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Patrick Soobhany: «Voilà comment ça s’est passé…»
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Patrick Soobhany: «Voilà comment ça s’est passé…»
Un ministre (et pas des moindres) débarqué sans ménagement qui crie au «complot» après avoir été enregistré à son insu par un businessman de la côte Ouest au passé trouble. Voilà comment l’histoire est contée depuis mercredi. C’est évidemment un peu plus compliqué… Récit de l’homme par qui le scandale est arrivé : Patrick Soobhany, General Manager de Babylone Ltd.
Vous avez longuement hésité avant d’accepter cette interview. Pourquoi ?
(Tendu) Parce que la médiatisation ne m’intéresse pas. J’ai fait ce que j’avais à faire, pour moi l’histoire s’arrête là. Je ne veux pas de publicité. Je n’aime pas ça.
Vous aimez quoi ?
Ma famille, mon pays, mon travail.
On vous prête un passé sulfureux…
(Il souffle, réfléchit…) Je ne suis ni ange, ni un saint. Mais je n’en connais pas non plus. Comme tout le monde, il m’est arrivé de faire des conneries, de traîner dans les mauvais endroits. J’étais jeune, j’ai aujourd’hui 53 ans, tout ça est loin. Je n’ai jamais fait de tort à personne. Sulfureux, non, ce n’est pas moi. Je suis quelqu’un de discret, je ne sors quasiment pas. Toute cette médiatisation est arrivée malgré moi.
Ce n’est pas la première fois…
Comment ça ?
Une jeune femme ne vous a-t-elle pas accusé de viol ? (NdlR, en 2007)
C’était de fausses allégations. D’ailleurs, la charge a été rayée, il n’y a pas eu de procès. J’ai été victime d’un coup monté, la maman de la fille m’a fait chanter pour de l’argent. Cet épisode douloureux ressort aujourd’hui, c’est comme ça...
C’était à votre retour de France, n’est-ce pas ?
C’est ça. Mais je suis un citoyen mauricien avant tout.
Quel a été votre parcours ?
Je suis né et j’ai grandi à Curepipe. Vers l’âge de 8 ans, ma famille a choisi de s’installer en France, en région parisienne. J’y ai passé mon adolescence, mes études et une bonne partie de ma vie professionnelle. En 2003, je suis rentré à Maurice. J’ai géré une discothèque à Quatre-Bornes, le Queen’s. Elle a fermé et je me suis reconverti dans l’immobilier, comme promoteur de projets RES. Nos bureaux sont à Rivière-Noire. J’emploie une quinzaine de personnes, cinq fois plus si l’on tient compte des emplois indirects.
Des affinités politiques ?
Aucune. Je ne fais pas de politique, ça ne m’intéresse pas. Je vote, ça oui. Le discours de SAJ m’a plu, sa volonté de nettoyer le pays.
Qu’est-ce qui vous a poussé à déposer cette fameuse bande sonore à l’ICAC ?
(Il jette son index en avant) Donn la moné, pa existé kot mwa ! Cela fait vingt ans que je travaille dans l’immobilier, je n’ai jamais (il appuie) donné un sou. Il est hors de question qu’à 50 ans passés, j’entre dans ce jeu-là. D’une, je refuse ce chantage, et de deux, je place la loyauté au-dessus de tout, au-dessus même de la compétence, car la compétence peut s’acquérir. Pas la loyauté.
Aviez-vous ans eu affaire à Raj Dayal par le passé ?
Jamais. Lundi, c’est la première fois que je le rencontrais.
La fameuse bande sonore a été enregistrée le lendemain. Expliquez-nous…
Voilà comment ça s’est passé. Vendredi 18 mars, la secrétaire du ministre m’appelle. M. Dayal veut me parler de mon projet de morcellement à Gros-Cailloux. Rendez-vous est pris lundi après-midi à son bureau. D’entrée, il me dit : «Rakont mwa ki morselman to pé fer.» Je lui explique qu’il s’agit de 250 lots, des terrains de neuf perches minimum. «Pa asé, bizin minimum 12 pers», c’est ce qu’il me dit. Moi, mon but est d’être accessible à la classe moyenne mauricienne, alors 12 perches…
Finalement, le ministre veut faire une site visit. Il me donne rendez-vous le soir même, sur place, à 18 heures. (Il s’interrompt et marque une longue pause) Il n’arrivera qu’à 18h30. Sur le moment, je ne comprends pas trop l’intérêt d’une visite de nuit, mais bon, je fais la visite.
