AMCCA qui ajoute que, depuis, le syndicat essaie de mettre en place un système qui permettra un audit à tout moment. «Cela nous donnera une meilleure visibilité du vacation planner et un meilleur contrôle.»

À l’écouter, c’est aussi au niveau du Human Resources (HR) Department que le bât blesse. «Le HR est le pire des départements à Air Mauritius et 80 % des problèmes du PNC découle des HR policies qui existent et ont été approuvées mais ne sont pas appliquées. Je trouve inconcevable et d’une certaine façon discriminatoire qu’il y ait différents types de contrats pour les mêmes métiers. Depuis avril, nous n’avons pas de responsable au niveau de ce département, qui en dix ans, a changé sept Executive Vice President.»

Le métier de PNC a complètement basculé depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Alors qu’avant cette date, le rôle du PNC était de s’assurer de la sécurité et de l’aspect commercial, son rôle s’est modifié depuis. Le personnel de cabine a désormais la responsabilité d’assurer la sécurité et la sûreté avant toute chose. «Le nombre d’activités à exécuter avant le décollage de tout vol est exponentiel. Le personnel de cabine est tellement pris avec le screening de la cabine et des passagers pour déterminer de possibles menaces que le commercial passe au second plan.»

De plus, dit-il, à la suite d’un caprice d’un politicien et depuis que la direction a courbé l’échine et a fait enlever le bœuf du plateau-repas, il y a surexploitation des repas spéciaux. «Sur certaines lignes comme Londres, l’Inde et les pays asiatiques, on peut avoir jusqu’à 150 plateaux-repas spéciaux à servir en parallèle et en simultané aux passagers. Dans de telles conditions, comment voulez-vous que le service n’en souffre pas ? Dans d’autres compagnies aériennes, cette surexploitation de repas spéciaux n’existe pas. Air Mauritius refuse systématiquement tout dialogue avec les syndicats à ce sujet de peur de se faire taper sur les doigts par des associations socioculturelles et des politiciens.» Il prend l’exemple d’Air India où le même plateau-repas avec un plat principal est servi à tous les passagers avec un ajout végétarien ou non végétarien sur ledit plat principal. «Pourquoi ne peut-on faire la même chose à Air Mauritius ?» se demande-t-il. Il estime qu’Air Mauritius aurait pu faire un concours culinaire pour les chefs mauriciens afin de concevoir un menu reflétant la diversité du pays.

Ce concept de Signature Dish est bien ancré dans quelques compagnies aériennes telles que la Malaysian Airline. L’expérience a été tentée dans le passé avec Antoine Heerah, chef mauricien dont le restaurant est établi à Paris. «Il avait fait des propositions intéressantes et goûteuses mais sans doute trop avant-gardiste pour la direction d’alors.»

«Les politiques devraient nous laisser travailler en paix, sans épée de Damoclès sur notre tête. Les ingérences politiques et la politique de petits copains, ça suffit… »

Il a été dit que le PNC perçoit des allocations faramineuses. C’est un mythe selon Vincent Carosin. «Comme dans toute autre compagnie aérienne, on touche une allocation variable qui nous permet de subvenir à nos besoins lorsque nous sommes en rotation. Dans un pays comme l’Inde par exemple où des problèmes de sécurité alimentaire se posent, il est de notre devoir de nous assurer que nous mangeons dans un endroit où l’hygiène est respectée.» Il ajoute qu’une intoxication de quelques membres du personnel de cabine peut clouer un avion au sol, sans compter les coûts supplémentaires d’hébergement et d’hospitalisation pour la compagnie. «Alors, il n’y a pas de choix. La sécurité alimentaire a un coût.»

Pour en revenir aux propos du ministre Soodhun, Vincent Carosin déclare que de toute sa carrière, il n’a jamais vu de «siège déchiré» sur un avion d’Air Mauritius.«Le ministre faisait sans doute allusion aux housses des fauteuils. Avant que les passagers ne montent à bord, le personnel de cabine vérifie bon nombre de choses dont les housses et si une est abîmée, il y a des housses de rechange et les ingénieurs les échangent avant le vol.»

Vincent Carosin n’a pas goûté non plus la comparaison entre Air Mauritius et Emirates. «C’est clair qu’il ne sera jamais un spécialiste de l’aviation. Emirates est peut-être une référence en première et classe affaire mais pas en économie. De plus pour le PNC (...) D’ailleurs, il y a un système qui se met actuellement en place au niveau mondial et c’est le Fatigue Risk Management System qui est plus exigeant en termes de repos pour le PNC et les pilotes. Car l’International Civil Aviation Organisation a reconnu que la cause principale des accidents d’avion est la fatigue. À Air Mauritius, nous nous conformons à ce système à plus de 85 % et pour les PNC, seuls les vols sur Cape Town, Hong Kong et Pékin posent problème», affirme Vincent Carosin.

Selon lui, cela aurait été tout à l’honneur du ministre Soodhun de retirer ses propos ou de s’excuser. À défaut, lui, son vice-président, Thierry Gillot et les autres membres de l’exécutif du syndicat s’attendent que le président du conseil d’administration prenne position. «Nous apprécions l’intervention de Bissoon Mungroo, membre du conseil d’administration. Mais nous attendons une réaction du board.» Vincent Carosin et ses membres participeront à une grande manifestation de l’Intersyndicale d’Air Mauritius et des autres syndicats des secteurs libérés le samedi  12 décembre à Rose-Hill. «Notre plus belle réponse au ministre Soodhun est le fait que le consultant aérien Skytrax nous a promus dans la hiérarchie des compagnies aériennes et que de trois étoiles, nous sommes passés à quatre en 2014. Les politiques devraient nous laisser travailler en paix, sans épée de Damoclès sur notre tête. Les ingérences politiques et la politique de petits copains, ça suffit… »