Publicité

Mirella et Vincent Lee: un appétit pour le social

28 février 2016, 10:37

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Mirella et Vincent Lee: un appétit pour le social

 

 

Mère Teresa avait coutume de dire qu’il ne faut pas banaliser un acte gratuit en le comparant à une goutte d’eau dans l’océan. Car l’océan est composé d’innombrables gouttelettes. Bien avant de déposer leur goutte dans cet océan de misère sur le flanc de la montagne, à Tranquebar, Mirella et Vincent Lee, pourtant bien installés dans leur vie, offraient deux fois par mois un repas chaud aux personnes placées dans des institutions charitables de la capitale et de sa périphérie. Ce faisant, ils perpétuaient une tradition instaurée par leurs aînés.

C’est à l’Abri de Nuit que Mirella entend parler d’enfants «mové dan bez» vivant sur le flanc de la montagne, à Tranquebar. À la première occasion, elle s’y rend. Cet environnement insalubre, qui se transforme en cloaque à la moindre pluie, la choque, tout comme l’entassement humain sous ses yeux. «Monn gagn enn gran tristess. Monn trouv zanfan piéni, avek linz sal. Zot ti impé farouss. Ti bann vré pov. Ler monn rant lakaz, monn reflési ek monn dir momem ki bizin fer enn gran travay a tou lé nivo pou zot.» Elle s’en ouvre à Vincent et à d’autres proches. Sans hésiter, ils décident d’offrir un repas chaud chaque samedi aux 30 enfants qu’elle y a recensés.

«Zot ena zot dinyté mem si zot mizer.» 

Le vendredi, Vincent et Mirella font ainsi les courses. Le samedi, ils se réveillent à 4 heures pour cuisiner le repas qu’ils tiennent à servir chaud. Au début, Vincent prépare des mines frites. Puis, c’est du riz frit ou des roti fourrés. S’il aide Mirella à acheminer les grosses marmites jusqu’au pied de la montagne, le seul endroit où elle peut effectuer cette distribution est devant la grotte. Il faut faire appeler les enfants pour qu’ils consentent à venir s’alimenter, car ils ressentent de la gêne. «Zot ena zot dinyté mem si zot mizer

Mirella veut les connaître davantage. Alors elle les incite également à dessiner et colorier, grâce au matériel offert par une amie. Mais ces enfants ont, pour la plupart, le ventre vide depuis la veille. Au début, ils faisaient un tel raffut qu’elle était découragée. Mais c’était plus fort qu’elle. Elle refuse, tout comme Vincent, de baisser les bras. Mirella s’arme d’un sifflet pour les discipliner. Elle est stupéfaite de voir à quel point ils se jettent sur la nourriture. «Ena zanfan manz ziska 10 roti. Si ou ena 30 zanfan, ou bizin prépar pou 50. Mem si zot dir mwa ‘Mme Sinwa, nou vant rond’, zot kontinyé manzé mem.»

Certains, bien que rassasiés, lui tendent un sachet en plastique pour qu’elle en mette une part pour leur maman. Mirella n’hésite pas à tout donner. En sus du repas, elle apporte un dessert, soit du flan  confectionné par une proche, Françoise, soit des chocolats fins offerts par un ami, Jean-Noël, soit des fruits. Vincent prépare, lui, de l’alouda.

Au fil des samedis, le nombre d’enfants augmente pour passer à 65. Ils sont âgés de deux à 13 ans. Le couple décide d’offrir un repas complet composé de riz, de poulet ou de poisson, de grains secs, de légumes. Des achats qui leur reviennent à plus de Rs 2 700 par semaine. Mais ni Vincent, ni elle ne comptabilise l’huile de cuisson, le gaz consommé ou encore tout ce qu’ils puisent dans leur cuisine pour faire de ce repas un festin.

Au fil du temps, Mirella est aidée pour la distribution par Jacqueline, une des habitantes de l’endroit, qui cumule cinq petits boulots avant de venir lui prêter main-forte. Yvette, une amie, enseigne le catéchisme aux enfants alors que Laval s’occupe de l’endroit où l’on fait la distribution de nourriture. Pour que les derniers enfants mangent dans les meilleures conditions, Mirella et Vincent ont acheté cinq tables en formica et six bancs. Mirella a réussi à apprivoiser ces enfants et à les faire participer à cette distribution en mettant la table et en desservant. Chaque enfant a un fichier à son nom dans lequel ses dessins sont conservés. À la fin de l’année, Mirella organise un petit concours avec des prix à la clé.

Au bout de 15 ans, à cause de la fatigue mais surtout de l’augmentation du coût de la vie, Mirella et Vincent font la distribution deux fois par mois. «Nou sagrin nou pa kapav kontinyé fer sa tou lé samdi. Nou fer seki nou kapav.» Toutefois, cela leur procure énormément de satisfaction de savoir qu’ils ont pu contenter ces enfants. «Nou koné ki si nou pa ti fer sa, sé 65 zanfan ki ti pou al dormi vant vid aswar.» Mirella dit avoir noté que les bambins «inn byen devlopé avek letan. Zot nepli fristré kouma avan. Zot pli ouver. Zot partisip dan tou bann aktivité. Zot pli épanwi». Par manque de place dans la grotte, elle aurait toutefois souhaité que les députés de la circonscription fassent installer une structure métallique sur laquelle elle aurait pu mettre une tente et sous laquelle se ferait la distribution.

Par ailleurs, à cette distribution de nourriture s’est ajouté un encadrement scolaire, il y a quatre ans. Une démarche qui fait suite à la demande d’une petite fille nommée Joanneline qui a demandé à Mirella de lui apprendre à lire. Touchée, cette dernière a alors pris conscience du fait que plusieurs de ces enfants, qui sont dans des classes différentes, n’ont pas le niveau scolaire requis. Elle a alors entrepris de les aider, sur une base hebdomadaire. Dix-huit enfants se rendent au centre Nazareth, à Tranquebar toujours, pour suivre le programme. Mirella s’assure évidemment qu’ils aient un petit goûter, composé de biscuits et de jus, afin qu’ils puissent se concentrer sur les leçons.

Il faut aussi dire que Mirella est épaulée par plusieurs bénévoles, dont Claudette. Et alors que les gens de l’endroit lui avaient dit que Joanneline était un cas désespéré, cette gamine de 13 ans arrive aujourd’hui à réciter un poème qu’elle n’a lu qu’une fois et à lire le français. «Pou ékrir, li ankor tatoné mé li lir byen. So bann vwazin pa lé krwar kilinn fer otan progré.» Une autre enfant, encadrée par Ginette, cette fois, a obtenu 15 unités aux examens du CPE. Mirella, Ginette et le père Moura ont fait le nécessaire pour qu’elle puisse intégrer le collège London. «Ler ou truv li desann la montagn gramatin ar so iniform kolez, se enn fyerté.»

Mirella et Vincent, qui veulent poursuivre cette aventure humaine «tant ki Bondyé donn nou kouraz», ont réussi à faire en sorte qu’un groupe d’enseignants et d’élèves du Bon et Perpétuel Secours – menés par Aurélie Driver – prenne le relais pour la sortie annuelle des enfants.

Encore une démarche qui devrait inspirer ceux qui ont à coeur d’aider les autres.