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Jacques Li Wan Po, Managing Director de Food Canners Ltd «Le plus gros problème pour les industries locales, c’est le manque d’économie d’échelle»
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Jacques Li Wan Po, Managing Director de Food Canners Ltd «Le plus gros problème pour les industries locales, c’est le manque d’économie d’échelle»
Les industriels mauriciens avaient pour mission de créer des entreprises pour réduire notre dépendance de l’étranger. Quel bilan dressez-vous après toutes ces années ?
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Dans les années 70, l’économie du pays se trouvait dans une situation tout à fait différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Le taux de chômage était très élevé. En guise d’industries, il n’y avait que l’industrie sucrière. Donc, pour résorber le chômage, le gouvernement avait mis en place un projet visant à promouvoir l’industrialisation du pays, de l’économie et surtout le côté manufacturier, et donc d’apporter pas mal de mesures incitatives aux industriels pour les encourager à fabriquer des produits de substitution. C’est là que sont nées les industries comme celles du détergent, du dentifrice et aussi pas mal d’entreprises alimentaires.
Food Canners a commencé ses opérations durant ces années-là. Entre-temps, nous avons parcouru pas mal de chemin. L’industrialisation, à Maurice, a connu plusieurs phases, avec toutes les mesures incitatives accordées. Par exemple, il y avait des restrictions à l’importation, un système de quota. Le marché local était réservé à 80 %. Pour ces industries et substitutions il y avait des barrières tarifaires visant à protéger l’industrie locale. Il y a eu pas mal de développements de ce côté-là.
Durant la deuxième phase, l’industrie locale a bien progressé pendant des années. Jusqu’au moment où on a commencé à parler de libéralisation de l’économie, quand, au fur et à mesure, on démantelait les protections. Ça a mis un frein au développement industriel.
Il y a eu une phase où l’industrie du textile s’est implantée et est quand même toujours très présente dans le paysage industriel du pays. Aussi, plusieurs entreprises qui ont commencé dans les années 70-80 existent toujours. Par contre, il y en a d’autres qui n’ont pu tenir, face à la libéralisation à outrance de notre économie, face à la libéralisation du marché. Résultat, elles ont dû cesser leurs activités.
N’assiste-t-on pas à un ébranlement du textile avec la Compagnie mauricienne de textile (CMT) qui menaçait de recourir à la délocalisation ?
Pour moi c’est quelque chose d’inévitable, dans le sens que la main d’œuvre devenait plus chère à Maurice et qu’il y avait aussi un manque de main-d’œuvre appropriée pour les usines. Et puis il y a la question de productivité. On a vu que les travailleurs étrangers sont disposés à travailler de longues heures, comparativement aux Mauriciens, ce qui affecte la productivité. C’est la raison pour laquelle l’industrialisation devient plus difficile à Maurice.
Par ailleurs, il y a une compétition féroce au niveau international. Le plus gros problème pour les industries locales, c’est le manque d’économie d’échelle. Ce facteur a un impact significatif sur le coût final du produit. Si nous n’avons pas d’économie d’échelle, naturellement, avec la main-d’œuvre qui coûte plus cher, il faut aller en direction des plus-values, des produits à valeur ajoutée. Or, à Maurice, avec le coût de la main d’œuvre et par manque d’économie d’échelle, c’était plus rentable de fabriquer des produits basiques.
Les lourdeurs administratives expliqueraient la délocalisation. Avez-vous également fait face à ce genre de problème ?
Les lourdeurs administratives ont toujours existé. Certaines industries peuvent les ressentir davantage que d’autres. Reste à savoir à quel degré on les subit. La lourdeur administrative augmente certainement les coûts de production. Il faut essayer à tout prix d’éviter cette situation. Je pense que chacun fait de son mieux. Mais est-ce suffisant ?
Revenons au tout début de l’industrialisation. Pensez-vous que les objectifs fixés à cette époque ont été atteints ?
Déjà, notre projet était non seulement de fournir le marché local mais aussi de tenter l’aventure de l’exportation. Nous avons très vite vu que l’exportation n’est pas une activité facile, surtout en ce qui concerne des produits alimentaires. Il y a beaucoup de barrières non tarifaires mises en place par certains pays pour protéger leur propre industrie locale. La réalité n’est pas aussi simple que l’on pensait.
Aujourd’hui nous fournissons principalement le marché local, avec une petite part de notre production qui va vers l’exportation. Si nous ar- rivons à être suffisamment compétitifs pour exporter vers certains pays, très rapidement les barrières seront mises en place par certains pays, ce qui nous découragera sans doute à poursuivre dans cette voie.
Par contre, Maurice a adapté une politique ultra-libérale. Il n’y a aucune protection. Toutes les protections sont démantelées. Nous devons énormément nous battre contre des produits importés.
Nous sommes maintenant arrivés à un stade où, avec tous les règlements applicables aux produits locaux – et qui ne sont pas nécessairement applicables aux produits importés –, les premiers nommés sont défavorisés par rapport aux produits importés.
Le Mauricien pourrait-il se contenter des produits fabriqués localement ? Y a-t-il des secteurs où les producteurs mauriciens gagneraient à s’engager, par exemple ?
