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Zouberr Joomaye: «Quoi qu’il arrive à Pravind Jugnauth, ce sera bon pour le MMM»

18 janvier 2016, 20:37

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Zouberr Joomaye: «Quoi qu’il arrive à Pravind Jugnauth, ce sera bon pour le MMM»

Il a l’âge de son parti, sourit facilement et s’exprime d’une voix calme, toujours égale. Pourquoi s’affoler? Le Dr Zouberr Joomaye, député MMM de Rivière-des-Anguilles et Souillac (n°13), a le diagnostic optimiste: le MMM, dit-il, a tout à gagner du procès Jugnauth, peu importe le verdict qui tombera. Rencontre en salle d’attente.

Vous êtes plutôt discret dans les débats. C’est si difficile d’exister au MMM ?

Ma discrétion n’a rien à voir avec la politique, c’est dans ma nature, c’est ma façon de vivre. Je ne suis pas quelqu’un de volubile, d’exubérant. Et puis, en politique, quand vous parlez trop, on ne vous écoute plus. Je parle quand j’ai quelque chose à dire.

Cette discrétion, vous la cultivez aussi au Parlement. Vous vous y ennuyez ?

Au contraire, j’ai eu une année parlementaire plutôt intense.

Selon le décompte d’un quotidien, vous avez posé cinq questions en 2015. Vous étiez à fond ?

Ce chiffre est faux, j’ai posé 21 questions, vous pouvez vérifier auprès du Clerk de l’Assemblée (NdlR, après vérification, son chiffre est le bon). Vous pensez sérieusement qu’avec un Whip comme Rajesh Bhagwan, on peut s’en sortir avec cinq questions sur une année ? (rire)

Et Pravind Jugnauth, va-t-il s’en sortir d’après vous ?

Je ne suis pas juge. Ce que je sais, c’est que le verdict de la Cour suprême sera déterminant à trois niveaux: pour Pravind Jugnauth lui-même, pour son parti et, par ricochet, pour les autres partis car il y aura des répercussions pour tout le monde. Ça, c’est le volet politique. Et puis il y a le volet judiciaire. Ce procès est un très bon test pour mesurer son indépendance.

Doutez-vous de cette indépendance ?

Non, le système judiciaire est le plus solide rempart de la démocratie mauricienne. C’est l’occasion de le réaffirmer.

Une justice forte et indépendante, à vos yeux, est-ce une justice qui condamne Pravind Jugnauth ?

Ce n’est pas ce que j’ai dit.

Mais vous l’avez insinué. Quelle sera la décision de la Cour suprême, d’après vous ?

(D’abord hésitant, il finit par se lancer) Si je fais appel à mon bon sens, je me dis que ce sera très compliqué de déjuger les magistrats de la cour intermédiaire. Donc, je pense que la Cour suprême va confirmer le premier jugement.

Vous le pensez ou vous le souhaitez ?

Non, le MMM n’a pas besoin de ça, nous sommes en train de progresser… (on coupe)

Encore heureux. Plus bas, vous auriez fini par trouver du pétrole !

Écoutez, on a bien remonté la pente en 2015 et cette nouvelle année débute sous les meilleurs auspices.

Sur quel scénario travaille le MMM pour ce qui est du verdict de la Cour suprême ?

Les deux, car ils nous sont l’un comme l’autre favorables. Première hypothèse, il gagne. Très vite, il va vouloir se positionner comme Premier ministre. Comme il n’aura pas été élu, cela posera un problème. Il n’a pas de mandat premier ministériel, il a été élu député de la circonscription n°8, ce sera notre ligne d’attaque. S’il perd, les dissensions au sein de la majorité seront de plus en plus fortes, une pléiade de prétendants va sortir du bois pour prendre les rênes du gouvernement. C’est déjà le cas mais ce sera pire.

Cette affaire, politiquement, c’est donc du pain bénit ?

Complètement. Quoi qu’il arrive à Pravind Jugnauth, qu’il gagne ou qu’il perde, ce sera bon pour nous. S’il se positionne comme Premier ministre sans mandat populaire, c’est du grain à moudre. Déjà, avec un mandat populaire, Anerood Jugnauth est à la peine, alors imaginez quelqu’un qui n’a pas été investi. Cela ruinerait la cohésion du gouvernement, ce monstre à plusieurs à têtes.

De quelles têtes parle-t-on ?

Des leaders de partis, des ambitieux du MSM, Roshi Bhadain, d’autres. Le plus grand ennemi de cet homme, c’est lui-même. Il se fait du mal en essayant de tout contrôler, tout gérer. Même au sein de son (sic) gouvernement, tout le monde a peur de lui. Bref, si Pravind Jugnauth est exclu de la course, une armée de candidats se sentira investie d’une mission. Et tout ce beau monde va s’étriper pour le leadership.

Reste une inconnue : le DPP contestera-t-il une décision favorable à Pravind Jugnauth ?

Quand on écoute le réquisitoire de Me Rashid Ahmine (NdlR, l’un des avocats du parquet), on peut penser que oui, le DPP ira au Privy Council.

Il aurait confié le contraire à des proches…

Les conversations en privé, les 'quelqu’un a dit que quelqu’un a dit’, je m’en méfie, ça m’a valu une arrestation. J’ai même été poursuivi pour complot en vue de déstabiliser le gouvernement (NdlR, une charge rayée un an plus tard). Je me suis senti d’un coup très important ! (rire)

La fameuse «confidence» de M. Soodhun ? 

