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Les e-mails d'Air Mauritius (2e partie)* : des zones d’ombre autour de Laurent Obadia
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Les e-mails d'Air Mauritius (2e partie)* : des zones d’ombre autour de Laurent Obadia
Ce sont des révélations qui pourraient relancer l’enquête du ministère de la Bonne gouvernance sur l’achat controversé des avions Airbus par Air Mauritius. Un homme, dont le nom n’apparaît nullement sur la fiche d’enquête du ministère, a été «oublié», selon des lanceurs d’alerte qui ont fait parvenir une série d’e-mails à «l’express». Il s’agit de Laurent Obadia, ancien «Trade Adviser» de l’ambassade mauricienne à Paris.
Dans un article du 29 juillet 2015, l’express a révélé que Boeing avait soumis la meilleure offre. Argument soutenu par une série de correspondances entre André Viljoen, ex-Chief executive Officer (CEO) d’Air Mauritius, et Frank Gleeson, officiellement conseiller de Navin Ramgoolam, mais officieusement consultant de la compagnie nationale d’aviation. Des lanceurs d’alerte (whistleblowers) expliquent aujourd’hui que des personnes impliquées dans le deal auraient pu en tirer des bénéfices personnels.
Il y a d’abord le cas de Laurent Obadia. Ce Français a exercé à plein temps comme Trade Adviser de l’ambassade mauricienne à Paris, de mars 2006 à janvier 2015. Son nom jusqu’ici n’est pas apparu dans l’enquête que mène le ministère de la Bonne gouvernance. Pourtant cet influent et brillant communicant - élu meilleur communicant de France en 2015 par 115 journalistes – aurait joué un rôle crucial, sans laisser de traces… ou presque. Payé 28 millions de roupies par le gouvernement mauricien, Laurent Obadia a effectué, selon une réponse fournie au Parlement, 40 voyages entre Paris et Maurice, dont 30 payés par le gouvernement.
Officiellement il n’est présent à aucune réunion de négociation. Officiellement, il ne conseille pas Air Mauritius (MK). Mais c’est lui qui ouvre la porte à Frank Gleeson, connu comme «Mr Sharp» à MK en 2011. Frank Gleeson deviendra plus tard le conseiller de la compagnie d’aviation pour le renouvellement de sa flotte. Entre 2013 et 2014, Gleeson échange régulièrement des e-mails avec André Viljoen, et c’est lui qui, tel que révélé par l’express du 29 juillet 2015, pestera André Viljoen pour qu’il fasse jouer ses contacts auprès d’Airbus pour éviter que Boeing ne décroche le contrat avec son offre qui était «bien plus compétitive».
«L’affaire Airbus»
Laurent Obadia connaît bien Airbus. Il a été de 2001 à 2003 le directeur conseil d’Euro RSCG (devenu Havas aujourd’hui). Cette boîte de communication et de pub travaille, à l’époque et jusqu’à ce jour, massivement avec Airbus. Au point où la dénonciatrice de «l’affaire Airbus» en France en 2002, (des allégations selon lesquelles Airbus aurait illégalement financé la campagne de Lionel Jospin), a aussi dénoncé le recours systématique à Euro RSCG pour ses campagnes de pub. Cela, certes, ne prouve pas que Laurent Obadia a été un militant d’Airbus auprès de MK, mais son ami Frank Gleeson, celui qu’il introduit à MK, l’a été sans conteste.
La question du rôle de Laurent Obadia est d’autant plus pertinente puisqu’il jouit d’un statut de VVIP auprès d’Air Mauritius. Par exemple, il achète des billets en économie et se fait surclasser.
Pour l’heure, ces «Air Mauritius Leaks» ne constituent qu’un ensemble d’interrogations et ne prouvent pas qu’Airbus a effectivement été favorisé dans l’intérêt de Laurent Obadia et ceux cités dans cet article.