Aujourd’hui, dans tous les secteurs, il y a des produits importés. On dépend énormément de ceux-là. À part quelques produits fabriqués localement en quantité suffisante, les produits importés constituent la grande majorité des produits consommés. Et cela, dans tous les secteurs, notamment l’alimentation, l’énergie, les produits électroménagers. Idem pour le mobilier – où très peu de produits sont manufacturés localement. On dépend vraiment de l’importation.
«Certains produits requièrent des connaissances technologiques. Or, à Maurice, il n’y a pas de réserve de connaissance.»
L’appartenance de Maurice à des blocs économiques fait qu’aujourd’hui les prix des produits importés ont baissé de manière drastique. Les entreprises locales sont en concurrence directe avec les produits importés. Comment rester dans la course ?
Comme je le disais il n’y a plus de protection tarifaire, plus de protection d’accès. Donc automatiquement nous sommes en concurrence directe avec tous ces produits importés. Notre défi, c’est la compétitivité. Nous avons assuré une compétitivité sans toutefois pouvoir fabriquer dans des quantités qui permettraient des économies d’échelle.
Quid des produits extrêmement concurrentiels qui viennent de pays ne faisant pas partie de ces blocs économiques ?
La grosse majorité des produits ne sont pas taxables. On a enlevé tous les droits de douane sur ces produits. Même s’ils ne proviennent pas d’un bloc spécifique faisant l’objet d’un accord régional économique, ces produits se retrouvent pratiquement sur un pied égalité avec ceux qui viennent de pays appartenant à un bloc spécifique. De ce fait, les blocs régionaux ne constituent pas un avantage pour promouvoir le commerce.
Quelle est votre stratégie pour faire face à la concurrence qui est devenue inévitable ?
Pour faire face à la concurrence il n’y a que la compétitivité. Donc nous essayons d’être efficients, d’être en faveur de l’innovation, de la diversification des produits. C’est-à-dire que la gamme de produits que nous offrons s’élargit et nous permet de maintenir tout de même un certain niveau de production.
Par ailleurs, le marché interne étant petit, il ne nous permet pas de trop recourir à la mécanisation.
On est obligé de se fier à l’efficience, à l’innovation et à la qualité, et puis aussi trouver des produits niches. C’est en adoptant cette politique que nous arrivons à rester dans le secteur manufacturier alimentaire.
Il y a aussi l’approvisionnement en matières premières qui est malgré tout assez limité à Maurice. Nous avons une gamme de pro- duits quand même assez large. Jus de fruits, conserves, snacks, laits aromatisés, confitures, tomates.
Ce que nous produisons par an représente 24 millions d’unités de produits locaux et exportés.
Nous exportons vers des pays régionaux notamment les Seychelles, Madagascar, La Réunion. Cela constitue moins de 5 % de notre production.
Avez-vous une unité spécialisée dans la recherche et dans le développement dont le rôle serait d’identifier les types de produits que les fabricants locaux auraient intérêt à proposer ?
C’est un département assez im- portant pour nous parce que nous essayons toujours de créer de nouveaux produits. Nous sommes obligés d’avoir un département qui soit efficace de ce côté-là afin que nous puissions ajouter de nouveaux produits à notre gamme. C’est une partie importante de notre action en vue de maintenir le développement de la compagnie.
Venons-en au secteur de l’automobile. Les industriels locaux ne pourraient-ils pas envisager de se lancer dans un projet de fabrication de pièces de rechange, avec les normes établies, afin de relancer la concurrence et dépendre moins de l’importation ?
Le plus gros problème, dans toute fabrication, c’est qu’il faut que les produits aient une certaine compétitivité. Mais sans économie d’échelle c’est extrêmement difficile de pouvoir fabriquer un produit industriel à un prix compétitif. C’est le volume qui est important. À Maurice on ne peut pas le faire parce que le marché local est trop petit. Il y a des produits qui requièrent aussi des connaissances technologiques. Or, à Maurice, il n’y a malheureusement pas de réserve de connaissance. Par exemple, dans le secteur de la technologie. On fait très peu de recherches en général. C’est difficile de fabriquer des produits sophistiqués.
C’est possible de prendre l’expertise de l’étranger et de former la main-d’œuvre locale mais à quelle échelle ? Quel niveau de production ? Quel volume de production ? De nos jours, tout est une question de coût et d’économie d’échelle.
Le dollar s’est apprécié de plus de 12 %. Quel est l’impact du taux de change sur vos opérations ?
Le taux de change affecte tous les produits, qu’ils soient importés ou fabriqués localement. Pour ceux fabriqués localement, il y a des coûts locaux qui sont payés, non pas en dollars, mais en roupies. L’impact de la dépréciation de la roupie favorise plutôt l’industrie locale. Certains coûts sont payés en roupies. Tandis que pour les produits importés la totalité est payée en dollars. Donc la faiblesse de la roupie favorise l’industrie locale.
Il n’y a pas de doute que tous les composants qui seront utilisés pour la fabrication et qui sont importés généralement en dollars, ces matières premières seront sujettes à une augmentation. Beaucoup de produits sont importés d’Afrique du Sud. Avec la faiblesse du rand, cela augmente la compétitivité des produits sud-africains par rapport aux produits mauriciens.
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