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Classe moyenne: les prochains pauvres?
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Classe moyenne: les prochains pauvres?
Attention danger. Un avertissement de cyclone de classe IV menace la classe moyenne. Des Mauriciens appartenant à cette catégorie pourraient bientôt venir gonfler les chiffres de la pauvreté. Une mise en garde qui n’émane pas de la station météo mais bien de la Banque mondiale, qui a publié un rapport intitulé Mauritius, inclusiveness of growth and shared prosperity, rendu public récemment. Mais comment définir la classe moyenne? Qui en fait partie? Quels sont les dangers économiques et les tempêtes auxquels font face leur portefeuille? Réponses.
Lower, Middle, Upper
Comment définir la classe moyenne ? La tâche s’avère compliquée pour les économistes. Ils s’accordent en tout cas à dire que la question est très «subjective». Pour Azad Jeetun, ce sont en général des cadres, des fonctionnaires, des «gens qui travaillent dans les bureaux» ou qui ont un business, entre autres. Si l’on se réfère à un rapport du Bureau central des statistiques, émis en 2012, le seuil de pauvreté se situe autour de Rs 13 000 en matière de salaire des ménages (ensemble des revenus de la famille). Dès lors, les salaires de ceux qui appartiennent à la classe moyenne se situeraient autour de Rs 20 000 à monter. La classe moyenne, renchérit Rajiv Servansingh, autre spécialiste des chiffres, comprend, en fait, trois «branches ». Il sort les fourchettes :
(i) Le «lower middle class» – les salaires des ménages oscillent entre Rs 20 000 et Rs 35 000
(ii) Le «middle middle class» – les salaires des ménages oscillent entre Rs 36 000 et Rs 50 000
(iii) Le «upper middle class» – les salaires des ménages totalisent plus de Rs 60 000.
Pourquoi leur compte en banque affiche-t-il un air aussi misérable?
Plus d’argent, salaire plus conséquent = plus de dettes, s’accordent à dire les spécialistes. Pour Azad Jeetun, si ceux qui appartiennent à la classe moyenne ont en général un salaire stable et fixe, le train de vie, lui, est modifié. «Ils ont investi dans l’éducation, ils s’attendent à un certain niveau de vie, aspirent à avoir un terrain, une maison, une voiture…» Pour cela, il faut, bien entendu, emprunter quelques millions, s’endetter à long terme, quitte à en perdre le sommeil. «On met l’accent sur les logements sociaux pour les plus démunis. On oublie ceux qui viennent après. La NHDC a pensé à construire des maisons pour les gens de la classe moyenne, mais on en entend rarement parler.»
Sans parler des autres dépenses comme l’éducation. Car, même si celle-ci est gratuite à Maurice, «il ne faut pas oublier les leçons particulières, notamment». Des propos qui rejoignent ceux de Rajiv Servansingh. «Pour moi, c’est la preuve qu’il y a des failles au niveau du système. Raison pour laquelle les gens de la classe moyenne préfèrent envoyer leurs enfants dans des établissements privés.»
Autre volet : avec les progrès de la technologie et de l’automatisation, les «skilled workers», ou cols bleus, sont lésés. «Beaucoup de gens, de la lower middle class surtout, peinent à se recycler. Et un beau jour, certains se retrouvent sans emploi. Quand on sait qu’ils ont contracté des emprunts conséquents… Il suffit d’un seul petit caillou pour que la machinerie s’enraye.»
D’autre part, fait-il ressortir, les gens de la classe moyenne n’ont pas, dans la majorité des cas, d’autres sources de revenus. Les investissements, les actions, ils n’y pensent même pas. Pour y penser, encore faut-il qu’à la fin du mois, l’on puisse économiser quelques roupies…
Les oubliés ? Les parents pauvres en termes de compensations?
Les mesures pour les pauvres, c’est bien, c’est nécessaire. Mais qu’en est-il des «pas aussi bien lotis qu’on le pense»? Le bien-être financier des gens de la classe moyenne, surtout de la lower midle class, a été relégué aux oubliettes, déplorent les experts en la matière. Les compensations salariales sont, en général, calculées en fonction du taux d’inflation (NdlR, situation ou phénomène caractérisé par une hausse généralisée, durable et plus ou moins importante des prix) pour les gens au bas de l’échelle.
Mais pour ceux de la classe moyenne, il y a un «plafond. La seule année où le gouvernement avait accordé une compensation de 10% à tout le monde, c’était en 1987, mais le reste du temps, ils doivent se contenter des restes», souligne Azad Jeetun. Ce dernier rappelle également que, contrairement aux fonctionnaires, qui ont droit à des augmentations régulières grâce aux recommandations du Pay Research Bureau (PRB), les employés du secteur privé, eux, doivent attendre ce qu’on appelle le «merit increase».