Mais ces e-mails révèlent, par contre, que durant ses nombreux voyages entre Paris et Maurice, Laurent Obadia s’est lié d’amitié avec Donald Payen. Les deux hommes sont souvent en contact et se partagent beaucoup d’informations. L’exemple le plus marquant concerne une lettre de Manuel Valls, alors ministre français de l’Intérieur. En 2012, Donald Payen est en pleine démarche pour se faire naturaliser français. Il obtient grâce à l’intervention de Renaud Muselier, un ex-ministre français, une lettre signée de la main de Manuel Valls pour une «attention particulière» à son dossier. À peine une heure après avoir reçu cette lettre, Donald Payen l’envoie à… Laurent Obadia !
Donald Payen dans l’exercice de ses fonctions est appelé à accueillir Frank Gleeson («Mr Sharp»). Il fait le bilan de sa rencontre dans un e-mail à Laurent Obadia. Une indication que c’est bien le Français qui ouvre les portes de MK à l’Irlandais.
Laurent Obadia a-t-il violé l’éthique en cumulant deux jobs ?
C’est la question qui taraude l’hôtel du gouvernement. Visiblement pas très aimé du gouvernement actuel et grassement payé par le précédent, Laurent Obadia ne s’est pas contenté d’être le conseiller économique de l’ambassade mauricienne à Paris. Tout en touchant ses salaires régis par le Pay Research Bureau et ses «gratuities» (deux mois de salaire pour chaque année de service satisfaisant), il a pris de l’emploi chez le puissant groupe Veolia, d’abord comme conseiller du président-directeur général en 2011, ensuite comme directeur de communication du groupe. Or, ce n’est qu’en 2015 qu’il a démissionné comme Trade Adviser.
Donald Payen : «J’ai obtenu ma naturalisation ayant travaillé en France»
Invité à nous éclairer, en tant qu’ami de Laurent Obadia et cadre d’Air Mauritius, Donald Payen déclare d’abord que sa naturalisation n’a rien à voir, ni de près ni de loin, avec le choix d’Airbus. «Je ne suis pas impliqué dans ce genre d’exercice, qui se traite d’ailleurs à un autre niveau. J’ai obtenu ma naturalisation ayant travaillé pendant de longues années à La Réunion et en France, entre autres. Et sur un dossier solide.»
Frank Gleeson fait l’objet d’une enquête à Maurice. C’est votre ami Laurent Obadia qui vous le présente en 2011. Avez-vous été la porte d’entrée de Gleeson à Air Mauritius ?
Je ne me souviens pas qui m’a présenté à Monsieur Gleeson mais il se pourrait que ce soit Monsieur Obadia.
Depuis presque 20 ans, les différents directeurs généraux m’ont confié les voyages des VVIP, y compris les passagers recommandés par leur bureau. Je fais ce travail à la tête d’une équipe compétente et dévouée. Et en m’assurant de la discrétion qu’ils sont en droit d’attendre d’une compagnie professionnelle.
Pourquoi vous envoyez la lettre de Valls à Obadia ?
J’ai dû envoyer cette lettre à plusieurs amis car j’étais heureux d’avoir eu un tel soutien.
Des «whistleblowers» affirment que votre naturalisation française aurait pu avoir été une contrepartie au choix d’Airbus par MK ?
La réponse simple est que ma naturalisation a été obtenue le 14 février 2013 alors que l’annonce du choix d’Airbus n’a été faite qu’en juillet 2014…
Laurent Obadia, que vous connaissez bien, a-t-il participé aux négociations entre MK et Airbus ?
N’ayant pas participé, ni de près ni de loin à ces négociations, je ne pourrai répondre à cette question.
Donald Payen obtient grâce à Renaud Muselier, un examen attentif de son dossier de naturalisation (ci-dessous). Après l’avoir reçue il transfère immédiatement cette lettre à Laurent Obadia (haut). Aujourd’hui Donald Payen dit n’avoir aucune intention de cacher ses amitiés avec Laurent Obadia ou Renaud Muselier.
*Note: Cet article est la suite d’une première partie publiée le 4 avril. Dans l’article «Combines de haut vol», «l’express» a révélé une autre série d’e-mails démontrant les surclassements des amis du pouvoir via le bureau du Premier ministre.
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