A ce moment-là, vous demande-t-il un «soutien» ?
(Silence)
Vous demande-t-il de l’argent ?
L’ICAC sait… Le ministre ne reste pas longtemps, peut-être une dizaine de minutes. Avant de partir, il me donne un nouveau rendez-vous pour le lendemain. À son bureau, cette fois. «Amenn saki bizin, mo pou sign to dokiman», voilà ce qu’il me dit.
C’est ce qui vous incite à enregistrer la conversation le lendemain ?
Pas seulement. Il y a le reste.
C’est-à-dire ?
L’ICAC sait. Le lendemain, en sortant de ma voiture, j’ai mis mon portable dans la poche extérieure de ma mallette. Vous connaissez la suite.
Quand vous sortez du bureau de M. Dayal, que faites-vous ?
J’étais écœuré. J’entre dans ma voiture et je reste là, prostré. La conversation, un bon quart d’heure, trotte dans ma tête. Après deux minutes de réflexion, je décide d’aller voir mon avocat, Me Mohamed, qui me conseille d’aller directement à l’ICAC. (Sur le ton de la confidence) En fait, chez mon avocat, j’y suis allé pour la forme. Ma décision était prise.
Et 24 heures plus tard, le ministre perdait son poste…
(Il souffle) Je n’imaginais pas que ça prendrait une telle ampleur. Ce que je voulais, c’était obtenir mon permis et faire mon travail dans les règles. Je ne suis pas seul, j’ai des engagements vis-à-vis de mon personnel, ils ont des familles à nourrir. Si j’avais accepté la proposition du ministre, je perdais sur tous les tableaux. D’abord, cela faisait de moi un hors-la-loi. Ensuite, je ne voulais pas créer un précédent. Un million la première fois et combien la deuxième ? J’ai d’autres projets en attente. Mais à aucun moment je n’ai pensé que le ministre serait débarqué.
Vous êtes naïf ou vous faites semblant ?
(Il hausse le ton) Je vous garantis que j’ignorais ce qui allait se passer. J’ai même pensé que je ne repartirai peut-être pas de l’ICAC, que ça se retournerait contre moi.
Pourquoi n’êtes-vous pas allé voir M. Dayal avec l’enregistrement ?
Pour qu’on m’accuse de le faire chanter ? C’était la pire chose à faire.
Aujourd’hui, il vous accuse de complot…
C’est grotesque (rires). Avant lundi, je vous l’ai dit, je n’avais jamais vu ce monsieur. Je n’ai absolument rien contre lui. C’est juste malheureux d’en être arrivé là. Ça l’est d’autant plus que j’ai appris par la suite qu’il avait déjà donné son feu vert au projet.
Comment avez-vous vécu le reste de la semaine ?
C’est compliqué…
C’est-à-dire ?
Je n’ai pas envie d’entrer dans les détails.
Avez-vous reçu des intimidations, des menaces ?
(Silence)
Avez-vous reçu des menaces ?
Je préfère ne pas en parler. (Sec) Vous pouvez comprendre ça ou pas ?
Avez-vous peur ?
Je devrais, vous pensez ? (Il sourit, réfléchit) Peur, oui, d’être blacklisté. J’ai d’autres projets qui doivent passer par les mêmes étapes. Il va se passer quoi maintenant ? Peut-être vont-ils vouloir me faire payer. Peut-être qu’il y aura des représailles.
Vous y préparez-vous ?
Non. S’ils faisaient ça, ce serait terriblement injuste.
Vous arrive-t-il de regretter d’avoir tout balancé ?
Je ne regrette rien, j’ai fait ce que j’avais à faire, ce que ma conscience me dictait. Si cela encourage d’autres Mauriciens à dénoncer l’inadmissible, tant mieux. C’est le but, aussi, de ma démarche.
Y a-t-il une possibilité que vous retiriez votre plainte ?
Aucune. La victime, dans cette affaire, c’est moi, pas le ministre. C’est moi qui risque de tout perdre. Les hommes politiques, eux, se relèvent toujours.
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