Publicité

Air Mauritius : combines de haut vol

5 avril 2016, 21:56

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Air Mauritius : combines de haut vol

 

Passagers surclassés à la demande du bureau du Premier ministre, relations avec les lobbyistes d’Airbus, colis de mangues... autant de pratiques pour le moins étranges au sein de la compagnie nationale d’aviation.

L’express est devant une mine d’informations. Dans deux articles, nous allons vous révéler certaines vérités troublantes à Air Mauritius.

D’abord, nous publions aujourd’hui les noms des bénéficiaires de surclassement (upgrading) sur les vols d’Air Mauritius ordonné par le Premier ministre de février 2013 à décembre 2014. Nous sommes en présence   d’un certain nombre d’e-mails envoyés par le Prime Minister’s Office (PMO) à Air Mauritius, durant cette  période, pour surclasser ces «petits copains» du pouvoir.

Aujourd’hui, nous vous présentons le modus operandi, les protagonistes, l’expéditeur du mail du PMO, celui qui le réceptionne et, bien sûr, les bénéficiaires. Et les noms pourraient vous choquer.

Nous vous montrerons, dans notre second article qui paraîtra plus tard cette semaine, comment certains acteurs de ces «petits upgradings» sont en fait multitâches. Ils peuvent aussi mouiller dans de «grosses combines» au point d’obtenir, en se frottant aux  lobbyistes d’Airbus, des considérations spéciales du Premier ministre français – oui, nous sommes aussi en possession d’une lettre signée par Manuel Valls – pour une naturalisation française. Ils peuvent aussi nous proposer de petits  caprices au point où un colis de 24 mangues – oui, des mangues – importées de Mumbai soit considéré comme un colis de haute importance dont seul le PMO peut prendre livraison.

L’objectif ce n’est pas de détourner l’attention des scandales du jour vers ceux qui ont sali dans le passé. Mais il s’agit de demander à ceux qui sont censés nettoyer après le passage de Ramgoolam ce qu’ils ont fait de ces pratiques. Non seulement certains des protagonistes de notre enquête sont toujours en poste, mais ils seraient aussi devenus les complices de ceux qui sont à présent au pouvoir. Nos informateurs prétendent qu’en si peu de temps, la facture de surclassements «commandés» depuis que l’alliance Lepep est au pouvoir aurait déjà dépassé celle de Ramgoolam durant ces deux ans.

Nous avons donc demandé à Air Mauritius de nous fournir la liste de ceux qui ont été surclassés par le PMO depuis que SAJ est en poste. MK a refusé.

Dans une prochaine édition, nous publierons la seconde partie de cette  enquête. Ce dernier volet s’intitulera : Airbus, au profit de qui ?

MK Saga (1re partie) : les abus du prime Minister’s Office

C’était un secret de Polichinelle. L’existence de la pratique est très largement connue, mais elle n’a jamais été prouvée. Voici la preuve que des dirigeants d’Air Mauritius n’ont pas toujours eu à coeur l’intérêt de l’entreprise ni celui de ses actionnaires. Cette sélection de captures d’écran montre comment le Prime Minister’s Office influe sur une des opérations les plus banales, mais ô combien coûteuses : le surclassement de passagers («upgrading»). Le modus operandi est tout simple : la Permanent Secretary (PS) du PMO envoie un mail à une secrétaire de direction à Air Mauritius en prenant le soin de mettre en copie le bureau du  Chief Executive Officer (CEO) et le département VIP Unit d’Air Mauritius, et c’est joué. Nous avons sollicité Air Mauritius (voir échange de mails plus loin) pour comprendre le rôle des employés de MK cités dans ces mails. Une vaine démarche.

MARS 2013 : LA «VERY VERY CONFIDENTIAL» N.S.

La confidentialité absolue doit être de mise dans ce cas présent, comme en témoigne la réponse de l’employé d’Air Mauritius à la Permanent Secretary du PMO. Celle-ci a demandé de surclasser deux passagères, dont une aux initiales N.S. sur les vols MK 640 et MK 641 (Maurice-Hong Kong et Hong Kong-Maurice).

MARS 2014 : ENFIN LA PREUVE SUR SÉGOLÈNE

On connaît l’amitié qui lie Navin Ramgoolam à Ségolène Royal, candidate battue à la présidentielle française de 2007, ex-compagne du président français François Hollande et actuellement ministre de l’Écologie. Par contre, on ignorait les services que peut rendre cette amitié. Voici l’un d’eux : se faire surclasser sur un vol de MK alors qu’elle est en visite privée en compagnie d’une de ses filles.

 

JANVIER 2013 : DHIRAJ KHAMAJEET ET SA FAMILLE

Le député et Parliamentary Private Secretary (PPS) rentre de vacances le 3 janvier 2013. Il est accompagné de sa femme, Neeropah, et de leur fils en bas âge. Une semaine avait qu’il ne prenne le vol MK 647 de retour de Kuala Lumpur, la PS du PMO demande au CEO d’Air Mauritius et à sa secrétaire de lui accorder un «upgrade». Dhiraj Khamajeet : «Quand j’étais député, pour des voyages privés, seul ou en famille, ce n’était pas dans mes habitudes de solliciter des faveurs de la compagnie nationale aérienne, sauf quand mon fils est tombé malade à Hong Kong. Nous avons voyagé en classe économie à l’aller. Après l’avoir emmené chez le médecin, au retour, comme il y avait de la place en classe affaires, j’ai effectivement demandé si on pouvait être surclassés pour mieux nous occuper de lui.»

