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Bernard Li Kwong Ken, Chairperson du Mauritius Museums Council : «J’enquête sur un possible trafic d’oeuvres d’art»

21 février 2016, 08:20

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Bernard Li Kwong Ken, Chairperson du Mauritius Museums Council : «J’enquête sur un possible trafic d’oeuvres d’art»

À la tête des musées nationaux depuis quatre mois, Bernard Li Kwong Ken en voit de toutes les couleurs. Le tableau ? Un patchwork de «je-m’en-foutisme», de «pétage de plomb» et de mystérieuses disparitions. Bienvenue au musée…

Deux muséologues du Louvre viennent de passer une semaine à Maurice pour dresser un état des lieux de nos musées nationaux. En attendant leur rapport, quel est le vôtre ?

(Long soupir les yeux au ciel) Mon état des lieux ? Nos musées sont un capharnaüm indescriptible. Ce sont peut-être les endroits les plus mal gérés du pays. À ma prise de fonction je ne m’attendais pas à ce que tout soit rose, mais de là à imaginer un tel foutoir...

C’est-à-dire ?

Prenez déjà le musée de Port-Louis. J’ai grandi dans cette ville, le muséum d’histoire naturelle était ma deuxième maison. Quand j’y suis retourné avant ma nomination, j’ai pris un coup sur la tête. Rien n’avait changé en 40 ans, j’ai eu l’impression d’un cimetière. Dans la réserve, second choc, des oeuvres entassées à la merci de la chaleur et de l’humidité. Je me suis dit : «Mais qu’est-ce qui se passe ici ?» et je suis immédiatement allé voir mon ministre de tutelle (NdlR, Santaram Baboo, le ministre des Arts et de la culture).

Que vous a-t-il dit ?

De patienter. C’est là que j’ai appris que des gens du Louvre venaient nous aider à mettre de l’ordre.

«Il y a un patrimoine digne d’intérêt à Maurice, ont dit ces experts au micro de la MBC, mais il faudra repenser la façon dont les collections sont mises en valeur.»

Un bien bel euphémisme. Disons les choses franchement : il y a du je-m’enfoutisme à tous les niveaux.

Pourquoi avoir attendu le Louvre pour l’ouvrir ?

Je n’ai attendu personne ! Dans l’ombre, je gueule. Quelques jours après ma nomination, je me pointe un matin au musée de Port-Louis. Il est 10h30, c’est les vacances scolaires mais curieusement le portail est fermé. Une famille se fait renvoyer sous mes yeux. Là, je pète un câble (il fait de grands gestes). Finalement, j’apprends que tous les musées nationaux ferment une fois par semaine pour dépoussiérer les oeuvres. OK, pourquoi pas? Mais c’est écrit nulle part !

À MA PRISE DE FONCTION JE NE M’ATTENDAIS PAS À CE QUE TOUT SOIT ROSE, MAIS DE LÀ À IMAGINER UN TEL FOUTOIR…

Ça l’est maintenant ?

Non, cette pratique n’a plus cours. Les mardis le musée de Port-Louis ouvre un peu plus tard, mais il ouvre. Je vais vous dire : j’ai un contrat de trois ans mais si au bout de la première année je me cogne encore la tête contre les murs, je partirai. Merci, au revoir.

Contre quels murs vous cognez-vous ?

C’est du laxisme, parfois juste un manque de bon sens. À Souillac, des manuscrits originaux de Robert Edward partent en lambeaux. Vous savez pourquoi ? Ils sont exposés depuis des lustres dans une vitrine en plein soleil. Il ne faut pas être expert en muséologie pour comprendre ça, non ? Un peu de cervelle, en principe, devrait suffire. Comment voulez-vous ne pas péter les plombs ? Je ne jette la pierre à personne, j’ai même constaté un bel enthousiasme parmi le personnel de certains musées. À côté de ça, tout en haut, de mauvaises habitudes perdurent. Près de 90 % des Rs 23 millions de dotation budgétaire vont dans les salaires, ça n’est pas normal. Les musées sont en sureffectif chronique, il faudrait se séparer d’un tiers du personnel. Mais non, on préfère gaspiller les deniers publics. Cet argent serait plus utile ailleurs. Pour faire de la recherche, par exemple.

En parlant de recherche, a-t-on trouvé à qui appartient le crâne tatoué du musée de Port-Louis ?

On pense que c’est une tête maorie ramenée de Nouvelle-Zélande par un explorateur anglais. Les Maoris coupaient la tête de leurs ennemis prestigieux en guise de trophées. À un moment donné, il était question de restituer le crâne à la Nouvelle-Zélande. Puis certains ont dit que c’était peut-être le crâne de Ratsitatane. On n’en sait pas plus, la tête dort dans les réserves du musée. Elle n’a pas disparu, c’est déjà ça.

LES MUSÉES SONT EN SUREFFECTIF CHRONIQUE, IL FAUDRAIT SE SÉPARER D’UN TIERS DU PERSONNEL.

Que voulez-vous dire ?