Fait notable : les réductions d’impôts se font au compte-gouttes. Résultat des courses, les Mauriciens de la, ou plutôt des classes moyennes, sont des éternels tondus, fait ressortir l’économiste. «Moins d’augmentations, moins de réductions d’impôts, plus de galères.»
Même son de cloche du côté de Rajiv Servansingh. En ce qu’il s’agit de compensation salariale, «si elle est de Rs 150, le mari et la femme, qui touchent Rs 20 000 chacun, se retrouvent, à la fin du jour, avec Rs 300 d’augmentation». Un maigre «bonus» avec lequel on ne peut pas, de nos jours, acheter grand-chose. Conséquence : les salaires stagnent, les dettes s’accumulent. Une chose qu’il tient toutefois à faire ressortir: il ne faut pas oublier que certaines baisses de prix peuvent influer positivement sur le porte-monnaie des ménages. Comme celui de l’essence, récemment. «Un couple qui a une voiture de 1 500 ou 1 600 cc et qui l’utilise souvent pourra faire des économies de Rs 1 000 en moyenne.» De quoi rebooster (quelque peu) le moral et surtout les finances.
#Je suis à sec
Pas mal mais aussi pas assez. Nos intervenants, issus des classes moyennes, sont dans la «misère» quels que soient leurs salaires. Récits.
Charlène Koylash, 31 ans, téléphoniste : «Det lor det papa!»
«Je touche dans les Rs 13 000, alors que mon compagnon, Lindsay, lui, gagne environ Rs 14 000. Et avec Rs 27 000 par mois, ce n’est pas évident, sans vouloir cracher dans la soupe. Nous avons emprunté Rs 400 00 pour nous acheter une maison et nous devons repayer Rs 8 000 à la banque mensuellement. Nous nous sommes endettés sur 7 ans. Il faut compter Rs 4 000 pour les provisions, les crédits pour l’électroménager et les meubles, totalisant quelque Rs 2 500. Det lor det papa! Et puis il y a les factures habituelles, eau, électricité etc. J’ai aussi un enfant de 6 ans et je paie Rs 600 pour la garderie. À la fin du mois, de la somme restante – quand il en reste – Lindsay et moi divisons les miettes entre nous pour le transport, le déjeuner au bureau, ainsi de suite. Heureusement qu’il est bricoleur et qu’il fait des petits boulots à côté, sinon nous n’aurions peut-être pas de quoi faire une petite sortie en famille et faire quelques ‘folies raisonnables’ de temps en temps.»
Priska Ramsamy, 36 ans, graphiste : «Le budget éducation nous donne des sueurs froides»
«Je gagne Rs 18 000 alors que mon époux, qui est fonctionnaire, touche Rs 35 000. Mais les Rs 53 000, on les voit à peine. Deryer plisé ek det! Nous avons deux enfants qui sont en Form IV et Form I et je peux vous dire que l’on casque. Il faut prévoir Rs 4 000 pour les cours particuliers, les fournitures scolaires qu’il faut acheter régulièrement, entre autres. Le budget éducation nous donne des sueurs froides. Nous avons également contracté un emprunt pour faire construire la maison et nous devons repayer Rs 17 000 par mois pour le rembourser, chose que nous sommes condamnés à faire jusqu’à 60 ans, si nous vivons jusque-là. Pour les provisions, il faut compter Rs 10 000 chaque mois, tout en sachant qu’il faut débourser Rs 1 500 toutes les semaines pour les légumes, fruits, la viande fraîche et tout le bazar. L’essence nous coûte Rs 5 000 par mois. Et puis, après une semaine de travail, il faut bien se détendre un peu. Alors, les week-ends, nous essayons de faire plaisir aux enfants en les emmenant manger une pizza ou un briani, entre autres. Tout ça fait qu’au final, nous avons zéro économie. Le compte en banque, lui, est en souffrance totale dès le milieu du mois.»
Schéhérazade Deedarun, 25 ans, jeune femme pleine de ressources : «Il me reste Rs 3 sur mon compte»
«J’ai un salaire de moins de Rs 20 000. Je dois cumuler les petits boulots, comme la rédaction d’articles en free-lance, pour pouvoir l’arrondir à Rs 30 000 et joindre les deux bouts à chaque fin de mois. Je me tue à la tâche, je bosse au moins 10 heures par jour. Je ne vis plus chez maman-papa et le loyer n’est pas donné. J’ai un emprunt pour des études que je dois rembourser, sans parler des prix à la consommation, qui nous étranglent. Quand je pense que j’ai des amis à l’étranger qui, quel que soit le boulot, arrivent à se payer un voyage tous les ans, j’enrage. Je trouve cela aussi aberrant qu’il n’y ait pas de salaire minimum chez nous. Oui, j’essaie de me serrer la ceinture, mais encore faut-il que j’aie de quoi me la payer, ladite ceinture ! Je n’ai pas d’économies et, à la fin du mois, je me retrouve avec Rs 3 sur mon compte en banque…»
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