MAI 2013: ANIL BACHOO ET SON FILS

Bachoo père se rend à Mumbai le 12 mai 2013 sur le vol MK 748 pour rentrer une semaine plus tard sur le vol MK 745. Le PMO demande qu’il soit surclassé, mais pas que lui. Son fils, un citoyen ordinaire, qui passera un mois à Maurice avant de retourner en Inde, bénéficie du même traitement sur les vols MK 745 et MK 744. Anil Bachoo : «Je ne vous dirai rien.» L’ancien ministre refuse de dire pourquoi c’est le PMO qui demande et obtient son «upgrade» et celui de son fils sur ces quatre vols.

MARS 2013 : LES MANGUES INDIENNES «SUPER URGENT»

Il s’agit de faire récupérer des mangues de Mumbai, 24 pièces de la variété «Alphonso». L’intitulé du mail est «Super Urgent». Le récipiendaire : la Clef des Champs, le traiteur de l’hôtel du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Des e-mails sont échangés entre Donald Payen, employé d’Air Mauritius, la direction de la Clef des Champs et Kalyndi Bhanji, la PS du PMO. Jacqueline Dalais, directrice de la Clef des Champs, explique qu’elle n’a eu recours au PMO qu’une fois. «Le président indien Pranab Mukherjee allait être en visite officielle chez nous. Je suis le traiteur du banquet d’État et M. Mukherjee ne mange que ce type de mangues. Je suis passée par le PMO car ça allait raccourcir les délais.»

AVRIL 2014 : «PMO REQUEST» RÉUSSI SUR EMIRATES

Le PMO n’influe pas uniquement sur Air Mauritius. Il a la capacité de demander à Donald Payen, un employé de MK, de négocier avec succès avec Emirates pour surclasser trois passagers, dont Nandanee Soornack et sa fille. Emirates ne veut pas commenter.

JUILLET 2014 : PRIA THACOOR ET SON ÉPOUX

La directrice de l’agence de publicité P&P Link Saatchi & Saatchi entreprend un voyage d’un mois en Inde. Le couple est surclassé à l’aller comme au retour sur les vols MK 744 et MK 749 grâce à l’intervention du Prime Minister’s Office. Contactée, Pria Thacoor n’est pas revenue vers nous.

AOÛT 2014: LES CUTTAREE À JO’BURG

Six membres de la famille Cuttaree vont passer six jours à Johannesburg. Ils décollent de Maurice le 5 août à bord du vol MK 851, et reviennent le 10 août par le vol MK 848. Jayen Cuttaree explique qu’il bénéficie de «miles» qui lui ont donné droit à un «upgrade» sur ce vol. «Ma femme a longtemps travaillé pour Rogers Aviation et elle a aussi droit à certains avantages. J’ai appelé Mme Bhanji du PMO pour demander s’il était possible pour mon fils Vickram de bénéficier du salon VIP comme ma femme et moi. Nous y avons droit puisque je suis GCSK. Mon fils allait voyager avec trois enfants. Voilà l’objet de la demande, et Mme Bhanji a accepté. Mais je n’ai jamais demandé d’«upgrade» sur Air Mauritius. Je voyage toujours en classe affaires, sauf pour les vols courts comme l’Afrique du Sud. C’est à l’aéroport que j’ai appris que nous étions tous en classe affaires. Je n’ai rien demandé.»

L’OMERTA D’AIR MAURITIUS

Pour savoir si cette pratique de surclassement via le PMO se poursuit, nous avons adressé le mail suivant à Air Mauritius : «Je publierai bientôt une liste de bénéficiaires d’upgradings et d’autres avantages sur les vols d’Air Mauritius durant la période 2013-2014. Je concède qu’Air Mauritius est libre de surclasser ses clients «commercialement importants», mais mon sujet porte sur la relation incestueuse entre le PMO (une entité publique) et Air Mauritius (une compagnie). Fondamentalement, ce n’est pas au PMO d’identifier le client «commercialement important» pour Air Mauritius. J’adresse donc les questions suivantes à Air Mauritius :

1. Le PMO entre 2013 et 2014 selon nos documents a donné une série de consignes à Air Mauritius pour des «upgradings», des kilos en plus à certains privilégiés. Pourquoi Air Mauritius cède-t-elle à ces demandes ?

2. L’actuelle direction d’Air Mauritius est-elle au courant de ces abus allégués ?

3. Cette pratique existe-t-elle encore ? Si oui, nous demandons à Air Mauritius de nous fournir la liste des bénéficiaires d’upgradings à la suite de l’intervention du PMO depuis janvier 2015.

4. Les e-mails que nous avons en notre possession étaient systématiquement adressés ou copiés aux mêmes personnes, en l’occurrence : [...] et Donald Payen. Ces personnes travaillaient-elles à Air Mauritius à l’époque ? Si oui, à quel titre. Travaillent-elles toujours à Air Mauritius ? Si oui, à quel titre.

La direction estime-t-elle que ces employés en étant des maillons de ce système ont été complices du PMO au détriment de l’intérêt d’Air Mauritius ?»

Voici la réponse d’Air Mauritius : «Toutes les lignes aériennes, y compris Air Mauritius, sont régulièrement appelées à surclasser des passagers en cabine supérieure pour répondre à des exigences opérationnelles ou commerciales et cela afin de maximiser le remplissage des vols.»

Et celle de Donald Payen : «Je suis hospitalisé avec une bronchite. Je suppose que c’est par rapport au sujet que vous préparez depuis quelques jours et où mon nom est cité. Prem (Sewpaul) et Megh (Pillay) ayant eu l’occasion de vous parler, je n’ai rien d’autre à ajouter surtout dans ma situation et surtout un dimanche après-midi.» NdlR : Ces derniers nous ont parlé en «off». Même si les conversations avec ces deux-là ont été riches, on doit s’en tenir à ce qui a été dit on record, c’est-à-dire l’e-mail d’Air Mauritius.