C’est ça.

À ce titre, vous avez été l’un des acteurs de l’affaire MedPoint.

Mouais, pas vraiment… Nous sommes en 2011, M. Soodhun m’assure que Pravind Jugnauth n’a rien à voir avec la réévaluation de la clinique, que c’est Navin Ramgoolam qui a tout manigancé après une rencontre avec le Dr Malhotra. J’en parle à Paul Bérenger, vous connaissez la suite.

 

Avec le recul, pensez-vous que M. Soodhun vous a manipulé ?

Non, je ne pense pas qu’il ait menti. Lui-même a dit en cour qu’il avait sans doute mal interprété les propos du Premier ministre (NdlR, poursuivi pour diffusion de fausse nouvelle, Showkutally Soodhun a été acquitté en novembre dernier). La vérité, c’est le Chief Government Valuer, Yodhun Bissessur, qui la détient. À condition qu’il retrouve la mémoire.

Revenons à l’actualité, pourquoi avez-vous démissionné du comité parlementaire de l’ICAC ?

Parce que la commission anti-corruption est devenue un outil politique. Nous ne voulons plus cautionner cette mascarade qui fait honte au pays. Voilà pourquoi nous sommes tous partis (NdlR, lui et les deux autres MMM, Veda Balamoody et Rajesh Bhagwan, siégeant sur ce comité).

Concrètement, vous reprochez quoi à qui ?

Dès le début, c’était mal parti. D’abord, Luchmyparsad Aujayeb a été nommé directeur général au mépris de la loi, sans consultation avec le leader de l’opposition. Il y a eu ensuite l’affaire Sun Tan dans laquelle M. Aujayeb s’est embourbé. Dans la foulée, Shakila Jhungeer démissionne du board, elle accuse le directeur de ne pas agir selon la loi. Puis elle ravale ses propos et retourne s’asseoir sur le board comme si de rien n’était. Une mascarade... Il y a deux semaines, la cerise sur le gâteau : M. Aujayeb démissionne et il est remplacé par un cousin du ministre Bhadain. Et encore, quand je dis «remplacé», pas vraiment, Kaushik Goburdhun n’est qu’Acting Director. Ce qui a permis de court-circuiter le leader de l’opposition.

C’est ce qui vous dérange le plus ?

Trois choses me dérangent. Un, l’absence de consultation. Deux, c’est impensable que l’ICAC fonctionne sans directeur général. Et trois, une collusion familiale évidente. C’est malsain et dangereux que l’Acting Director de l’ICAC soit parenté à un ministre. Si encore il avait été sélectionné parmi d’autres, je veux bien, mais il n’y a pas eu d’appel à candidature.

Je vous rappelle que M. Goburdhun a rejoint l’ICAC en 2007 sous un autre gouvernement.

Pourquoi n’a-t-il pas démissionné pour postuler au poste de DG ? L’ICAC est le jouet politique du MSM. C’était le jouet du précédent gouvernement, rien n’a changé. Derrière tout cela, le but est d’affaiblir la commission anti-corruption. Je pense même que ses heures sont comptées. L’objectif du gouvernement, c’est de placer l’ICAC sous la tutelle d’une institution plus puissante.

Une Financial Crime Commission ?

Exactement. La Financial Crime Commission chapeautera bientôt l’ICAC. Le Parlement a déjà budgété sa création.

D’une commission à l’autre, au MMM, vous présidez celle sur la santé (NdlR, il est gastro-entérologue de profession). Quel regard portez-vous sur l’action du ministre Gayan ?

M. Gayan est un ministre médiocre. Notre système de santé est arrivé à un stade où il nous faut absolument une vision d’ensemble, faute de quoi nous continuerons à dépenser beaucoup d’argent pour des résultats insuffisants. Le budget de la Santé, c’est Rs 11 milliards par an, soit 10% du budget national. C’est énorme ! Dans des pays comme l’Angleterre, ce ratio tourne autour de 5%. Ce qui nous manque, c’est un mécanisme d’évaluation. Nous avons un audit sur les moyens mais pas sur la performance. Les dépenses sont-elles efficaces ? Permettent-elles d’améliorer les soins, de faire reculer les maladies ? Il est très important de répondre à ces questions.

La période des voeux tire à sa fin. Que souhaitez-vous à Pravind Jugnauth ?

Du courage. À lui et à sa famille, ils en auront besoin.

A Paul Bérenger ?

(Il réfléchit longuement) Qu’il redevienne très vite Premier ministre.

Votre ton vous trahit…

(Éclat de rire) Non ! non !

Vous n’y croyez pas vous-même, ça se voit !

Mais si j’y crois (rire). Si je n’y croyais pas je m’occuperais à plein temps de mes patients. Je suis engagé au MMM, on se bat tous pour que le parti aille seul aux élections avec Paul Bérenger comme Premier ministre.

Quelles élections ?

Ça va vite, vous savez. Les Mauriciens manquent de distraction, au bout de la troisième année de mandat on commence à parler d’élections. À la fin de l’année prochaine, nous serons en période préélectorale.

Et vous, que vous souhaitez-vous ?

Je dois progresser dans ma vie de parlementaire. Je suis en apprentissage, c’est laborieux.

L’humilité, au MMM, c’est nouveau ?

Tout le monde doit progresser. Nous sommes apprentis à vie, tous.

Y compris votre leader ?

C’est la personne la plus réceptive que je connaisse.