Des squelettes au musée, c’est normal. Des squelettes maltraités, abîmés ou envolés, c’est plus gênant. L’inventaire des oeuvres ne correspond pas, des pièces ont disparu. Des tableaux, notamment. Ils sont sortis des musées pour être vendus à l’étranger.

Un trafic d’oeuvres d’art ?

C’est possible, j’enquête depuis trois mois en sollicitant mes contacts personnels un peu partout.

Et vous en êtes où ?

J’ai retrouvé la trace d’un premier tableau en France. Il aurait été acheté une fortune en 1991. D’autres pièces restent introuvables. Le ministère est au courant, on cherche. Il faut savoir que durant des décennies, les ministères pouvaient demander des tableaux en emprunt, pour décorer les bureaux. Cette pratique remonte à l’époque coloniale, elle a duré jusqu’en 2000. C’est pendant ces allers-retours musées-ministères que des tableaux ont disparu. Bref, il s’est passé des choses pas nettes. Je n’ai pas l’intention de fermer les yeux, j’ai demandé au ministère un audit détaillé des avoirs des musées.

Il vous fait quelle impression, Santaram Baboo ?

Il met de la bonne volonté. Son problème, c’est qu’il est entouré d’incompétents. Il le dit lui-même, so minister enn lakaz diab. Il se débat comme il peut.

Il a annoncé la création d’un musée de l’esclavage. C’en est où ?

(Direct) Aucune idée. Mais l’ouverture était prévue en décembre… Peut-être un effet d’annonce… Autant que je sache, il n’y a encore rien à exposer. L’appel du ministère pour acheter des pièces n’a rien donné.

DURANT LA CAMPAGNE ÉLECTORALE JE NE SAVAIS MÊME PAS QU’UN CANDIDAT S’APPELAIT SANTARAM BABOO… LUI NON PLUS D’AILLEURS !

On dirait que ça vous fait plaisir…

Non, c’est juste que ce projet ne concerne pas le Museums Council.

Pourquoi ?

Bonne question ! D’après la loi, toute initiative muséale doit passer par le Museums Council. Malheureusement, pour des raisons que j’ignore, d’autres institutions ont été désignées pour chapeauter le musée de l’esclavage (NdlR, notamment le Centre Nelson Mandela).

Pour des raisons que vous ignorez, vraiment ?

(Silence)

C’est quoi votre but, vous fâcher avec tout le monde ?

Mon but est de susciter une prise de conscience. Les musées sont notre mémoire, les massacrer c’est nous rendre amnésique. On ne fait rien pour mettre en valeur notre patrimoine, voilà ce qui me fait mal. Au final, les musées sont vides et tout le monde s’en accommode.

Vide comment ? Quels sont les chiffres de la fréquentation ?

Les huit musées que nous gérons attirent environ 150 000 personnes par an, soit 600 par jour. À Port-Louis, ça tourne autour de 1000 visiteurs par semaine. Porlwi by light, en trois nuits, ils ont fait plus de 30 000 personnes, cela montre qu’il y a un public pour les événements culturels. À Flacq-Coeur-de-Ville, on a bénéficié d’un emplacement gratuit. On y a mis deux expos, une sur le tricentenaire de l’arrivée des Français, l’autre sur la route de l’esclavage, du réchauffé donc. Malgré cela, on a eu 100 000 visiteurs en deux mois.

Vous en tirez quel enseignement ?

Le Mauricien est friand d’expériences culturelles. Mais nous sommes des îlois, nous attendons que les choses viennent à nous. Et puis, il faut le dire aussi, nous avons quelques verrues. Le musée SSR de la rue Desforges, c’est n’importe quoi, ça ne donne pas envie. Le Mémorial Sookdeo Bissoondoyal de Rivière-des-Anguilles, c’est la même chose. Les seuls visiteurs sont les soûlards du coin qui viennent papoter avec le gardien. Voilà comment on met en valeur les grands hommes qui ont bâti ce pays, c’est triste. Il suffirait pourtant de pas grand-chose pour redonner vie à ces lieux.

Vous proposez quoi ?

On va dépoussiérer toutes nos expos, aller dans les centres commerciaux, les écoles, les collèges. Le Museums Council sera beaucoup plus customer friendly. Puisque les gens ne viennent pas au musée, le musée ira à eux.

À moins que vous ne soyez remercié d’ici là…

(Direct) Ça ne me dérangerait nullement. J’ai d’autres chats à fouetter, d’autres défis qui m’attendent.

Vous tenez vraiment à vous faire virer, donc ?

Pourquoi voulez-vous que je me fasse virer ? Parce que je dis la vérité ? Je ne suis pas un nominé politique, vous savez. Durant la campagne électorale je ne savais même pas qu’un candidat s’appelait Santaram Baboo… lui non plus d’ailleurs ! (rire). Le ministre a pleinement confiance en mes capacités et en ma volonté de mettre de l’ordre.

Vos propos pourraient mettre aussi un peu de désordre.

Un beau désordre vaut mieux que le statu quo. Et puis, l’avantage du désordre, c’est qu’il se transforme en ordre, tôt ou tard.